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Loin de Rennes, loin de la justice...

Justice au singulier - philippe.bilger, 14/04/2014

On ne se défait pas aisément, quand on l'a éprouvé, du sombre bonheur qu'inspire un procès criminel réussi, la justice des hommes à son comble.

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Il n'y a eu qu'un Jean-Marie Rouart pour se féliciter de n'avoir pas assisté au procès d'un accusé, Omar Raddad, dont ensuite il a soutenu la cause avec une chaleur de justicier hasardeux, aussi outrancière que ses approximations.

Pour ma part, j'aurais voulu plus que tout pouvoir assister au troisième et peut-être dernier procès de Maurice Agnelet à la cour d'assises de Rennes qui l'a condamné pour assassinat à la peine de 20 ans de réclusion criminelle. A la suite de cet arrêt, il a décidé de se pourvoir en cassation.

A vrai dire, il me semble que de Paris je n'ai pas manqué l'essentiel de ces audiences parce que tous ceux que passionne la chose criminelle ont eu la chance de lire, tout au long, les comptes rendus de deux chroniqueurs exceptionnels portés au comble de leur talent par l'émotion et l'intensité qui se dégageaient de ce qu'ils avaient à décrire et à analyser. Pascale Robert-Diard pour Le Monde et Stéphane Durand-Souffland pour Le Figaro sont parvenus à restituer dans leurs articles, l'incandescence chaque soir éteinte, ce qu'elle avait été au cours de ces journées qui paraissent avoir mêlé le tragique et l'odieux, le sarcasme et la gravité, les coups de justice et la patiente élucidation d'une affaire hors norme.

Dans ma vie professionnelle de magistrat, je n'ai jamais eu l'opportunité de rencontrer le président de la cour d'assises qui, paraît-il, a été remarquable de bout en bout. Pas davantage que l'avocat général qui a traité l'accusé avec politesse : c'est bien le moins quand on a besoin de le comprendre et qu'en définitive on va requérir sa condamnation.

En revanche, je n'ai pas cessé d'être passionné par la joute à la fois respectable et d'une infinie qualité entre deux "monstres" du barreau - celui qu'un classement il y a quelques mois avait désigné comme le plus grand avocat pénaliste français, Me Hervé Temime, et son contradicteur, Me François Saint-Pierre moins connu sur le plan médiatique mais d'une finesse intellectuelle et juridique rare alliée à une déontologie qui ne lui fait jamais défaut. La lutte entre ces deux puissances, ces deux personnalités unies par la hantise de la vérité a donné sens, comme un fil rouge, à des antagonismes dont on sentait qu'ils ne résultaient pas du hasard et de l'opportunisme mais d'une conviction forte. Ils ne défendaient pas une cause parce qu'elle les avait choisis mais parce qu'ils l'avaient choisie.

Lors d'un entretien téléphonique sur BFMTV, la sanction rendue, j'ai pu écouter la déclaration de Me Saint-Pierre, d'une grande dignité et lucidité. Un exemple pour tous ces avocats qui, à la fin des procès, vulgairement insultent les juges et sanctifient leur client.

Il était facile d'appréhender, dans une tension sans doute insoutenable, l'importance du témoignage de Guillaume, l'un des deux fils de l'accusé, suivi par une confrontation sur le même registre entre les frères et leur mère entendue par vidéo. Tout ceci est venu offrir à la conviction de la cour et des jurés une incarnation matérielle, tangible, opératoire du sentiment de la culpabilité de Maurice Agnelet.

En effet, faute de cette passerelle entre un soupçon même clairement ancré dans l'esprit et un arrêt à rendre, celui-ci, probablement, aurait pu aboutir sinon à un acquittement du moins à une condamnation imprégnée de mauvaise conscience - si on peut prétendre supputer ce qui a été au coeur d'une délibération de sept heures.

Je me souviens des procès d'Emile Louis en première instance et en appel. La découverte du corps décomposé de deux malheureuses victimes, sur ses indications, a servi de support à une accusation qui, sans elle, aurait dû se résigner à une construction cohérente mais forcément inachevée.

L'accumulation de signes et d'indices laissés souvent de manière surprenante par Agnelet sur son chemin, plus la dénonciation si terriblement factuelle et plausible en dépit de la volonté de faire de son auteur un déséquilibré peu fiable, permettent de faire justice d'un poncif médiatique. A tout coup, il déplore l'insuffisance des preuves alors qu'elles existent mais qu'on refuse de les considérer, au point qu'on se demande parfois si pour des journalistes ignorants l'aveu ne demeurerait pas la seule charge acceptable.

En revanche, l'insatisfaction de la famille de la victime est évidemment plus admissible puisqu'il manque à cette dernière soudée par le chagrin et le regret une infinité de détails qui auraient apaisé la souffrance de l'imagination et de la mémoire accordées dans une quête impossible.

J'aurais voulu pouvoir assister au procès de Rennes, entendre les plaidoiries, plonger dans la fournaise où la vérité se débarrasse des oripeaux et des masques qui la cachent.

On ne se défait pas aisément, quand on l'a éprouvé, du sombre bonheur qu'inspire un procès criminel réussi, la justice des hommes à son comble.


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