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L'état d'urgence devant le Conseil constitutionnel

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, 12/12/2015

Par une procédure efficace et rapide, ouverte le 3 décembre dernier, la juridiction administrative permet un contrôle prompt de la constitutionnalité du régime de l'assignation à résidence en état d'urgence
Le Conseil constitutionnel est saisi en QPC
L'état d'urgence devant le Conseil constitutionnel
Les sept décisions rendues dans la soirée du vendredi 11 décembre 2015 par la section du contentieux du Conseil d'Etat décident, moins d'un mois après les attaques terroristes ayant frappé le territoire national le 13 novembre dernier, de questions importantes, tant de procédure que de fond, de ce droit public, en rapide refondation, de la défense et de la sécurité nationale (CE sect. 11 déc. 2015, n° 395 009, n° 394 990, n° 394 992, n° 394993, n° 394 993, n° 394989, n° 394991 et n° 395 002.

Elles sont accessibles par le site du Conseil d'Etat, accompagnées par une synthèse et une présentation raisonnée dont la qualité et la clarté rendent vaine une répétition qui ne pourra qu'en dégrader l'efficacité informative. L'on y renverra, donc.

De ces décisions, la plus forte de conséquences juridiques et politiques est, très probablement, celle rendue, sur les conclusions du rapporteur public Xavier Domino, en réponse à la requête et aux conclusions soutenues par Me Denis Garreau (avocat aux conseils). Il faisait appel d'une ordonnance du juge du référé-liberté de Melun, dans l'intérêt d'un militant écologiste assigné à résidence à Ivry-sur-Seine. Cette mesure a été prise par le ministre de l'intérieur en vue de prévenir, dans le contexte de la conférence mondiale sur le changement climatique, les troubles à l'ordre public dont les contestations actives et récentes, par ce même militant, de l'enfouissement des déchets radioactifs à Bure et de la COP 21 donnent des raisons sérieuses à penser que, compte tenu des circonstances ayant conduit à l’état d’urgence, il constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. L'intervention de la Ligue des droits de l'homme (représentée par Me Patrice Spinosi, avocats aux conseils) a été admise.

Le Conseil d'Etat a décidé que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Me Denis Garreau contre le dispositif législatif de l'assignation à résidence en état d'urgence présente un caractère sérieux et l'a renvoyée à la décision du Conseil constitutionnel. Inscrite sous le numéro 2015-527 QPC, elle y est appelée à l'audience du jeudi 17 décembre 2015 (que l'on devrait pouvoir suivre en direct sur le site du Conseil constitutionnel, sauf opposition de l'une des parties).



Les linéaments de la QPC
Me Denis Garreau faisait valoir que la mesure, préventive, de police administrative de l'assignation à résidence méconnaît le droit de mener une vie familiale normale, la liberté de réunion et de manifestation et que son dispositif législatif traduit une incompétence négative du législateur ayant abandonné les compétences qui lui incombent au titre de l'article 66 de la Constitution pour assurer le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu.

Il invoquait, surtout, l'atteinte portée à la liberté d'aller et de venir. Dans sa décision de renvoi, la section du contentieux souligne que cet aspect présente, en particulier, un caractère sérieux et souligne immédiatement que l'assignation à résidence, eu égard à sa durée et aux conditions de son exécution, n'est pas une mesure privative de liberté. Cette appréciation n'est pas indifférente à l'égard de la création, discutée aujourd'hui, de l'obligation de port de bracelet de sécurité pour les personnes ayant été convaincues de la commission d'actes de terrorisme.

La combinaison de la QPC avec l'office du juge administratif du référé-liberté
Face à une QPC, le juge administratif du référé-liberté (qui est disponible tous les jours de l'année, sans aucune interruption) doit examiner, d'abord, si la juridiction administrative est compétente, si la requête est recevable et si l'urgence est démontrée. L'on sait, dorénavant, que l'assignation administrative à résidence en état d'urgence porte, en principe et par elle-même, une situation d'urgence pour le requérant, contrairement à ce que viennent de juger la quasi-unanimité des premiers juges des référés. Le Conseil d'Etat a réservé, avec prudence, le cas des circonstances particulières dont pourraient se prévaloir l'administration; comme celles, on peut l'imaginer, résultant d'un encadrement minimal et souple des déplacements pour une brève durée.

