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People, peuple à la plage

Justice au singulier - philippe.bilger, 11/08/2012

La vérité douce, amère sort de la bouche des enfants. Soukhaina, âgée de 10 ans :" Je dirai à mes amis que je suis allée à la plage, même si y a pas vraiment la mer, ici."

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Il nous faudrait le Gala du pauvre, Le Figaro Madame de l'anonyme, le Elle de la grisaille.
Pour aller voir, derrière l'éclat et le luxe d'un certain monde, ce qui se cache, ce qu'on ne veut pas connaître. Ce qui pourrait troubler.
Il y a des initiatives pourtant heureuses qui dévoilent bien plus l'inégalité de notre société que tous les discours politiques.
Le maire de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour la deuxième année consécutive, a installé une plage du 16 juillet au 10 août. Elle est "coincée entre des immeubles en béton et des pavillons plus chics" (Le Monde, sous la signature de Faïza Zerouala).
"Une piscine, du sable, trois palmiers: le goût des vacances à Rosny-Plage".
Apparemment inspirée par celle de Paris Plages, il me semble pourtant que cette création artificielle en été d'un univers à la fois bienvenu et pathétique révèle une France sous un jour infiniment plus triste que les fulgurances parisiennes et "bobos", renouvelées, de Bertrand Delanoë. On gratifie les uns avec l'illusion de la pauvreté - le comble du chic urbain - et on réchauffe les autres avec l'illusion étriquée de la richesse.
Nous lisons à longueur de pages des reportages, des enquêtes sur ces cités proches de Paris pour lesquelles on nous propose seulement l'alternative de la violence ou de la misère. La télévision, souvent durant la période estivale, pour "meubler", se rend dans ces lieux comme en terre de mission pour s'interroger gravement sur ces habitants qui ne peuvent pas partir en vacances et sur des jeunes qu'on envoie dans le Sud en groupe pour leur faire connaître le soleil, la mer, la saveur, mais de très loin, d'une existence de riches. Notre pays est ainsi composé d'une infinité de petits pays, les uns somptuaires, les autres accablés ou nostalgiques. Etrangers les uns aux autres. Pas d'unité mais pas de guerre sauf, quand la crise mord, en de terribles et dévastatrices explosions.
Tant que par le raisonnement, l'analyse ou la protestation, on cherche à culpabiliser ceux qui possèdent pour qu'au moins ils jouissent sans bonne conscience, force est de constater que si l'effort est méritoire, le résultat est mince. Comme si par une sorte de fatalisme commode on se résignait à accepter sa condition privilégiée parce qu'il n'y aurait rien d'efficace et de salutaire à mener contre l'ordre des choses et l'élégante et distinguée lutte des classes.
Mais Rosny-Plage, ce n'est pas de l'idéologie qu'il serait possible, voire facile de contester. C'est au contraire la démonstration nécessaire, ostensible, déprimante, dans une quotidienneté qui ne rêve même pas d'autres couleurs, du peu qu'on offre avec bonne volonté quand l'horizon est bouché et qu'on est tenu à sa cité comme d'autres, il y a longtemps, à leur glèbe. Faute pour le destin de chaque jour d'avoir le droit de s'évader de sa gangue pour se réchauffer ailleurs, on s'empare de quelques stéréotypes pour faire croire à ces gens immobiles par contrainte qu'ils ont presque bougé.
Rosny-Plage fend le coeur parce qu'en tentant de combler une absence, le maire manifeste à quel point la destinée de beaucoup est sans issue. La mer, la plage, le décor: un théâtre qui fait mal. Le 10 août, la vraie vie reprendra le dessus et sera-t-elle moins décevante que ces vacances fabriquées ?
Il ne s'agit pas de démagogie ni de misérabilisme. Je suis persuadé que dans cette communauté des bonheurs, des joies, des attentes se manifestent, que le fil des jours n'est pas seulement morose et que même Rosny-Plage apporte un supplément de joie. Mais tout de même quelle mélancolie civique de percevoir qu'aux bouts de l'échelle sociale, on n'est confronté qu'à la vulgarité insouciante, surabondante et somptuaire ou à ce simulacre de plage en plein béton.
La vérité douce, amère sort de la bouche des enfants. Soukhaina, âgée de 10 ans : " Je dirai à mes amis que je suis allée à la plage, même si y a pas vraiment la mer, ici."


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