Les limites du droit pénal spécial pour enfants
Droits des enfants - jprosen, 30/06/2013
Le jugement dans l’affaire particulièrement dramatique du Boën-sur-Lignon est tombé : le jeune est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat et viol sur mineure. Bien évidemment, il n’est pas question ici de porter une appréciation sur cette décision. D’autant qu’elle n’est pas définitive. Qu’il soit seulement permis de relever une nouvelle fois que notre droit et les juridictions ne sont pas laxistes en direction de mineurs comme il est régulièrement affirmé. Pas compassion !
Certes, a priori, l’enfant, c’est-à-dire depuis 1906 la personne de moins de 18 ans, est spécialement pris en compte lorsqu’il commet une infraction, mais pour autant il n’est pas pénalement irresponsable.
Notre droit ne fixe pas d’âge sous lequel un enfant est présumé ne pas encore disposer du discernement indispensable pour rendre des comptes devant la justice pénale. Le fou ne peut pas être puni mais dire s’il est dangereux et risque de repasser à l’acte il ne restera pas en liberté; on pourra l’interner dans un lieu clos.
Notre dispositif est plus pragmatique que ne le voudraient les articles 37 et 40 s de la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 qui demandent aux Etats de fixer un âge sous lequel il ne peut pas y avoir de poursuites pénales pour un enfant : il appartient aux juges d’apprécier au cas par cas. On peut estimer que tel enfant de 6 ans qui se saisit de bonbons dans le dos de ses parents au moment de passer la caisse d’un supermarché sa personnalité car il savait que cela était interdit et qu’il l’a fait sciemment, commet un vol comme on peut estimer ainsi que nous l’avons jugé que deux adolescentes qui aident leur mère à en finir avec leur beau-père pour aller vivre avec son amant n’avaient pas conscience de ce qu’elle faisaient ! Pour faire sourire, je relèverai qu’il n’y a pas non plus d’âge à partir duquel la loi affirme qu’un individu perd sa lucidité. Certains personnages publics peuvent donner l‘impression de perdre la tête à 85 ans quand le dernier poilu de Verdun à 110 ans, peu avant sa mort, était d’une lucidité absolue. Parallélisme des incertitudes !
En vérité on estime que c’est autour de 7-8 ans qu’un enfant acquiert le discernement c’est-à-dire la claire conscience du permis et de l’interdit, du bien et du mal quand il se tourne vraiment vers l’extérieur. Bien sûr, il reviendra aux policiers, aux magistrats avec ou sans experts, et déjà aux parents de répondre à cette question. Ils se la posent déjà pour chacun de leurs enfants quand il s’agit de savoir si à la rentrée scolaire il conviendra de le laisser revenir seul de l’école avec la clé de la maison. Va-t-il la perdre ? Va-t-il laisser entrer n’importe qui ? Va-t-il allumer inopportunément le gaz ? Cette question du discernement de l’enfant est classique et chacun, parents comme professionnels, la résout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
En droit, on parle d’imputabilité : par delà le lien objectif avec les faits reprochés peut-on imputer moralement un fait délictueux à une personne ? Et les enfants se voient chaque année reprochés nombre d’infractions qui seront ou non poursuivis devant les juridictions s’ils sont interpellés. Le parquet – dans 65 % des cas - ou les juges – pour le reste - auront à en connaitre. 6000 peines de prison fermes sont prononcées chaque année et 125 000 avec sursis simple ou sursis mise à l’épreuve ?
S’il est établi qu’un enfant de moins de 7-8 ans a commis une infraction sans avoir conscience de ce qu’il faisait il ne sera pas poursuivi, mais des conditions dans lesquelles les faits ont été commis on pourra extrapoler qu’il était en danger et à la demande du parquet le juge des enfants pourra prendre des mesures éducatives qui pourront aller jusqu’au placement en institution.
A partir des 7-8 ans, on entre dans la zone des poursuites pénales possibles mais pas obligatoires. Le parquet au-delà les faits peut estimer qu’il y a bien danger du fait des carences éducatives et se contenter de cette réponse. Il peut aussi parallèlement ou en réponse unique engager des poursuites.
Jusqu’à 13 ans, l’âge étant apprécié à la commission des faits., il ne pourra pas séjourner plus que le temps d’une audition au commissariat. Aucune peine ne peut être prononcée à l’égard d’un enfant tenu pour coupable. Le juge ne pourra prendre que des mesures éducatives : un avertissement – admonestation ou remise aux parents-, suivi par une équipe d’éducateur (la liberté surveillée) ou le placement en institution.
Depuis 2002, à partir de 10 ans le juge, outre des mesures éducatives pénales peut envisager de prononcer des sanctions éducatives comme certaines interdictions (interdiction de posséder un bien, de fréquenter un lieu ou une personne par exemple) ou décider de mesures positives comme une mesure de réparation. Toujours à partir de 10 ans Il pourra être retenu pendant une durée de 12 h renouvelables une fois au commissariat, mais pas question de détention provisoire ou de condamnation à une peine de prison ou d’amende ni même de centre éducatif fermé.
