Seize ans de prison pour un patient souffrant de schizophrénie
Actualités du droit - Gilles Devers, 14/12/2012
La cour d'assises de Paris a condamné hier à seize ans de prison un homme qui avait poussé un passant contre une rame de RER. Cours normal de la justice ? Non, car le condamné est aussi un patient, souffrant d’une grave maladie psychique. Alors quelques précisions s’imposent.
Un homme souffrant de schizophrénie
Dans une large partie de la presse, le condamné est appelé le « schizophrène ». Comme si la maladie identifiait la personne. Ainsi, si vous êtes diabétiques, vos collègues de bureau vous appelleront désormais « le diabétique ». Si vous êtes atteint d’une pathologie cardiaque, vous existerez comme « le cardiaque ». Si vous avez la grippe, vous êtes « le grippé ». C’est absolument insupportable, et ça montre combien de journalistes ont encore la tête obstruée par la bouse de l’époque sarkozyste.
Qualifier quelqu’un par sa maladie au motif qu’il est malade… Purée, je vous assure qu’il y a des assignations qui se perdent… et des coups de pied au cul aussi.
C’est un homme. Un être humain comme vous et moi. Vous connaissez vos maladies, et je connais les miennes. Lui, souffrait de schizophrénie au moment des faits, et de tout ce qui ressort du procès, il n’est pas guérie.
Peut-on guérir de cette maladie grave ? Il peut y avoir de vraies rémissions par la qualité de la prise en charge, avec une vie personnelle et sociale sauvegardée. Guérir ? Ce n’est pas le propos, comme pour bien des maladies graves. Mais traiter, contenir, réguler, apaiser,… c’est parfaitement possible. Alors, identifier le patient et sa maladie, c’est nier la personne.
Seize ans de prison pour un homme gravement malade
Je n’ai pas à discuter le verdict de la cour d’assises, et l’avocat de la défense n’avait pas l’air d’évoquer un appel. Je veux simplement noter à quel point ce verdict, qui s’inscrit dans une jurisprudence établie, annihile le discours perpétuel sur la justice mollassonne qui se mettrait à chouiner dès qu’un psychiatre se met à parler de la maladie d’un accusé.
Pour ces faits particulièrement graves, les psychiatres avaient parlé de la maladie, et retenu un discernement altéré. Résultat : seize ans de prison. La famille de la victime était présente et a pu participer au procès. Alors, merci de nous épargner les litanies habituelles sur l’angélisme.
Un malade qui avait arrêté de se soigner
J’entends encore Sarko, sous les applaudissements de la foule en délire ; « il faut enfermer les monstres ». Que nous montre cette affaire ? Que la question n’est pas l’enfermement, mais le travail hors les murs, ce que les équipes appellent « le travail de secteur ».
L’hôpital est adapté pour des séjours pendant les crises, et le plus difficile est de gérer le retour à la vie sociale, qui se fait en fonction du secteur dépendant, dans la ville, du service hospitalier. Quand on sort de l’hôpital, ça ne va pas trop mal, et la grande difficulté est de maintenir la relation de soin. Cela suppose aussi une présence médicale effective, une disponibilité des équipes, des structures sociales pour faire le lien.
Alors, deux questions :
Quelle a été la politique de santé publique sur ces questions ces dernières années ?
Quelle est la politique du gouvernement actuel ?
Enfermer, c’est un discours facile, qui n’enferme que les illusions.
Un malade qu’il faut soigner
La cour d’assises a assorti la condamnation d’une obligation de soins. Très bien.
Mais l’obligation de soigner ne pèse-t-elle pas d’abord sur l’Etat ? Après le verdict d’hier, quelles garanties pour que dès aujourd’hui ce patient, dont la maladie a été reconnue par la cour, soit pris en charge correctement ?
L’Etat doit juger les crimes, et le rôle de la justice est de dire le droit par application des lois, en cherchant les malfaiteurs et en les conduisant devant les juges. Mais l’Etat doit aussi la protection aux malades, et il s’agit là d’un droit effectif.
Il reste à souhaiter que cet homme malade puisse trouver dans les prisons de la République toute la science et l’humanité pour l’aider à affronter sa maladie.
Ce que l’on sait des capacités thérapeutiques au sein des prisons laisse un doute.
Le geste qui sauve