Quoi de neuf sur le front du droit d’auteur et de l’information ?
Paralipomènes - Michèle Battisti, 24/03/2013
Un cours à assurer prochainement, l’occasion de reprendre quelques sujets émergeant de ma veille sur le droit de l’information et de les présenter, cette fois-ci dans un billet sur un modèle adopté dans le passé.
Maîtriser ses données personnelles. Jusqu’où ?
Les données personnelles : l’or noir de l’économie. Comment protéger les citoyens ? C’est l’objet d’un projet de règlement européen en cours de discussion au Parlement européen et, en France, d’un projet de « loi pour renforcer la protection des données personnelles des citoyens sur Internet ». Comment concilier protection et enjeux économiques ? Question complexe illustrée par le lobbying intense réalisé sur le texte européen mais comme l’indique Le Figaro, par le représentant français auprès de la commission européenne pour les enjeux du numérique qui souhaite « fermer la CNIL » dont la régulation est jugée excessive alors que le projet de loi entend renforcer les pouvoirs de cette autorité administrative. Et une question essentielle, elle aussi : comment concilier droit à l’oubli et devoir de mémoire ? Ce qui fut souligné fort opportunément par l’AAF dans un communiqué récent porté par l’IABD et Eblida. A suivre …
Un libre accès aux résultats de la recherche
Ce serait bientôt le cas pour la recherche financée par des fonds publics. Une velléité ancienne qui aboutirait grâce à une (forte) recommandation européenne, mais qui suscite des inquiétudes dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) où les durées d’embargo sont généralement plus longues que les 12 mois accordés par le texte européen.
Oui, donc, à « I love OA », pétition relayée par Le Monde, mais aussi à une étude d’impact pour le secteur SHS pour balayer les inquiétudes face à qui a été perçu comme un couperet, et bâtir ensemble « un nouveau contrat scientifique, éditorial et commercial entre chercheurs, éditeurs et lecteurs » que les pétitionnaires du Monde (dont fait partie l’IABD) appellent de leurs vœux.
Nul besoin d’une cession exclusive aux éditeurs, une recommandation pourtant basique faite depuis longtemps comme l’indique la boîte aux outils destinée aux chercheurs (dans une traduction à laquelle j’ai participé), Le droit d’auteur dans le débat sur le libre accès aux résultats de la recherche, ou encore Un droit d’auteur sui generis pour les articles scientifiques ? etc.
Une préconisation désormais déclinée sur tous les tons, même dans une vidéo et, en Allemagne, un projet de loi qui autoriserait les chercheurs à mettre en libre accès la version acceptée par l’éditeur (post-publication) en dépit de l’existence d’une cession exclusive des droits. L’éditeur ne conserverait les droits que pour la version publiée, ce qui ne représente (souvent) qu’une mise en forme particulière. Sachant que le droit d’auteur protège la mise en forme originale des idées et non les idées elles-mêmes, il n’y avait qu’un pas … franchi ici.
Loi sur les livres indisponibles. Mode d’emploi ?
21 mars 2013. Salon du livre. La loi du 1er mars 2012 vient d’être complétée par un décret spécifiant les modalités de fonctionnement du registre des livres indisponible et un arrêté sur la composition et le fonctionnement du comité chargé de l’administrer. C’est ce qui permet de découvrir ReLIRE, Registre des livres indisponibles en réédition électronique, et la complexité du dispositif fixé par la loi. Restent à découvrir la société de gestion collective qui sera agréée (sans doute la Sofia) et les conditions imposées pour tout usage collectif, aux bibliothèques notamment, ainsi que les recherches diligentes qui seront réalisées pour retrouver les ayants droit et éviter de se trouver face à des livres orphelins [1]. Six mois sont laissés à présent aux auteurs et/ou à leurs éditeurs pour s’opposer à la gestion des droits de leur livre par une société de gestion collective ou … rectifier des erreurs [2].
Les œuvres concernées n’étant plus commercialisées, on a pu considérer que la clause d’exploitation permanente et suivie n’ayant pas été assurée par les éditeurs, les auteurs récupéraient leurs droits. La loi du 1er mars permet de passer outre. Conformément au système d’opt-out ou droit d’opposition a posteriori adopté ici, faute d’avis contraire, le livre référencé dans le registre sera exploité par une société de gestion collective. L’éditeur qui s’y oppose doit prouver avoir les droits de la version imprimée ; les auteurs ou leurs ayants droit qui voudraient exploiter eux-mêmes leur livre doivent prouver avoir tous les droits. Comment ? Une cession des droits (plus courte que la durée légale des droits d’auteur) aujourd’hui échue ? Un auteur mort avant 1943 (faisons simple) ? La non exploitation après deux demandes faites par l’auteur ou son ayant- droit selon la procédure prévue précédemment ?… A suivre donc aussi.
Un modèle de contrat d’édition numérique. Enfin !
4 ans de négociations tout de même ! Intimement lié au thème précédent, grâce à ActuaLitté, Livres Hebdo, Le Monde ou Libération [3] notamment, on connaît les détails de l’accord signé par les auteurs et les éditeurs.
Un même contrat pour la gestion de la version papier et de la version numérique qui met fin au « principe de réversibilité », évoqué à l’instant, qui suppose qu’ « à défaut d’exploitation permanente et suivie de l’éditeur sur un support, l’auteur récupère tous ses droits ». La fin de l’exploitation sur un support n’entraînera donc pas automatiquement la fin de l’exploitation de l’autre. Voilà au profit des éditeurs !
Les auteurs, eux, obtiennent des garanties sur l’exploitation de leur œuvre notamment par les dispositions sur les clauses de réexamen et de reddition des comptes, y compris pour la version numérique, moins sur la fin de l’exploitation ou « clause d’encéphalogramme plat » car applicable, dans les faits, qu’en cas de cessation d’activité de la maison d’édition [4].
En vrac
Une actualité riche et donnant lieu à de multiples développements, arrêtons-nous là, cependant.
Signalons tout de même que l’on pourrait voir apparaître prochainement une Lex Google en Allemagne, que le phénomène Harlem Shake favoriserait un droit de citation pour la musique, les nombreux focus jetés par Legalis (notamment celui-ci) sur les usages d’internet par les salariés, l’exception pédagogique examinée prochainement par le Sénat dans le cadre du projet de loi sur la Refondation de l’école de la République, la possibilité (future) de revendre ses livres électroniques qui me rappelle un cas abordé par la Commission européenne, etc.
Illustrations
l1 Ebullicion/ ebullition. Druidabruxux. Flickr CC by-nc-sa
2 Stuffed Cheshire Cat toy, from the Collection of the Children’s Museum of Indianapolis. Commons Wikimédia. CC by-sa
3 Desktop Publishing, Jeremy Brooks, Flickr CC by-nc
5 Bookstore, Natalia Romay, Fotopedia, CC by-nc-sa
6 Tiroir de fiches d’Ursula Bogner. Waltercolor. Flickr. CC by-nd
Notes
[1] Un aspect qui concerne la transposition de la directive européenne sur les œuvres orphelines, non abordé aujourd’hui.
[2] Opposition et rectification qui peuvent s’exercer ensuite également, comme l’indique le tableau récapitulatif.
[3] L’édition garde un contrat unique, Hervé Hugueny, Livres Hebdo, 8 mars 2013 ; « La lecture ne change pas de support », Libération, 22 mars 2013
[4] Accord signé sur le contrat d’édition numérique dans le livre, H. Beuve-Méry, Le Monde,11 mars 2013