Farce macabre pour les victimes de Lampedusa
Actualités du droit - Gilles Devers, 21/10/2013
Après le naufrage du 3 octobre, Enrico Letta, le Premier ministre italien, s’était fait filmer dans un rôle très réussi, à genoux devant les rangées de cercueils des 366 victimes. Accompagné de Barroso, excellent lui aussi dans le rôle du grand attendri, déclarant qu'il n'oublierait « jamais la vision de ces cercueils ». Entre deux larmes, Letta avait annoncé des funérailles d'Etat pour les victimes.
Mais cette cérémonie nationale n'a pas eu lieu. Les victimes ont été inhumées en catimini dans divers cimetières de Sicile. Hier, s’est tenue une cérémonie minimaliste, en Sicile, à Agrigente, en présence des ministres de l'Intérieur, Angelino Alfano, de l'Intégration, Cécile Kyenge, de la Défense, Mario Mauro, et de l’ambassadeur d’Erythrée à Rome, Zemede Tekle Woldetatios. Une brillante assemblée... Mais – sans doute de peur que tous ses grands cœurs se mettent eux aussi à pleurer – la cérémonie s'est tenue en l'absence des dépouilles… et en l'absence des survivants. Les rescapés sont toujours à Lampedusa, mais des ordres avaient été donnés à la police pour les empêcher d’embarquer.
A Lampedusa, cette truanderie a indigné la population, toujours aussi exemplaire, et la Maire, Giusi Nicolini, a boycotté cette cérémonie, déplorant ce renoncement. Giusi Nicolini a toujours dit vrai sur cette politique insensée de l’UE : « Dans notre pays, seuls 10 à 15 % des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants économiques, arrivent par la mer. On se défend d’une invasion qui n’existe pas ». Pour l'Union européenne, un réfugié est une personne qui doit risquer la mort avant de faire un dossier.
Sur place, la cérémonie a été bâclée en moins d’une heure. Angelino Alfano a dû quitter précipitamment les lieux, alors que des manifestants scandaient « assassins, assassins, non à la loi Bossi-Fini », par référence à cette loi qui pénalise l’immigration, et entrave les secours en mer.
Le maire d'Agrigente a qualifié ces obsèques de farce macabre, et il a dénoncé la présence des représentants du gouvernement érythréen… alors que cette cérémonie était organisée à la mémoire des migrants morts pour avoir voulu fuir ce régime.
Pendant ce temps, à Lampedusa, les rescapés protestaient par un sit-in, regroupés sous une banderole : « Excusez-nous de ne pas être morts noyés ».