Prendre la peine
Justice au singulier - philippe.bilger, 7/07/2012
La peine de mort heureusement abolie, Robert Badinter et la gauche d'alors avaient promis une perpétuité réelle qui n'a jamais été mise en oeuvre.
Pourtant, il y a de très longues peines qui, pour la CGT-Pénitentiaire, peuvent devenir contre-productives. Il convient que le détenu ait "des perspectives". Cette appréciation est beaucoup plus technique que miséricordieuse et en ce sens elle me semble devoir appeler une attention moins soupçonneuse. Ce n'est pas l'angélisme qui s'exprime mais le réalisme qui prend la parole.
Cette approche n'est nullement contradictoire avec le souci d'aboutir à une exécution des sanctions à la fois cohérente et efficace aussi bien sur le plan délictuel que criminel. Trop longtemps, ce domaine capital, puisqu'il représente l'aboutissement du processus pénal, a été traité avec une forme de désinvolture humaniste en se fondant sur des données dont la pertinence n'était jamais questionnée. Pourquoi une peine ne doit-elle jamais être exécutée intégralement ? Les libérations conditionnelles sont-elles souhaitables pour tous les condamnés ? L'individualisation des sanctions ne devrait-elle pas être remplacée par l'objectivation des infractions pour décider ou non de la sortie d'un détenu ? La prison a-t-elle l'obligation d'éduquer ou de rééduquer ou seulement d'enfermer pour protéger durant un certain temps la société? Si elle a cette obligation, n'est-il pas utopique et même absurde de l'exiger d'une telle structure ? Ne convient-il pas de s'attacher à un discours du juste milieu qui trop négligé ne laisse place dans la réflexion pénitentiaire qu'aux sulpiciens dangereux ou aux répressifs extrêmes ?
Précisément, ce qui se dégage des statistiques récentes révèle d'abord que les condamnations, contrairement à une idée répandue et fausse, s'alourdissent. Entre 1996 et 2006,la proportion des prisonniers effectuant une sanction de 20 à 30 ans a été multipliée par 3,5. En 1979, 308 condamnés à perpétuité contre 496 au 1er avril 2012. La durée moyenne de détention des condamnés à perpétuité est passée de 17,2 ans dans les années 60-70 à 19,5 ans dans les années 1995 à 2004. Je tire ce constat d'un excellent article de Timothée Boutry dans Le Parisien.
Cette tendance à une plus grande sévérité pénitentiaire n'a rien qui doive alarmer si elle résulte d'une politique raisonnée et raisonnable, d'un dessein mûri et d'une philosophie pénale à laquelle ne font défaut ni la générosité quand elle est possible ni la fermeté si elle est nécessaire.
La complexité ne doit pas être étrangère à la pensée sur la prison et sur les peines. Ce qu'un citoyen est en droit d'exiger du Pouvoir tient au devoir, pour ce dernier, d'examiner toutes les hypothèses et d'emprunter tous les chemins, de ne pas se payer de mots et de concepts mais d'avoir le courage d'affronter la vérité nue. La prison non pas comme horizon indépassable mais pour sauvegarde fondamentale et ultime.
Restaurer ou instaurer la décence matérielle et humaine des lieux d'enfermement.
Relever "le défi des peines sans fin" et accepter qu'au bout d'un très long temps,il faille, avec le plus de sûreté possible, libérer.
Cesser de croire qu'on puisse échapper à la rigueur de l'enfermement pour les actes délictuels et criminels graves. On n'oppose pas des gadgets à ce qui doit réprimer l'odieux. Les peines de substitution, les peines alternatives ne peuvent se rapporter qu'à une délinquance - j'ose le terme: tranquille. Pour l'extrême et l'innommable, il vaut mieux les oublier.
Etre conscient, comme le souligne Pierre-Victor Tournier, du fait que "les grands pervers, par exemple, ne sont pas susceptibles de sortir" et que pour d'autres, des libérations conditionnelles sont concevables mais encadrées.
Comprendre qu'il est mauvais de donner des réponses simplistes à un phénomène compliqué et à des problèmes contradictoires.
Il faut prendre la peine de penser, de regarder, de constater, de prévoir. Sans états d'âme ni préjugés. En chassant les idéologies qui dissimulent.
Prendre la peine, c'est cela, pour qu'elle serve, protège, ait du sens.