Qui nous fait aimer la France ?

J'aime beaucoup Valeurs actuelles. Parce que cet hebdomadaire est trop vilipendé par les sectaires et les dogmatiques pour ne pas être estimable. Il provoque, il stimule, il informe, il décape, il se trompe, il exagère, il m'agace et parfois je le trouve lui-même trop idéologue avec des choix et des préférences. Je le lis, accord ou désaccord, il ne laisse pas mon esprit au repos.

Il prend des risques quand en couverture de sa dernière livraison il titre : "Ils nous font aimer la France", avec une immense photographie de Jean d'Ormesson. Au milieu de quelques inconnus, il glisse, outre le premier surabondamment exposé partout et exploité à chaque fois qu'on a besoin d'une défense de la droite classique et de confidences douteuses, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Sylvain Tesson, Gaspard Proust et Michel Houellebecq.

Cette liste est éminemment subjective, ce sont des personnalités qui font aimer la France de Valeurs actuelles et il ne me semble pas que l'hebdomadaire ait la prétention de rassembler sur les noms qu'il propose une adhésion unanime. Une telle volonté serait en effet téméraire puisqu'aussi consensuel que puisse apparaître tel ou tel - je regrette que dans la présentation en majesté aucune femme ne soit mentionnée - il est exclu qu'il recueille un assentiment général.

Pour ma part, si je suis presque inconditionnel du talent, voire du génie en certaines circonstances, de Fabrice Luchini ou de Michel Houellebecq, les quelques réserves que je peux exprimer au sujet de ce dernier dans certains domaines m'interdiraient déjà de songer à l'offrir comme modèle à la communauté nationale.

Ou faut-il accepter, ce qui serait peut-être la sagesse, qu'on peut nous faire aimer la France sans nous satisfaire pleinement, toujours et partout ? Gérard Depardieu aurait dû être inventé rien que pour le formidable Cyrano qu'il a interprété mais combien de scories de toutes sortes à côté de cette apothéose artistique admise par tous ! Je connais très peu Gaspard Proust mais s'il est à mille lieues au-dessus d'un Stéphane Guillon ou de ces misérables humoristes qui s'acharnent à ne faire rire qu'eux-mêmes, il n'est sans doute pas considéré par une multitude comme un emblème national. J'apprécie Sylvain Tesson mais lui-même infiniment modeste hésiterait à se classer dans la catégorie suprême où l'a placé Valeurs actuelles.

On voit bien l'audace, voire la présomption d'une publication qui offre à ses lecteurs des sujets d'admiration si évidents qu'ils pourraient susciter l'admiration de la France au travers d'eux.

Si on sort délibérément du champ idéologique et si on accepte de considérer que, pour faire aimer la France, il convient d'élargir ses critères et de chercher notamment à retenir dans son panthéon des personnalités tellement brillantes dans leur discipline, leur art ou leur pensée que, bon gré mal gré, il serait indécent de ne pas en faire des figures profondément représentatives de la France, de son identité et de sa grandeur, la liste devient plus riche, impressionnante à force de pluralisme.

D'autant plus que pour sophistiquer encore davantage la sélection, il y a des enthousiasmes d'un instant et des passions de toute une vie. Camille Lacourt ou notre tout récent champion du monde du 800 mètres doivent avoir leur chance aux côtés de ceux qui apparemment incarnent une vision plus conceptuelle ou profonde de l'existence.

Pour ma part - j'espère bien que mes choix seront soumis à une dispute vive et intense, ce qui démontrera le caractère quasiment impossible, et presque inutile, d'une telle entreprise -, je n'aurais pas négligé Michel Bouquet, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, Eric Zemmour et, parmi les femmes, j'aurais privilégié Sylviane Agacinski, une philosophe à la fois d'intelligence et de talent. Et comme de toutes manières ma sélection sera discutée, je ne vois aucune raison d'en écarter systématiquement les politiques. On peut être en désaccord avec Emmanuel Macron mais sa personnalité, son parcours et son aura sont suffisants à eux seuls pour l'insérer, toute idéologie mise à part, dans cette catégorie supérieure que Valeurs actuelles a eu le front d'élaborer.

Si une conclusion se dégage de cette analyse, elle tient au fait que des personnalités certes peuvent faire aimer la France au travers d'elles - en même temps je ne suis pas persuadé que le lien d'admiration à l'égard d'un être renvoie nécessairement à une fierté nationale - mais qu'on ne peut en trouver aucune pour susciter tous les suffrages et que derrière cette liste que chacun peut s'efforcer de faire, il y a des goûts, des hostilités, des sympathies, des antipathies, une histoire - chacun avec sa singularité optant pour des personnalités dont il est fier et peut-être la France en même temps que lui.

Derrière le "Ils nous font aimer la France" illustrant ce passionnant numéro, il y a clairement Valeurs actuelles. Ses forces avec ses préjugés.

Et c'est normal et c'est bien.

(Du 13 août au 25 août, en Grèce. Je ne suis pas sûr de pouvoir m'abandonner au rythme d'un billet tous les deux jours et donc d'offrir à mes lecteurs et commentateurs l'opportunité et le plaisir de me contredire...)