« Monsieur Heaulme, pourquoi vous tuez ? – Je sais pas »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 9/05/2017
Avant d’entendre le gendarme Jean-François Abgrall, qui a coordonné la plupart des enquêtes ouvertes contre Francis Heaulme et dont la déposition est attendue mardi 9 mai en début d’après-midi devant la cour d’assises, le président Gabriel Steffanus annonce qu’il a « quelques questions » à poser à l’accusé du double meurtre de Montigny-Les-Metz. Elles vont durer 55 minutes.
« Pourquoi vous tuez les gens, M. Heaulme ? Il y a des femmes, des hommes, des enfants, des adolescents, des adultes, des personnes âgées. Pourquoi vous faites ça ?
– Je ne sais pas.
– Vous ne les connaissez pas. Elles ne vous ont rien fait. Pourquoi ?
– Je ne sais pas. J’peux pas dire. J’peux pas.
– Mais qu’est-ce qui vous prend ? Un quart d’heure avant de les rencontrer, vous n’avez pas de projet et vous les tuez.
– Montigny, c’est pas moi.
– Je ne vous parle pas de Montigny. Mais des autres. Pourquoi ?
– J’suis incapable de vous dire.
– Quel est le mobile ?
– On se moque de moi.
– C’est pas logique, ça, M. Heaulme. on ne tue pas quelqu’un parce qu’il se moque. Pourquoi 83 coups de tournevis quand on a étranglé ? Pourquoi 25 coups de couteaux sur une femme ? Pourquoi 53 coups de couteaux sur une autre, de 86 ans ? Les victimes sont retrouvées méconnaissables. Dans de nombreux cas, c’est le visage qui est touché. Et puis, les victimes ne sont pas dépouillées. On ne leur vole rien. Elles ont leurs papiers, leur portefeuille. C’est brut. On rencontre quelqu’un, on le tue, il y a des coups partout et puis on s’en va. Et puis les crimes ont lieu dans des endroits isolés, un champ de tournesols, une route de campagne, un bosquet, une zone arborée. Et puis, la plupart du temps, elles ont été totalement ou partiellement déshabillées. Et puis, dans les jours qui suivent, vous êtes admis dans un centre d’urgence à l’hôpital, puis dans un hôpital psychiatrique, pour un malaise ou des blessures que vous vous êtes faites vous-même. Monsieur Heaulme, dites-nous pourquoi. Pourquoi ?
Silence.
– On a besoin de savoir.
-Montigny, c’est pas moi.»
Le président Steffanus ouvre un premier dossier. « Lyonnelle Gineste. Elle n’avait pas 19 ans. Elle arrivait en gare de Pont-à-Mousson, en provenance de Metz. Elle rentrait chez ses parents. Elle a fait du stop. On a retrouvé son cadavre le lendemain en forêt. Elle était dévêtue. Il y avait un sillon profond autour de son cou. Elle avait été étranglée. Des traces témoignent d’une tentative d’égorgement. Elle a tenté de se défendre, son cou porte l’empreinte de sa bague en forme de cœur quand elle a essayé de desserrer l’étreinte. Francis Heaulme a avoué, puis s’est rétracté. Son complice a été retrouvé. Il a dit que la gamine, vous l’aviez saccagée. Il a pris dix ans, vous trente. »
Deuxième dossier. « Annick Maurice, 36 ans, elle était employée de magasin. Elle passe sous l’échangeur de Metz Nord pour se rendre à son travail. Sa collègue qui l’attend de l’autre côté ne la voit jamais arriver. Quatre mois plus tard, son corps est retrouvé dans un bosquet, le visage défiguré. Elle a été frappée et étranglée, son pantalon a été déboutonné. Il y avait deux hommes avec vous. L’un était mort au moment de l’enquête. L’autre a parlé. il a dit que vous l’aviez emmenée de force dans la voiture. Et qu’après l’avoir étranglée, vous avez dit : “ça suffit, on se barre”. Il a pris quinze ans, vous trente.
– Pourquoi ?
