Actions sur le document

Qatar 2022 : L’esclavage, sous nos yeux

Actualités du droit - Gilles Devers, 26/09/2013

Une grande découverte : il fait chaud au Qatar en été. Pour juillet,...

Lire l'article...

Une grande découverte : il fait chaud au Qatar en été. Pour juillet, la moyenne est à 45°, avec des pics à plus de 50°, et s’ajoutent de grands vents venus du désert, qui finissent de vous sécher. Quand il faut sortir, on attend dans l’hôtel que la voiture climatisée s’approche, et on se précipite. Une fois dehors, on a l’impression de se trouver devant un four géant. La nuit, on ne trouve pas le frais, mais on peut tenir.

La FIFA s’est inquiétée de ces conditions climatiques extrêmes, et pour protéger la santé des joueurs et des spectateurs, elle envisage de tenir la Coupe du monde de 2022 en hiver. Le Comité exécutif de la FIFA se prononcera la semaine prochaine, et il choisira évidemment l’hiver, car l’été au Qatar s’est intenable.

2022-fifa-world-cup-awarded-to-qatar2.png

Mais, tôt ou tard, la FIFA va devoir se saisir de la question des salariés, embauchés en masse pour les chantiers de la coupe du monde. On arrivera à 1,5 million, soit 90% de la population vivant au Qatar.

Le Guardian a publié hier un dossier accablant, « Les esclaves de la Coupe du monde au Qatar », sur la situation des travailleurs népalais, qui représentent près de 40% des immigrés. Entre le 4 juin et le 8 août, l’ambassade a recensé 44 morts, soit un chiffre global estimé à 100. Pas la peine d’interroger les autorités du Qatar... Les salariés meurent d’épuisement ou de troubles graves liés aux terribles conditions de travail. L’ambassadrice du Népal à Doha a craqué, et dénoncé : « Le Qatar est une prison à ciel ouvert ».

Le dossier du Guardian relance l’affaire, et les encravatés prennent l’air grave et préoccupé, alors que tout ceci est parfaitement connus.

Tout ce qui existe à Doha, et enthousiasme nos braves gens, a été construit dans ces conditions, qui méprisent les droits fondamentaux.

Dès juin 2012, Human Rights Watch avait publié un rapport très complet de 146 pages « Building a Better World Cup: Protecting Migrant Workers in Qatar Ahead of FIFA 2022 » (« Construire une meilleure Coupe du Monde : protéger les travailleurs migrants du Qatar avant la coupe de la FIFA 2022 ») qui exposait le système mafieux d’Etat qui fait office là-bas de Code du travail.

share-graphic_final_en.jpg

Ce sont d’abord des frais de recrutement au plafond, emprunté avec des taux délirants et il faut des années pour rembourser.

A leur arrivée, les immigrés se voient confisquer leurs passeports, et ils sont soumis au régime du parrainage qui donne aux employeurs une emprise totale. Pour changer de travail, un ouvrier est soumis à la décision discrétionnaire de son employeur, et il ne peut quitter le pays que si l’employeur l’accepte, et signe un « permis de sortie ». 

Ni syndicat, ni droit de grève, bien sûr. S’ajoutent des salaires ridiculement bas (150 à 200 € par mois), des retards de paiement, pour renforcer la dépendance des salariés, des déductions arbitraires, des camps de logement surpeuplés et insalubres, une sécurité du travail inexistante.

Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI), australienne, est décidée à se faire entendre, et elle explique tout cela à la FIFA, dans une lettre de ce 20 septembre :

http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/fifa_exco_blatter_letter200913.pdf

« Des vies humaines ne peuvent être sacrifiées au nom du succès sportif et commercial de la Coupe du monde. Le fait que 1,2 million de travailleurs migrants soient forcés de travailler dans de telles conditions, sous des températures extrêmes et en l’absence de toute protection et de droits est la cause directe d’au moins une mort par jour en moyenne ».

« La FIFA doit envoyer un message très fort et clair pour faire comprendre au Qatar qu’elle ne permettra pas que la Coupe du monde se déroule sur le dos d’un système d’esclavage moderne qui représente désormais la réalité pour des centaines de milliers de travailleurs migrants dans ce pays. Sans les changements nécessaires, plus de travailleurs mourront en construisant l’infrastructure de la Coupe du monde qu’il n’y aura de joueurs en compétition au Mondial ».

Au titre de l’article 2 a) de ses statuts, la FIFA se donne pour objet « d’améliorer constamment le football et de le diffuser dans le monde en tenant compte de son impact universel, éducatif, culturel et humanitaire et ce, en mettant en œuvre des programmes de jeunes et de développement ».

Très sensible à ces preuves flagrantes d’un esclavage moderne et meurtrier, la FIFA va donc convoquer toutes affaires cessantes les dirigeants qataris pour exiger d’eux qu’ils appliquent les normes de travail de l’OIT, en installant sur place des missions de la CSI pour contrôler la mise à exécution.

Gentil garçon, le Qatar va illico presto interrompre les travaux des stades et engager un vaste programme de construction de logements pour ce 1,5 millions de salariés. Tous vont faire l’objet d’un bilan médical approfondi, et les salaires vont être multipliés par 5. Enfin les spécialistes de l’OIT vont procéder à la visite de tous les chantiers, définir les plans d’exposition aux risques, et lister les mesures de sécurité à adopter avant la reprise des travaux. Enfin, le Qatar va adopter une série de lois pour permettre à ces salariés de faire venir leur famille, au nom de l’universel droit à une vie familiale normale.

Si rien ne change, c'est un mort par jour, soit 4.000 morts d'ici 2022, et des dizaines de milliers de vie brisées. Pour les valeurs du sport ? La violence du Qatar est trop visible, et la CSI joue gros. Un grand combat syndical.

2011_qatar_migrantworkers.jpg


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...