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L'Histoire, devoir ou culture ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 17/07/2012

Remettre l’Histoire au cœur de notre enseignement, tenter de ressusciter les humanités, une ambition démocratique de haute volée.

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L'Histoire, sous toutes ses formes, est à l'honneur, ces derniers jours.
On vient de découvrir à Budapest un vieillard de 97 ans, Laszlo Csatary, soupçonné d’être complice de la mort de 15700 juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Alerté, il a pris la fuite.
La Maison de l’Histoire de France, contestée par beaucoup d’historiens, vient de voir son développement suspendu par la ministre de la Culture et sera sans doute heureusement supprimée. Le président de la République, en effet, a toujours manifesté son opposition à ce projet. Il a raison car on ne fige pas plus l’Histoire dans une Maison qui lui serait officiellement réservée que dans des lois cherchant artificiellement à brider son évolution et ses recherches. Je regrette que François Hollande, malgré ces évidences, ait continué à militer cependant, comme son prédécesseur, en faveur d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien. Il me semble qu’il y a là une contradiction qui s’explique par le poids d’un clientélisme auquel on ne croit pas pouvoir se soustraire. Dommage que FH n’ait pas tenu à marquer sa différence.
Plus gravement, alors qu’on va commémorer les soixante-dix ans de la rafle du Vel’d’Hiv, on constate que « les jeunes ne la connaissent pas puisque selon un sondage pour l’Union des étudiants juifs de France, 60% des moins de 35 ans n’ont jamais entendu parler d’elle » (Le Parisien, Libération). Il y a eu, selon une note de police du 21 juillet 1942, l’arrestation de 3118 hommes, de 5919 femmes et de 4115 enfants, soit 13 152 arrestations.
Ce constat d’ignorance abyssale montre qu’on fait fausse route en assénant aux jeunes générations « un devoir de mémoire » qui, présentant sous forme d’obligation la connaissance de notre Histoire tragique, révèle ses limites et n’atteint pas son but. Autrement dit, la faiblesse du devoir de mémoire tient au fait qu’il n’est partagé que par ceux qui directement ou indirectement ont eu à faire avec les malheurs anciens. Les jeunes gens résistent à cette injonction et pourtant comme elle est rappelée, répétée, ressassée !
On ne compte plus tout ce qui inlassablement, obstinément tente de remettre dans notre présent l’Holocauste et Vichy, grâce à des émissions, des rétrospectives, des reportages, des déclarations, des commémorations, des films, des mémoires, des avertissements et des indignations. Impossible, pour peu qu’on fasse preuve d’une curiosité minimale, de manquer l’une ou l’autre de ces séquences destinées à actualiser l’immonde d’il y a si longtemps et à le rendre vivant dans les jeunes esprits et les cœurs ouverts.
Force est d’admettre que non seulement ce raz-de-marée n’entraîne aucune des conséquences souhaitées mais, pire, n’empêche pas l’explosion de l’antisémitisme.
Le malentendu provient de cette volonté de spécialiser ce qui relève de notre Histoire tragique, notamment la rafle du Vel d’Hiv, alors que cette dernière ne pourrait être appréhendée que si elle faisait partie d’une culture historique infiniment plus vaste qu’elle. C’est parce que l’enseignement de l’Histoire a été sinon abandonné du moins négligé que les événements, à l’égard desquels le devoir de mémoire est vain, ne sont pas familiers à la jeunesse. Les décrets impérieux qui viseraient par morale à contraindre les intelligences à se souvenir ou à connaître n’auront jamais la moindre efficacité. Il faut cesser de croire que les Himalaya de l’horreur seront étudiés grâce à une disposition de l’âme ou une curiosité compassionnelle alors qu’ils ne le seront qu’en étant intégrés à la richesse d’un savoir global, à la culture générale de personnalités en recherche embrassant l’Histoire comme une chance, une matière capitale, une formidable passerelle entre le passé lointain, la France passée dans ses ignominies et ses gloires et celle d’aujourd’hui, pour mieux inventer celle de demain.
Le scandaleux, c’est que l’ignorance de la rafle du Vel d’Hiv fasse, d’abord et surtout, apparaître une ignorance historique. Elle ne viole pas un devoir mais souligne un vide béant. Elle est inculture avant d'être indécente.
Remettre l’Histoire au cœur de notre enseignement, tenter de ressusciter les humanités, une ambition démocratique de haute volée.


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