Silence
– Pourquoi ?»
Silence.
Troisième dossier. « Georgette Manesse a 86 ans. Elle est allée faire des courses avec sa voisine Ghislaine Ponsard. Son fils vient lui rendre visite. Il découvre le corps de sa mère dans le couloir, celui de sa voisine un peu plus loin. Georgette Manesse a huit coups de couteaux dans la poitrine. Ghislaine Ponsard, 51 coups. Vous avez d’abord dénoncé un clochard. Puis vous avez dit : « C’est moi, c’est moi. J’étais en pleine crise. Je me suis senti en état de guerre. Il fallait que je tue. Je voyais rouge, j’ai frappé. » Vous vous êtes rétracté devant le juge. Vous avez dit que vous aviez vu les deux femmes allongées mais que vous ne les avez pas touchées.
– Je réponds plus. J’écoute plus.»
Quatrième dossier. « Sylvie Rossi a 30 ans. Elle s’était arrêtée au volant de sa voiture, vous avez dit qu’elle consultait une carte routière. Vous lui avez demandé de vous prendre en stop, elle a refusé. Son corps dénudé a été retrouvé sur un chemin de terre bordé de luzerne, les jambes écartées. Elle avait le foie éclaté, le visage tuméfié, le nez fracturé, les lèvres écrasées et portait des traces de strangulation autour du cou. Pour ces trois meurtres, vous avez été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec vingt ans de sûreté. Vous n’avez pas fait appel. »
Cinquième dossier. « Joris avait 9 ans, il était belge, ne s’exprimait qu’en flamand. Il revenait des toilettes du camping, pas loin de la caravane de ses parents. Son corps a été retrouvé à 12 km de là. Il avait été étranglé à mains nues. Il portait 83 traces de coups portés avec un objet pointu sur tout le corps, alors qu’il était encore vivant. Le lendemain, vous avez été hospitalisé à proximité dans un état d’agitation importante, vous vous étiez éraflé les veines. Vous avez avoué l’avoir tué à coups de tournevis, puis vous vous êtes rétracté. Vous avez dit : “C’est l’autre qui a frappé. Je le voyais à travers la vitre, il ne se maîtrisait plus.” Vous avez été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. »
Sixième dossier. « Aline Peres avait 49 ans. Elle était infirmière, elle prenait un bain de soleil seule sur une plage. Son corps a été découvert vers 19 heures, il y avait des traces de sang sur des dizaines de mètres, elle avait reçu des coups de couteau à la gorge, au bras, sur le thorax, dans le dos. Elle s’était débattue. Un témoin qui était avec vous au foyer Emmaüs a assisté à la scène. Vous avez été condamné à vingt ans de réclusion. »
Septième dossier. « Laurence Guillaume avait 14 ans, elle s’est rendue en cyclomoteur à la foire de Metz. Vous sortiez d’une cure de désintoxication, vous avez offert à boire à un groupe de jeunes dont elle était. Quand elle est partie, vous l’avez suivie en voiture avec son cousin, il a percuté le cyclomoteur. Le cousin voulait avoir une relation sexuelle avec sa cousine. Son corps entièrement dénudé a été retrouvé deux jours plus tard à la limite d’un champ. Il portait la trace de 17 plaies de coups de couteau, dont une avait transpercé le cœur.
– Pourquoi ?
– Je ne répondrai plus à vos questions. »
Huitième dossier. « Jean Remy avait 63 ans, il était ouvrier à la retraite, atteint de la maladie de Parkinson. Son corps a été retrouvé le long de la côte à Boulogne-sur-Mer. Il avait reçu des coups de couteau sur le corps et des coups de pierre sur le visage. Vous étiez venu ce jour-là en train à Boulogne pour ramasser des coquillages pour votre amie Georgette. Vous êtes rentré et vous lui avez offert les coquillages. Vous avez reconnu le crime, puis devant le juge, vous vous êtes rétracté.
-Montigny, c’est pas moi.»
Il est l’heure d’aller entendre le gendarme Abgrall.