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Le retour de la censure policière en France

Actualités du droit - Gilles Devers, 16/03/2015

Drôle d’ambiance dans le pays… Tout le monde semble bien content de saluer...

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Drôle d’ambiance dans le pays… Tout le monde semble bien content de saluer le retour de la censure policière en France. Hier, cinq sites internet « prônant l'apologie du terrorisme » ont été bloqués sur décision du ministre de l'Intérieur.

Le terrorisme, on n’aime pas trop, alors s’en prendre à des sites qui propagent ses messages ou ses exploits, qui appellent à prendre les armes contre le droit,... nous serons tous d’accord. Et cela ne pose pas de problème à l’égard de la liberté d’expression, qui a pour limite le « discours de haine », et alors que la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit qu’on ne peut invoquer le texte pour défendre des objectifs qui lui sont contraires.

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Donc, tout va bien, et on se demande pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt… si ce n’est que, comme nous ne sommes pas des crétins finis, il faudra nous prouver que c’est vraiment utile, en répondant à trois questions :

- Y a-t-il des études fondées sur les résultats des enquêtes judiciaires pour démontrer l’impact réel de ces sites ?

- Dans une logique de renseignement de filtrage des réseaux, ne se prive-t-on pas d’informations ?

- L’efficacité est-elle assurée pour des sites qui échappent aux réseaux de diffusion français ?  Rue 89 et Pixellibre.net expliquent comment ça marche… ou pas.

Mais bon… Alors pourquoi faut-il que je râle encore ? Eh bien je râle encore car je dénonce la censure policière, c’est-à-dire le fait que ce soit la police, d’après ses renseignements et sans procédure contradictoire qui décide de la censure. C'est une violation grave de la liberté d’expression. Si un site déverse des appels à la haine, on droit pouvoir sévir, mais par une décision judiciaire, après l’énoncé des griefs et un débat contradictoire. Bref, le juge avec les droits de la défense et non un flic qui bidouille dans son coin. La justice peut réagir très rapidement, et il existe même toutes sortes de procédures qui permettent de se prononcer dans l'urgence, soit en moins de 24 heures. Aussi, le respect de la liberté d’expression serait simple : le ministère de l’Intérieur repère un site frelaté, fait une enquête, relève les propos qui déconnent, et saisit le juge qui, application les règles du procès équitable, prend une décision autorisée par la loi, et pourquoi pas la fermeture du site. Là, je n'aurais rien à dire. 

Le texte en cause, c’est la loi du 13 novembre 2014 qui renforce la lutte contre le terrorisme, et son décret d’application du 5 février 2015 qui ont confié la censure à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication. Quel contrôle du juge ? Aucun ! Mais le ministre nous dit la main sur le cœur : « Les cinq premiers sites sont tous animés par des groupes répertoriés par les services de renseignement et font tous l'apologie du terrorisme ». Eh bien, si c’est si simple, pourquoi tu ne demandes pas au juge ?

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Ce système de censure administrative est une création de Sarkozy – une victoire morale de plus sur le PS – avec la loi du 14 mars 2011 dite Loppsi2. Ce régime de censure policière est dénoncé par les défenseurs du net, je peux citer La Quadrature du Net, le Parti Pirate et cette excellente tribune de Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann.

A deux reprises déjà, le Conseil constitutionnel s’est opposé à ce régime de censure.

Dans sa décision du 2009-580 du 10 juin 2009, pour HADOPI, le Conseil a jugé, que les pouvoirs confiés à une autorité administrative de couper l’accès sans passage préalable par le juge que ceux-ci «peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile » et que dans ces conditions « eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ». Et oui, le système HADOPI qui était critiqué par le PS comme contraire aux libertés… De pitoyables girouettes

Rebelote avec sa décision 2011-625 du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel avait validé des dispositions dès lors qu’elle « ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utilisateurs d’internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile ».

Et alors, me direz-vous, comment se fait-il que le Conseil constitutionnel ait laissé passer la loi du 13 novembre 2014 sur la censure policière ? Très simple : parce que le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi. Ah, ils sont fortiches ! Ils sont soi-disant prêts à combattre contre le terrorisme mais ils n’osent même pas affronter le Conseil constitutionnel…

Ce sera donc à un de ces sites ou un des hébergeurs de faire un recours, et à cette occasion de contester la loi par une question prioritaire de constitutionnalité, avec une défaite annoncée du gouvernement. Mais peu importe, les élections départementales seront passées, et çà, c’est important. 

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