Dans un second temps, ce juge doit examiner la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est soumise pour décider de son renvoi au Conseil d'Etat. Mais, même s'il décide de ce renvoi, donc s'il estime qu'il y a une question nouvelle ou sérieuse de constitutionnalité, il lui appartient, cependant, de décider des mesures provisoires ou conservatoires que lui autorise son office de juge des libertés fondamentales. Cette solution permet la continuité de la garantie juridictionnelle.

L'on observe que ce dessin volontariste de l'office du juge du référé-liberté ne vaut, pour l'heure, que pour lui. Il serait hasardeux d'en tirer une lecture extensive, par exemple pour l'office du juge du référé précontractuel, bien qu'il soit, après tout, lui aussi le juge d'une liberté économique.

Sur le fond, l'amorce d'une jurisprudence de la conciliation concrète entre les libertés et la sécurité
Bien peu peuvent tenter l'audace d'une prévision de la jurisprudence du Conseil d'Etat. L'on ne s'y hasardera pas, en s'évitant les dangers d'un pareil vertige.

En restant au stade de la seule observation, il ne devrait pas être absolument erroné de considérer que les décisions du 11 décembre 2015 de la juridiction administrative suprême, prises en matière d'état d'urgence dans l'une de ses formations de jugement les plus solennelles par 15 de ses membres, devraient être une assez bonne boussole de la méthode et de l'approche qui seront retenues par la nouvelle formation spécialisée instituée, rappelons-le, pour le contentieux spécial de la mise en œuvre des techniques de renseignement et de l'accès aux fichiers intéressant la sûreté de l'Etat.

Sur le fond, le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'y avait pas à y avoir un lien entre le motif du péril imminent ou de la calamité publique retenu pour instaurer l'état d'urgence et la mesure administrative de mise en œuvre de ce régime de police administrative exceptionnelle. L'on note que la décision réglementaire initiale de déclarer l'état d'urgence comme la loi autorisant sa prolongation ne qualifient ni ne visent avec précision les causes retenues. Le champ couvre toutes les situations susceptibles, en elles-mêmes ou par leur combinaison, de dégrader l'ordre public, de le mettre en risque ou d'affecter l'efficacité des moyens étatiques.

Il faut se demander si ce n'est pas l'usage de la voirie publique ou du domaine public qui est ici, en cause. L'on est, sans doute, invité à distinguer l'exercice de la liberté de réunion ou de manifestation dans un lieu clos et privé, n'entraînant aucun risque d'occupation anormale de l'espace public et toutes les formes de dissémination du risque qui nécessitent la mobilisation des forces étatiques, préventives et répressives, en vue du maintien de la sécurité publique. La numérisation et les réseaux sociaux permettent, à cet égard, une visibilité toute aussi puissante des événements tenus dans des environnements privés.

Cette actualité jurisprudentielle ne devrait pas rester cantonnée au sphères spécialisées des amateurs avertis. Elle mérite d'être diffusée largement car elle est profondément rassurante. En effet, la juridiction administrative, qui n'est pas, par ailleurs, exempte de toute faiblesse et indemne de toute critique fondée, apporte trois démonstrations puissantes et réconfortantes pour la collectivité nationale.

Elle démontre qu'il y a un juge accessible, efficace et impartial pour la protection des libertés fondamentales.

Elle démontre que nous ne faiblissons pas face à nos ennemis déclarés et que nous nous opposerons à leurs entreprises mortifères dans le respect profond des règles et des réalités de l'Etat démocratique de droit, sans faire muter les principes républicains.

Elle démontre une mesure, une disponibilité et un sang-froid dans le traitement de ces contentieux délicats, qui ne peuvent que rassurer.


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