Christophe Oberlin revient de Gaza avec une interview du Ministre de la Santé
Actualités du droit - Gilles Devers, 28/07/2017
Christophe Oberlin, chirurgien et professeur de médecine, se rend régulièrement à Gaza dans le cadre de son activité professionnelle, pour pratiquer la chirurgie et l’enseignement. Depuis 2001, il effectue là-bas trois séjours par an, et disons qu’il connaît un peu son sujet ce qui nous permet de bénéficier de ses écrits et de ses interventions.
Cette fin juillet, de retour d’une mission, il est revenu avec une interview du Docteur Bassem Naïm, ministre de la santé à Gaza. Voici ce document, publié sur son blog, un tableau saisissant des capacités et des difficultés qui sont le quotidien du peuple palestinien.
Quatre questions au Ministre de la santé de Gaza
Le docteur Bassem Naïm a repris la fonction de Ministre de la santé qu'il occupait déjà il y a dix ans à Gaza. L'occasion de faire un bilan et aussi de pousser un cri d'alarme. Il est interrogé le 9 juillet 2017.
Christophe Oberlin : Pouvez-vous vous présenter ?
Bassem Naïm : J’ai 55 ans. Après des études de médecine en Allemagne débutées en 1982, j’ai été diplômé en chirurgie générale en Jordanie puis chirurgien à Gaza pendant dix ans, de 1996 à 2006, puis Ministre de la santé de 2006 à 2012. J’ai ensuite été pendant deux ans et demi Conseiller pour les affaires internationales. J’ai quitté le gouvernement lorsque s’est constitué un gouvernement d’union nationale. Depuis mars 2017 je suis à nouveau en charge de la santé, des affaires sociales et de l’environnement.
Si vous comparez le niveau de la santé publique lorsque vous étiez ministre il y a 10 ans et maintenant quels sont les points noirs et les aspects positifs ?
Le point négatif le plus important est lié au siège. En principe nous avons un bon système de santé dont la mise en place a couté des milliards de dollars, infrastructure, formation des médecins et du personnel paramédical, formation continue… Nous avons aussi un personnel très impliqué qui aime son métier, au service de la famille et de la population. Il y a dix ans, sans l’investissement de son personnel le secteur santé aurait implosé. Mais à cause du siège, le résultat n’atteint pas ce que nous attendons. Nous avons néanmoins été capables d’envoyer plus de 150 médecins compléter leur formation en Égypte, en Jordanie, au Qatar, en Turquie, au Soudan et certains aussi en Europe. Ils sont revenus et ceci a eu un impact très positif. Nous avons aussi été très fortement soutenu par la venue régulière d’une expertise étrangère dans le cadre de services très spécifiques. Et ceci a été l’occasion d’un grand progrès : cardiologie, chirurgie cardiaque, urologie, chirurgie des nerfs périphériques. Nous avons aussi beaucoup progressé dans la collecte des données et dans leur analyse, dans le système d’évaluation. Nous avons aussi fait de grands progrès dans la transparence des financements et le contrôle de la corruption.
Malgré le siège nous avons été capables d’augmenter le nombre de lits d’hospitalisation, le nombre de membres du personnel, le nombre et la qualité des services, l’offre de soins en général. En 2006 je crois que nous n’avions qu’un seul scanner aujourd’hui nous en avons plusieurs dizaines, des I.R.M. le cathétérisme cardiaque etc. La chose la plus importante, nous avons été capables de maintenir le système de santé primaire. La couverture vaccinale, par exemple, est de de 99,6 %, comparable à celle de certains pays européens.
On sait que Ramallah approvisionne Gaza par des donations régulières de médicaments, de matériel à usage unique, d’équipements etc. Constatez-vous aujourd’hui des modifications ?
