Actions sur le document

NVB ou la caricature en politique

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/06/2015

Comment peut-on, alors qu’on se pique d’être une républicaine éclairée et à la fois exemplaire, se lancer sans honte dans de telles approximations ? J’entends bien que l’idéologie n’est pas à un ravage près mais tout de même, quand on appréhende la richesse des définitions possibles et qu’on constate la pauvreté et la partialité de la sienne, on a le droit de s’interroger sur la structure mentale qui la propose.

Lire l'article...

Les « pseudo-intellectuels » ne viennent pas de nulle part et le refus d’un véritable dialogue politique, d’un authentique débat démocratique n’est pas né par hasard.
La ministre de l’Education nationale, si sûre d’être une icône de la diversité et une personnalité emblématique puisque le Pouvoir ne cesse pas de le lui répéter en la défendant contre l’évidence, nous a permis d’entrer dans les coulisses de son esprit grâce à un long entretien accordé à GQ.

Et c’est assez effarant.

Pour elle, « quelqu’un qui vote à gauche parle exactement de la même façon à un chef d’entreprise du CAC 40 et à un chauffeur de taxi. Avec le même respect, en étant tout autant intéressé par ce que l’autre a à lui dire. A droite, en revanche, de manière générale, je dirais une forme d’indifférence ou d’acceptation voire de légitimation des inégalités ».

Comment peut-on, alors qu’on se pique d’être une républicaine éclairée et à la fois exemplaire, se lancer sans honte dans de telles approximations ? J’entends bien que l’idéologie n’est pas à un ravage près mais tout de même, quand on appréhende la richesse des définitions possibles et qu’on constate la pauvreté et la partialité de la sienne, on a le droit de s’interroger sur la structure mentale qui la propose.

Avant même d’analyser l’absurdité de ces étiquettes sommaires, il est facile de constater leur impact désastreux.

Cette guerre civile qui sur le plan intellectuel et politique déchire la France, cette conception perverse de la liberté d’expression, qui n’impose plus la contradiction et la vérité mais la décence, ce ressassement d’une République invoquée à proportion même de son imperfection concrète et quotidienne ne pourront qu’être amplifiés - sans toutefois surestimer l’importance de la ministre sur ce plan - par des propos qui s’inscrivent dans une logique d’affrontement bête. Ils datent terriblement alors que la préoccupation essentielle, de la part d’un responsable public, devrait être certes de défendre ses convictions mais de ne pas oublier les exigences d’apaisement et de sérénité. On n’a pas à être seulement ce qu’on pense mais aussi ce qu’on communique, ce qu’on donne. Jeter de l’huile sur le feu et du gros sel sur des plaies et des fractures à vif n’est pas digne et révèle que l’inconséquence, sans le savoir, a adopté la parité.

La société civile, dans la quotidienneté et l’urbanité des échanges, dans la chaleur des conversations qui traitent de la politique anecdotique et/ou officielle, a compris depuis longtemps que ce contraste péremptoire entre la gauche et la droite n’a plus de raison d’être, qu’elle s’en indigne ou s’en félicite. Les frontières sont devenues floues, imprécises, ambiguës même. Les expériences de chacun manifestent, à l’égard du chauffeur de taxi comme du chef d’entreprise du CAC 40, que la vision de Najat Vallaud-Belkacem est fausse, souvent démentie par la réalité et que le respect est pour le moins autant de tonalité conservatrice que d’apparence progressiste. La vie bouscule ces préjugés et renvoie cette caricature partisane dans des oubliettes dont elle n’aurait jamais dû sortir.

Si on appliquait cette grille simpliste que j’ose à peine qualifier de conceptuelle au bilan de trois ans du président de la République « de gauche », nous serions contraints, en toute bonne foi, de le décréter impur et infiniment perfectible par rapport à l’exigence d’égalité. Les inégalités, en effet, sous l’égide de ce social-démocrate plus honteux du tout, n’ont pas baissé et force est alors de considérer que le procès intenté par NVB est moins politique qu’éthique. La droite serait structurellement, quoi qu’elle fasse, médiocre avec le cœur sec quand la gauche serait toujours, quoi qu’elle ne fasse pas, généreuse et prodigue.

On pourrait, pour être aimable, interpréter la saillie de NVB comme une provocation démontrant précisément la conscience qu’elle a de la dilution de ces stéréotypes et de ces clichés. Par compensation en quelque sorte, elle forcerait le trait. De la même manière qu’il y a une aspiration à l’indifférenciation des sexes, qui navre les épris sincères et exaltés de l’amour, il y a clairement une homogénéisation des antagonismes et des hostilités dans un lieu tout de pragmatisme et d’improvisation dans l’urgence. Le réel a fait sauter les digues et il semble acquis que les programmes, avant, sont pour la façade et l’ivresse sectaire puisque, après, ils seront nivelés par l’implacable rouleau compresseur sans cesse mis en branle par l’entêtement des faits.

Je conçois bien ce qu’une telle dérive peut avoir de traumatisant pour les authentiques idéologues comme NVB qui ont d’autant plus besoin de croire en la poésie des clivages que la prose a tendance à les étouffer.

Il aurait été stimulant de questionner d’autres oppositions entre la droite et la gauche si on avait désiré – et cette aspiration était légitime – créer et maintenir un mur entre elles. Non pas seulement, d’un côté, une telle écoute du réel qu’elle risque d’abolir toute imagination au pouvoir, et de l’autre une passion si éperdue des dogmes et des fantasmes que le peuple est exclu alors qu’il conviendrait de faire fond sur lui. Peut-être, la liberté et l’égalité qui, entendues à la lettre, rendraient la fraternité illusoire, inconcevable. Sans doute, la volonté prétendument progressiste de baisser, de dégrader et de banaliser pour aboutir à l’équité par le médiocre et, en face, un culte un peu naïf de l’excellence et de l’élitisme en oubliant qu’une politique a pour finalité de les généraliser.

J’incline à croire, contrairement à ce grand esprit qu’était Alain, que la récusation de la droite et de la gauche ne signifie pas forcément qu’on est de droite. Il me semble que le progrès démocratique et civique consisterait à aller arracher à l’un ou l’autre camp ce qu’il s’est abusivement approprié et qui relève d’une universalité de bon aloi, humaine, vraiment républicaine.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...