Sous Neymar, le Brésil
Justice au singulier - philippe.bilger, 25/06/2013
Comme on se trompe, comme on ne voit rien venir !
Il est vrai qu'un merveilleux séjour à Rio, du 5 au 14 octobre 2012, même si j'avais eu une intuition exceptionnelle des profondeurs d'un pays et des humeurs d'un peuple, ne pouvait pas m'éclairer non seulement sur les états d'âme du Brésil tout entier mais même sur les attentes intimes, secrètes de ceux qui autour de moi n'avaient cessé de me présenter une image intelligente, lisse, conviviale et apparemment heureuse.
Pourtant, depuis le 11 juin 2013, manifestations, explosions, protestations, deux morts déjà, une présidente Dilma Rousseff qui tente de reprendre la main mais qui n'empêche pas la nostalgie de Lula de devenir de plus en plus intense, une révolte contre la crise, la vie chère, le somptuaire consacré au football avec les choquantes déclarations de Sepp Blatter à qui la psychologie fait totalement défaut, une demande forte de changement, mais diffuse, éparpillée, multiforme, le désir d'autre chose, d'une autre société, des prétextes économiques, financiers et citoyens mais pour inciter le Pouvoir à aller au-delà, à franchir la surface pour se plonger dans la morosité collective, dans l'angoisse devant l'avenir bouché et le présent lourd à porter, un Brésil méconnaissable tant depuis quelques années il avait été vanté et tant depuis deux semaines il révélait une face sombre, un malaise puissant qui rappelaient d'autres pays, notre passé, notre réalité.
Ce mouvement débordant et insaisissable par les moyens traditionnels de la politique, par les discours et les promesses classiques est soutenu par une majorité de Brésiliens (Le Figaro, Le Monde).
Le mois de mai 68 avait apporté son incandescence à la fois frénétique, libératrice mais à la longue négative dans notre pays et personne n'avait su, pu prévoir ces événements qui ont structuré, pour le pire et le meilleur, l'histoire de la France. Pierre Viansson-Ponté avait écrit un article célèbre et qualifié de prémonitoire sur "la France qui s'ennuie" mais lui-même n'imaginait pas le torrent civique qui allait advenir.
Notre pays aujourd'hui, quoi qu'on pense des forces politiques en présence et du gouvernement socialiste, est en état de trouble, d'indécision, de perte de repères, avec des partis traditionnels rejetés, une multitude de citoyens de gauche et de droite venant s'abreuver à la source du FN parce que paradoxalement ils y trouvent un exutoire d'autant plus efficace qu'aucune solution concevable ne vient poser des limites à leur mécontentement global concernant la France, l'Europe, l'existence et ses difficultés, l'insécurité et ses drames, les politiciens et ce pays qu'ils ne reconnaissent plus.
Sommes-nous, comme au Brésil, proches d'un bouleversement d'autant plus compliqué à apaiser qu'il ne serait suscité que par une désespérance face à laquelle tous les réalismes et optimismes du monde se briseraient ? Je ne suis pas persuadé que l'obsession du président de la République d'afficher au moins publiquement une confiance réjouie dans l'avenir ne soit pas en définitive plus inquiétante que rassurante. Il y a des moments où il convient d'accompagner les craintes pour les dissoudre peu à peu plutôt que de les étouffer artificiellement par une bonne humeur fabriquée et en tout cas de plus en plus inadaptée.
La présidente du Brésil, à l'évidence, n'a pas su tirer de son expérience, de son passé de militante révolutionnaire de quoi calmer la colère de son peuple. Elle cherche désespérément les clés pour tenter d'agir sur un ressentiment collectif qui refuse de se laisser définir parce qu'il est peut-être pour lui-même un mystère et que jusqu'à aujourd'hui il s'est passé de leaders et de chefs.
Sous Neymar, le Brésil.
Quelle France sous l'histoire et les affrontements de tous les jours ?
Une espérance ou une menace ?