L’Autorité Palestinienne avant 2006 était basée à Gaza, elle est maintenant à Ramallah et responsable de la totalité du territoire palestinien. Avant 2006 l’Autorité Palestinienne fournissait tout ce qui était nécessaire au système de santé, y compris le personnel, dans une proportion de 40 % pour Gaza et 60 % pour la Cisjordanie. À partir de 2006 elle a restreint progressivement les relations avec Gaza. Ainsi à partir de 2007 aucun nouvel employé n’a été recruté par l’intermédiaire de Ramallah. Ils ont payé beaucoup d’entre eux à condition qu’ils quittent leur travail et restent à la maison. Et nous parlons ici de milliers de fonctionnaires de l’administration et en particulier du secteur de santé. Ils touchent leur salaire maintenant depuis plus de 10 ans sans travailler. Plus récemment, depuis le début 2017 une action très agressive a été entreprise à l’encontre de Gaza. L’approvisionnement de Gaza en fioul nécessaire à l’unique centrale de production d’électricité a été stoppé. Gaza n’a plus que trois à quatre heures d’électricité par jour.
Les dotations ont été réduites dans tous les secteurs, incluant les médicaments, le matériel jetable, et même le lait pour les nouveau-nés ! L’interruption est totale depuis le début du mois de mars. À cause de ces restrictions des milliers de patients doivent être transférées en Cisjordanie, à Jérusalem, en Israël parfois, en Égypte, pour être traités. Nous envoyons ordinairement les demandes de transfert à Ramallah pour accord de financement. Et ensuite nous envoyons la demande aux Israéliens pour l’accord de leurs services de sécurité. Habituellement cela prenait du temps, des semaines avant d’avoir le permis israélien. Beaucoup de patients sont morts en attendant ce permis. Aujourd’hui même nous ne recevons plus aucun accord financier de Ramallah et nous avons plus de 2500 patients en attente. Nous avons documenté le décès de douzaines de patients en attente, y compris des enfants, des patients atteints de cancer. Au cours de ces derniers jours Ramallah a décidé d’envoyer des milliers d’employés du secteur de l’éducation et de la santé en retraite anticipée. Hier il y a eu un nouveau paquet de 6145 mises en retraite anticipée dans les deux secteurs de la santé et de l’éducation. Nous parlons ici des employés qui reçoivent leur salaire de Ramallah, dépendant du ministère de la santé il y en a 3500. Toute personne qui a plus de 50 ans, ou a travaillé plus de 20 ans : ils envoient en retraite des gens relativement jeunes, 45 ans parfois, les plus expérimentés des médecins, des infirmières et des techniciens. Ils sont menacés : s’ils continuent à travailler leur revenu sera coupé complètement.
Pendant la guerre de 2014 vous avez envoyé un appel depuis Gaza à la suite de l’attaque de l’hôpital de rééducation el Wafa qui a finalement été complètement détruit par les bombardements. Quelle est la situation aujourd’hui, l’hôpital a-t-il été reconstruit, qu’en est-il du personnel, des médecins des kinésithérapeutes et finalement des patients ?
Cet hôpital était le seul hôpital spécialisé en rééducation de la bande de Gaza. Les patients étaient des victimes de guerre, des blessés crâniens ou médullaires. C’était l’un des meilleurs hôpitaux de la région, qui répondait à un besoin très important. Cet hôpital a été détruit en 2014 en dépit de tous les appels, de toutes les interventions comme celle de la Croix-Rouge Internationale. Maintenant nous avons loué un petit bâtiment dans le centre de Gaza mais avec une capacité réduite et des services limités. L’Hôpital el Wafa avait fait l’objet de millions de dollars d’investissements, non seulement dans l’équipement, le matériel, des piscines de rééducation, différentes pièces pour différents types de rééducation. Ce que nous avons aujourd’hui est beaucoup plus simple, une rééducation courante, avec un personnel limité. La possibilité d’y placer des patients a été réduite car le coût de cette structure, privée, est élevé. Il y avait par le passé une importante aide humanitaire en provenance des pays arabes et d’autres pays étrangers, qui a chuté de manière dramatique. Aucun des patients n’est en mesure de payer son hospitalisation, environ 100 $ par jour. Ce n’est à la portée d’aucun habitant de Gaza, même relativement riche. Les durées d’hospitalisation sont souvent longues : un mois, six mois, voire davantage. Ce n’est pas facile pour les familles de prendre certains patients très lourds à la maison. C’est un dilemme, même pour moi comme Ministre de la santé. Que faire ? Ils ne peuvent pas être renvoyés à la maison et nous ne pourrons pas payer pendant des années. J’espère que nous allons pouvoir trouver des donateurs ou des fondations qui pourraient soutenir l’hôpital el Wafa et lui redonner le rôle qu’il a tenu par le passé.