Cette fois, Facebook « croque » vraiment Instagram
:: S.I.Lex :: - calimaq, 18/12/2012
Un changement des Conditions Générales d’Utilisation (CGU) d’Instagram intervenu le 16 décembre va permettre à Facebook de bénéficier véritablement des contenus et les données personnelles des utilisateurs du site de retouche de photographies.
En avril dernier, lorsqu’avait été annoncée le rachat d’Instagram par Facebook pour un milliard, un mouvement de protestation s’était produit parmi les utilisateurs de la plateforme, de crainte que Facebook ne mette la main sur leurs photos.
J’avais écrit à ce moment un billet d’analyse pour montrer que les choses étaient plus complexes, dans la mesure où Instagram ne disposait lui-même pas d’un « droit de propriété » au sens strict du terme sur ces photos, mais d’une licence octroyée par ses utilisateurs par le biais de ses CGU.
De plus, la licence d’Instagram ne comportait pas de clause lui permettant de transférer ou de sous-licencier (sub-licence) les contenus à des tiers, ce qui l’empêchait donc théoriquement de les communiquer directement à Facebook.
Mais je concluais en disant que le risque majeur pour l’avenir était que les conditions d’utilisation d’Instagram ne changent pour permettre un tel transfert vers Facebook, surtout que le site s’octroyait un droit de modification unilatérale des contenus.
Or c’est bien ce qui s’est passé ce week-end : Instagram a introduit des modifications dans ses CGU qui vont lui permettre de faire bénéficier de ses données et de ses contenus aux « sociétés faisant partie du même groupe de compagnies« (donc Facebook) :
We may share User Content and your information (including but not limited to, information from cookies, log files, device identifiers, location data, and usage data) with businesses that are legally part of the same group of companies that Instagram is part of, or that become part of that group (“Affiliates”). Affiliates may use this information to help provide, understand, and improve the Service (including by providing analytics) and Affiliates’ own services (including by providing you with better and more relevant experiences). But these Affiliates will honor the choices you make about who can see your photos.
Les nouveaux Terms of Service (ToS) ont également modifié la licence octroyée à Instagram pour ajouter les mots « transferable » et « sub-licensable« , qui ont une grande importance :
you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, transferable, sub-licensable, worldwide license to use the Content that you post on or through the Service, except that you can control who can view certain of your Content and activities on the Service as described in the Service’s Privacy Policy, available here: http://instagram.com/legal/privacy/.
Comme toujours, la justification avancée par Instagram consiste à dire que ces modifications lui permettront d’améliorer « l’expérience de l’utilisateur » par une meilleure intégration des services, mais il serait plus juste de dire que cette fois, Facebook a bel et bien terminé de « croquer » Instagram…
Dans un article d’analyse, le New York Times précise que ces nouvelles CGU impliquent d’accepter que votre nom et vos photos (y compris celles où vous apparaissez…) puisse servir dans des publicités des « sponsors d’Instagram (!!!). Ces dispositions s’appliquent même aux mineurs et le seul moyen de les refuser consiste à supprimer son compte…
Ces nouvelles CGU ouvrent aussi la possibilité pour Instagram d’aller plus loin et de revendre ses contenus, comme l’a déjà fait Twitpic par exemple sur la base d’une licence similaire.
Cette modification intervient alors qu’un article très intéressant est paru vendredi dernier dans Wired, à propos des politiques de Facebook et d’Instagram en matière de propriété des contenus. Son auteur, Ryan Singel, déplore que ni Facebook, ni Instagram ne permettent directement à leurs utilisateurs de placer leurs contenus sous licence Creative Commons. Il accuse ces réseaux sociaux de dénaturer la notion de « partage » qui était l’un des piliers fondateurs d’Internet, pour mieux capter les utilisateurs sur leurs plateformes :
Facebook ne se préoccupe que de Facebook. Partager pour eux signifie partager… sur Facebook. Se connecter avec d’autres personnes signifie se connecter avec d’autres personnes.. sur Facebook [...]
Facebook et Instagram ne permettront jamais l’usage des licences Creative Commons, parce qu’ils veulent vous avoir vous, avec vos contenus et votre attention, qui sont les clés vers l’argent et le pouvoir. Maintenant qu’ils les ont, pourquoi se préoccuperaient-ils de grands principes ?
Il existe bien un moyen de mettre ses photos Instagram sous CC, mais il a été mise en place « de l’extérieur », par un militant, en utilisant l’API du service, avec des résultats mitigés.
Dans un autre billet, j’avais essayé de montrer que si elles ne règlent pas toutes les questions, les licences Creative Commons peuvent permettre aux utilisateurs des médias sociaux de conserver une meilleure maîtrise de leurs contenus.
En tout cas le paysage semble se partager nettement en deux catégories, entre les services qui permettent l’usage des CC (Flickr, YouTube, Vimeo, Soundcloud, etc) et ceux qui n’offrent pas cette possibilité à leurs membres (Facebook, Instagram, Twitter, LinkedIn).
Certains pensent que ce changement de politique est « suicidaire » de la part d’Instagram, mais l’avenir nous dira si une mobilisation se produit et si elle suffit à leur faire rebrousser chemin. On estimait que 12% des internautes adultes utilisaient Instgram : combien d’entre eux choisiront-ils de clore leurs comptes et de récupérer leurs photographies grâce à un service comme Instaport ?
PS : EFF note d’ailleurs qu’utiliser un service tiers comme Instaport est contraire aux CGU d’Instagram qui interdisent le crawling et le scraping de son contenu. Instagram osera-t-il agir pour empêcher ses membres d’utiliser Instaport ? Sans doute pas…
Mise à jour du 18/12/12 au soir : A noter cet article à contre-courant sur Wired qui demande aux internautes d’arrêter de pleurnicher sur leurs données personnelles revendues par Instagram.
A propos de la propriété des contenus, il affirme ceci, de manière provocatrice :
But why should companies be able to profit from my work? What about my copyri—No. You’re probably not a professional photographer, and if you are, you aren’t putting your professional portfolio on Instagram. What you probably are is one of Instagram’s million users who have been getting daily gratification for something that costs zero dollars. Zero. Can you think of a single other activity in your life that’s both enjoyable and free? The Internet costs you money, your Netflix subscription comes with a fee, the books you pick up or download all have price tags. But Instagram has always been gratis, and you’ve taken this so far for granted that you feel entitled to a free ride on the filter train for the rest of your snapping life. The notion that a company should figure out some way to make money in order to not destroy itself doesn’t compute. The violence of capitalism dictates that a business needs to make money no matter what or die, and by using Instagram, you’re in on the mortality.
Il est vrai qu’une partie non négligeable des photos postées sur Instagram ne sont sans doute pas assez originales pour être protégées par un droit d’auteur…
Mise à jour du 19 décembre :Waow ! Cela n’aura pas tardé ! Devant le tollé soulevé par ce changement de CGU, Instagram publie un billet pour indiquer qu’il n’a nullement l’intention de vendre les photos de ses utilisateurs à des publicitaires et il annonce une modification rapide pour clarifier ce point. A suivre…
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