Juppé-Sarkozy : les mots de la guerre, la guerre des mots...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 31/05/2015
Pour être faite de mots, cette guerre n'est pas en dentelle.
Rien ne me semble mieux caractériser les approches et les tactiques antagonistes d'Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy que ces propos tenus par le premier : "je suis un homme de droite ouvert, pas sectaire" et proférés par le second lors du congrès des Républicains : "prenons garde à ce que nous promettons demain..." (Le Figaro).
Pour être armée jusqu'aux mots, cette guerre n'est pas de velours.
Ce n'est pas l'attitude familière et un tantinet condescendante avec laquelle Nicolas Sarkozy serre physiquement Alain Juppé qui démontrera le contraire (JDD).
Celui-ci a décidé, après cette explicite et nécessaire confirmation de ses convictions de "droite", d'afficher clairement ce qui le distingue de Nicolas Sarkozy et qui, contrairement à ce que pensent ses détracteurs, tient moins au fond qu'à la forme si on veut bien s'en tenir au noyau dur et indivis du socle des Républicains.
Quand Alain Juppé s'en prend au sectarisme, à l'hystérie de certains militants et à l'excès et déclare qu'il n'aurait pas utilisé le même vocabulaire que Nicolas Sarkozy, il engage une attaque frontale qui, derrière le style, vise l'homme et sa capacité à penser, à s'exprimer et à rassembler.
Lorsqu'il dénonce "les attaques contre les personnes" et qu'en particulier il s'élève contre l'outrance de la "terrifiante médiocrité" qui, selon son rival, accablerait François Hollande, il n'émet pas une banalité ni ne fait preuve d'une mesure de bon aloi mais met en cause, sur le plan éthique et démocratique, pour ne pas dire "républicain", un verbe moins responsable qu'exalté et gangrené par une partialité sans nuance (Grand Rendez Vous Europe 1-i-Télé-Le Monde).
Il va plus profondément au coeur de leur joute quand il pointe, chez Nicolas Sarkozy, des objectifs qui exacerbent et divisent quand lui-même aspire à des buts et à des finalités qui favorisent la concorde.
Outre que cette analyse n'est pas dénuée de fondement, elle offre également l'avantage de "renvoyer" le président de la République à ses trahisons permanentes sur ce plan. Puisque le candidat Hollande, contre le président défait, avait invoqué son souci de rassembler et d'apaiser et que le président élu en 2012 a fait rigoureusement l'inverse, en fragmentant, en clivant et en privatisant une République dont nos oreilles sont trop rebattues.
Alain Juppé, en maintenant l'exigence d'une primaire ouverte à la droite et au centre, a distingué cette volonté de son propre affichage de droite. Ce qui enlève un argument au militantisme obtus.
Ce n'est donc pas - comme dans le centrisme d'hier qui constituait le dialogue, les moyens et la forme pour l'essentiel, faute de savoir structurer et proposer une doctrine autonome au lieu de picorer ici ou là - une faiblesse, chez Alain Juppé, que cette obsession de s'opposer, de contredire mais avec tenue, avec raison et sans démagogie. Ce n'est pas faute de fond qu'il met ainsi l'urbanité politique en avant puisque le fond, peu ou prou, il n'a pas besoin d'aller le chercher ailleurs que dans le vivier des Républicains ou dans sa propre réflexion.
Il est d'autant moins gêné - il l'a encore démontré au cours du congrès face aux fanatiques qui le huaient - qu'il n'a jamais transigé avec cette conduite respectueuse des personnes si elle n'avait pas pour vocation de valider leurs idées. Si "le militantisme a ses vertus", "son risque est... le refus de l'autre, l'enfermement". Evidences qu'aujourd'hui, dans le climat que la gauche a dégradé, il n'est pas inutile de rappeler.
Alain Juppé a considéré que, pour l'instant, l'opinion le soutenait et le parti Nicolas Sarkozy. Il a conscience que les choses peuvent évoluer très vite même s'il ne devrait pas abuser de l'affectation d'une modestie qui l'a conduit à comparer sa cause à celle "d'une petite PME" en face d'un mastodonte. Au reste le créneau est étroit entre une opposition au pouvoir et aux ministres, qui serait tellement décente qu'elle en deviendrait illisible, et un combat honteusement partisan.
Pour faire mal avec les mots, cette guerre n'est pas de soie.
Quand Nicolas Sarkozy met en garde à l'égard des promesses inconsidérées de peur que la désillusion soit terrible, ne formule-t-il pas comme une repentance par rapport à son quinquennat raté et à sa défaite ?
Il est patent que l'ancien président, qui une nouvelle fois a changé de ligne en donnant de la République une définition guerrière et centrée presque exclusivement sur l'autorité de l'Etat, a tout intérêt, par rapport au langage "centriste" d'Alain Juppé, à se démarquer en ne répugnant pas à des caricatures et à des approximations qui mobilisent le parti autant qu'elles offensent une conception nuancée de la vérité.
Nicolas Sarkozy n'est pas seulement incité à ce grossissement pour montrer la prétendue mollesse de l'autre mais aussi pour faire oublier qu'il a perdu en 2012.
Ce n'est pas facile de prétendre rénover avec de l'ancien et de s'offrir comme une chance pour le futur quand le passé vous a démythifié. L'ancien président devra être d'autant plus vigoureux dans ses mots et ravageur dans ses constats que les uns et les autres, par leur outrance même, n'auront que le seul objectif de démontrer que le vaincu d'hier n'a pas altéré la superbe du prétendant et du conquérant de demain.
Et peut-être aussi celui de taper d'autant plus fort sur ce registre ressassé - il y a quelque chose de 2007, mais en moins étincelant !- mais adapté - on n'évoque plus la République irréprochable ! - qu'on craint de lasser même ses partisans par des fluctuations et des concepts instables difficiles à suivre. Le tintamarre de la polémique occultera-t-il la centième variation et la dixième métamorphose de Nicolas Sarkozy qui affirmera avoir changé ?
Pour être irriguée par les mots, cette guerre ne sera pas sans victimes.
J'entends bien que la justice, continuant son cours, pourra entraver l'ambition renouvelée de Nicolas Sarkozy ou qu'Alain Juppé, dont le passé judiciaire n'est rien par rapport à la multitude des menaces pesant sur son adversaire, sera peut-être lassé par cette lutte trop inégale et vulgaire avec le président des Républicains, installé en position de force.
Mais un sondage récent a bousculé les cartes. Une majorité de Français, quasiment avec le même score, ne veut plus de revenants en 2017. Notre démocratie a envie de respirer. Ce n'est pas une question de jeunesse. On ne peut plus en permanence redonner une chance à ceux qui l'ont eue et l'ont gâchée. Nicolas Sarkozy et François Hollande rêvent de se rencontrer face au peuple en 2017 mais l'un a échoué et l'autre échoue. Et il y aura le Front national (Odoxa).
Le seul qui n'aurait pas, en 2017, à son passif des espérances saccagées en promettant un actif de progrès et, pour la France, une reconquête de son identité sur tous les plans serait, sera Alain Juppé.
Ce n'est pas une guerre pour rire qui s'annonce.