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Une situation de coemploi ne peut être retenue que s’il existe entre les sociétés d’un groupe, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société employeur.

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Hervé duval, Fabien Crosnier, 16/03/2015

Par un nouvel arrêt rendu le 18 février 2015, au visa de l’article L.1221-1 du Code du travail, la Cour de cassation a clairement confirmé sa jurisprudence en écartant des motifs ne caractérisant pas une immixtion dans la gestion sociale de la société employeur.
Cass. Soc., 18 février 2015 n° 13-22.595 :

- «Hors état de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;

- « En se déterminant comme elle l’a fait, par des motifs, qui ne caractérisent pas une immixtion de la société, notamment dans la gestion sociale de la société N, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Les faits
Engagée par une société N appartenant à un groupe, une salariée avait été mise à la disposition d’une autre société du groupe, puis licenciée par la société N.

Statuant sur la demande de la salariée visant à voir reconnaître une situation de coemploi, la Cour d’appel avait retenu que les deux sociétés, qui avaient le même dirigeant, un siège social commun, et des activités s’exerçant dans les mêmes locaux, étaient au surplus liées par un contrat de collaboration traduisant une intégration des deux sociétés et une imbrication de leurs activités autour du même objet dans une économie générale de relations plaçant la société employeur dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de l’autre société.

La Cour de Cassation a cassé cet arrêt en retenant que les éléments mis en avant par la Cour d’appel ne permettaient pas de caractériser une immixtion dans la gestion sociale de la société employeur.

La portée de l’arrêt
Cette nouvelle décision s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au coemploi, les étapes marquantes de cette évolution étant les suivantes :

1ère étape : la reconnaissance du coemploi en application du critère du lien de subordination et du critère de la confusion des intérêts, des activités et de la direction.

Cass. Soc., 19 juin 2007 n° 05-42551 :

Rappelant la définition de l’employeur, telle qu’elle résultait de la jurisprudence de la CJUE (CJCE 3 juillet 1986 Lawrie-Blum), c’est-à-dire « la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération », la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel qui avait « constaté que la salariée avait accompli son travail sous la direction et au profit des deux sociétés, dont les intérêts, les activités et la direction étaient confondus ».

2ème étape : la reconnaissance du coemploi en application de deux critères : la confusion des intérêts, des activités et de la direction et l’absence d’autonomie de la filiale.

Cass. Soc., 18 janvier 2011 n° 09-69199 :

Au visa de l’article L. 1221-1 du Code du travail, et jugeant que la Cour d’appel avait apprécié souverainement les éléments de fait qui lui étaient soumis et avait pu en déduire ( ) qu’il existait entre deux sociétés une confusion d’intérêts, d’activité et de direction et en conséquence une situation de coemploi, la Cour de cassation a, là encore, rejeté le pourvoi formé.

Dans cette affaire, l’accomplissement du travail sous la direction et au profit des deux sociétés n’a pas été évoqué par la Cour d’appel qui, en revanche, a souligné que la société mère assurait la direction opérationnelle et la gestion administrative de sa filiale, qui ne disposait d’aucune autonomie.


3ème étape : la reconnaissance du coemploi en application de deux critères : la confusion des intérêts, des activités et de la direction et l’immixtion dans la gestion et la direction du personnel.

Cass. Soc., 30 novembre 2011 n° 10-22964 et ss :

Rappelant la définition précitée de l’employeur, telle qu’elle résultait de la jurisprudence de la CJUE, c’est-à-dire « la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération »,

la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre la décision de la Cour d’appel aux motifs que celle-ci avait constaté d’une part que la société mère «assurait également la gestion des ressources humaines de la filiale » et d’autre part qu’il existait ainsi « une confusion d’activités, d’intérêts et de direction conduisant (la société mère) à s’immiscer directement dans la gestion de la filiale et dans la direction de son personnel. »

4ème étape : Le rejet, en l’absence d’un lien de subordination, de la qualification de coemploi en application des critères suivants :

- la confusion des intérêts, des activités et de la direction,
- et ce, « au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer » ;
- l’immixtion dans la gestion et la direction du personnel.

Cass. Soc., 2 juillet 2014 n° 13-15.208 et ss :

Par un attendu de principe fixant les seuls critères permettant de qualifier une situation de coemploi, la Cour de cassation a, au surplus, examiné l’appréciation des éléments de fait par la Cour d’appel, et jugé que ces éléments ne pouvaient suffire à caractériser une situation de coemploi :

« Attendu cependant que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considéré comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère ait pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois, en pouvait suffire à caractériser une situation de coemploi, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »


Dans sa décision du 18 février 2015, la Cour de cassation a rappelé l’attendu de principe de son arrêt du 2 juillet 2014 et s’est prononcée sur l’appréciation par la Cour d’appel des éléments de fait.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé que les éléments de faits suivants ne caractérisaient pas une immixtion dans la gestion de la société employeur : l’identité de dirigeant et de siège social, pour les deux sociétés, l’exercice par elles d’activités dans les mêmes locaux, l’existence d’un contrat de collaboration et pour l’exécution de ce contrat de collaboration, la mise à disposition de salariés entre elles.

L’arrêt du 18 février 2015 est à rapprocher d’un arrêt du 4 février 2015 dans lequel la Cour de cassation a jugé impropres à caractériser une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, l’identité partielle d’objet social entre une société et sa filiale, le fait que leur siège social était situé à la même adresse, l’identité ou la quasi-identité des bulletins de salaires, des contrats de mission et des services de gestion du personnel. (Cass. soc. 4 février 2015, n° 13-22.322).



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