Emmanuel Macron : la pitié républicaine
Justice au Singulier - philippe.bilger, 23/12/2018
La pitié n'est pas un sentiment revigorant. Elle révèle parfois chez ceux qui l'éprouvent plus de condescendance que de sincérité et peut offenser qui en est l'objet. Aussi ce n'est pas sans une certaine prudence qu'au sujet de notre président de la République j'évoque une "pitié républicaine", "dangereuse" sans doute, mais sur un autre registre que celle de Stefan Zweig.
A vrai dire elle n'est pas née parce que subitement - à partir de l'affaire Benalla et de sa calamiteuse gestion - Emmanuel Macron a perdu du crédit, laissant se dilapider le capital de confiance que lui avait assuré auprès des Français une première année de qualité.
Elle ne pouvait pas davantage être suscitée par les maladresses, imprudences, arrogances et discutables postures que la liberté du président avait engendrées et qui relevaient de sa seule responsabilité. Fondées essentiellement sur une méconnaissance du caractère des Français qui désiraient de l'allure mais aussi de la simplicité. De la vérité mais non de la brutalité.
Il était hors de question, durant deux semaines, avec l'apparition des Gilets jaunes dans notre espace démocratique, de le gratifier d'une quelconque pitié tant le pouvoir - et lui au premier chef - enfermé dans une autarcie technocratique se flattait d'une inflexibilité prétendue si nouvelle par rapport au quinquennat précédent.
A partir de quand ai-je commencé à sentir monter en moi une pitié républicaine pour ce chef de l'Etat passé de la grâce fulgurante de la campagne et des premiers mois de mandat à l'opprobre presque absolu ?
Une haine inconcevable, des sorties devenues impossibles, des insultes publiques, des menaces de mort et de guillotine, une atmosphère d'incandescence furieuse, les riches honnis, démission et destitution exigées, hurlées ! Le président comme cible quasi exclusive. Réunissant contre lui, dans une étrange synthèse, les ennemis de la frivolité de Marie-Antoinette et les révolutionnaires aspirant à se débarrasser de Louis XVI.
Les coups de force d'une part des GJ, répudiant la légitimité de son élection et poussant à son départ par n'importe quel moyen, m'ont scandalisé mais dans cette crise comparable à nulle autre, ils me semblaient presque l'inévitable rançon d'un délire collectif que la France n'avait jamais connu à ce point.
La pitié républicaine m'a saisi quand défait, impuissant, tout de bonne volonté et d'étonnement stupéfié, Emmanuel Macron a accepté l'idée, l'effroi qu'il n'était plus maître de rien.
En effet, je crois que j'ai changé de cap après la courte allocution d'Emmanuel Macron le 10 décembre - enfin il parlait - qui mêlait, dans le ton, mélancolie, recherche désespérée d'une communauté enfuie et empathie. D'aucuns ont immédiatement mis en doute sa sincérité, craint la manipulation et accru leur hostilité à son encontre. Comme si, confronté à une crise extrême dont il risquait d'être la principale victime, il devait être forcément, pour se sortir de la nasse, mensonger et roublard. Tacticien et non pas convaincu.
Dans nos existences, il nous arrive de changer le cours de nos trajectoires et d'accepter qu'aujourd'hui modifie hier avant d'être à son tour métamorphosé par demain. Intelligence et sensibilité nous y incitent, parfois nous l'imposent. Je ne vois pas pourquoi la pratique présidentielle serait forcément insincère dans ses infléchissements parce qu'une révolte collective les aurait rendus nécessaires.
Par la suite - ce fut encore plus net - on a observé avec quelle minutie et quel acharnement Emmanuel Macron, pour remonter le courant, s'est efforcé de retirer de soi et de ses comportements ce qui avait irrité une majorité pour lui substituer des attitudes de simplicité, de proximité, presque de banalité. Ce qui m'a navré est qu'elles étaient sur-le-champ frappées de caducité, soupçonnées, moquées. Toute humanité lui était déniée. Le jeu de massacre devait se continuer puisqu'il était un fourbe et que beaucoup de Gilets jaunes le condamnaient.
La Courtepaille en France comme le réveillon au Tchad et l'hommage aux soldats de Barkhane et, par ailleurs, un verbe prudent, fuyant la provocation comme la peste, apaisant, apaisé, prêchant le compromis, se repentant des erreurs d'avant, se fustigeant pour son aveuglement antérieur, proposant sur le tard une libération nationale de la parole, un dialogue sur internet - gestes, concessions et déclarations tenus pour rien, sans qu'apparemment ils fassent tomber le niveau de haine. En ne parvenant même pas à le faire descendre de la détestation régalienne à l'hostilité politique, ce qui serait déjà un progrès.
On lui réclame de la distance : on l'accuse d'être trop proche. On lui réclame de la proximité : on l'accuse d'être trop distant. N'a-t-il pas trouvé la bonne relation, le juste lien ou le peuple ne sait-il pas exactement ce qu'il attend de son président ?
Quand j'entends le président proclamer que "l'ordre, le calme et la concorde" doivent dorénavant régner, j'approuve évidemment ces voeux, ces injonctions mesurées mais je les sais pieux. Tant sa tâche va être épuisante, si jamais il y parvient, pour redonner de la crédibilité à sa parole présidentielle et inspirer aux citoyens l'envie de la respecter (Le Figaro).
La pitié républicaine, elle m'habite. Parce que je conçois tous les antagonismes politiques et leur virulence mais que je pourfends l'injustice. Le président - j'en suis persuadé - durant les prochains mois n'accomplirait que des actes positifs et ne proférerait que de l'incontestable que probablement il ne se relèverait pas dans les sondages. Une image est cassée et la pitié républicaine revient à rendre hommage à ses efforts et à regretter qu'on refuse systématiquement de les reconnaître, de les couronner de succès.
Emmanuel Macron n'a pas droit à la facilité de son Premier ministre qui, s'il prend des coups, se dit capable de les rendre (JDD).
J'espère, pour les trois années de mandat qui lui restent, que le président de la République n'aura plus besoin d'une pitié républicaine, d'un soutien attristé mais bénéficiera d'une adhésion renouvelée. Tel un second souffle après cette première tempête.
Parce qu'il aura su modifier en lui et autour de lui ce qui devait l'être pour mieux présider un pays incomparable.
Le sien, le nôtre.