On change de registre à partir de 13 ans. Certes les mesures éducatives civiles ou pénales sont toujours possible mais s’ouvre le champ des peines notamment des peines de prison. La détention provisoire est même possible si l’enfant ne respecter pas le cadre du contrôle judiciaire qui aura été fixé par le juge, spécialement le placement dans un centre éducatif fermé.
La peine encourue – à distinguer de la peine prononcée est moitié moindre que celle encourue par un adulte. Tout mineur de 13 à 16 ans bénéfice de ce que la loi appelle le bénéfice de l’excuse atténuante de minorité. Ainsi un vol peut valoir 3 ans à un adulte, 18 mois à un mineur de plus de 13 ans ; le trafic de drogue punissable de 10 ans fait encourir 5 ans à un mineur; un assassinat, rarissime on l’admettra du fait d’un mineur fait encourir la réclusion criminelle à perpétuité à un adulte ramené à 20 ans pour un enfant, etc.
Pas question entre 13 et 16 ans de perdre le bénéfice de l’excuse de minorité : elle est absolue.
Les choses changent aux 16 ans révolus : certes l’excuse de minorité joue, mais le jeune peut en être privé ; elle est relative.
Jusqu’à peu – 2007 – il revenait aux juridictions, tribunal pour enfants, tribunal correctionnel pour mineurs, cours d’assises - de se prononcer spécialement sur son retrait éventuel. Pour cela elles devaient s ‘attacher à la personnalité du mineur : n’avait-il pas au moment des fait une maturité d’adulte malgré la présomption posée par la loi qu’il n’est pas encore suffisamment mature pour jouir des droits civils et politiques. Il encourera alors la même peine qu’un adulte, notamment 15 ans pour un viol « simple » ; la perpétuité en cas d’assassinat.
La loi a fini, et alors le dérapage s’est amorcé, par demander aux juges de s’attacher aussi aux faits eux-mêmes et leur particulière gravité pour exclure l’excuse de minorité.
Dans le mesure où il estimait que les jeunes d’aujourd’hui étaient mûrs plus tôt que ceux du passé, le ministre de l’intérieur, puis président de la République Nicolas Sarkozy aurait souhaité abaisser l’âge de la majorité pénale de 18 à 16 ans. Las ! Le Conseil constitutionnel veillait et la parole donnée par la France en ratifiant la Convention internationale sur les droits de l'enfant devait être respectée. Qu’à cela ne tienne on viderait le statut « protecteur » des 16-18 ans de son contenu en facilitant le retrait de l’excuse de minorité pour des faits graves, notamment de violences sexuelles (loi du 9 mars 2007). En octobre 2007, une fois le nouveau président élu, le législateur va même plus loin : la loi retire elle-même le bénéfice de l’excuse de minorité au jeune déjà deux fois condamné à une peine quitte, pour ne pas subir la censure du Conseil constitutionnel, à autoriser le juge à … la rétablir s’il trouve matière dans la personnalité du jeune ou dans le dossier. Au risque d’engager sa responsabilité morale en cas de nouveau passage à l’acte.
Ajoutons pour compléter le tableau que l’on institue en 2011 un tribunal correctionnel pour mineurs pour les plus de 16 ans récidivistes ayant commis un vol simple ou plus et que bien évidemment leur est applicable le dispositif des peines-plancher comme aux adultes récidivistes.
Au Boën-sur-Lignon, dans cette affaire en tous points exceptionnelle où la personnalité du jeune comme son passé, mais aussi l'effroi suscité dans l'opinion aura été retenu, pour la deuxième fois dans l’histoire récente – la première concerna Patrick Diels – une cour d’assise condamne un mineur – un enfant au sens de la loi au risque de choquer - au maximum de la peine encourue par un adulte depuis la suppression de la peine de mort en 1972.
Bien évidemment, au quotidien, les juridictions compétentes ne vont pas jusque là. Ils n’en ont pas besoin. Je me dois d’ajouter que même avec le jeu de l’excuse de minorité et des circonstances atténuantes, un mineur peut être condamné à une peine supérieure à ses coauteurs adultes. Nous l’avons fait à Bobigny aux assises dans une affaire où 5 jeunes – 3 majeurs et deux de 16 ans et demi et 17 ans trois quart avaient cru nécessaire de chauffer la jambe d’un vieillard avec un fer à repasser pour qu’il délivre le numéro de sa carte bleue. Les plus jeunes qui avaient procédé à cette agression contre l’avis des majeurs ont été condamnés plus sévèrement que ces derniers sans que pour autant on les tienne juridiquement pour majeurs.
On retiendra que notre droit sait prendre en compte les enfants et l'état de minorité, mais que lorsqu’il estime que les considérations d’ordre public sont supérieures il sait revenir au droit commun et oublier l’âge de l’auteur tout en prenant en considération si nécessaire sa psyché dans l’évaluation des circonstances atténuantes.
Bref, le droit de l’enfant a des limites ! Si on l’avait oublié l’affaire du Boën- sur-Lignon le rappellerait.