Actions sur le document

Ianoukovitch devant la CPI ? Ce serait une belle erreur

Actualités du droit - Gilles Devers, 26/02/2014

Le renversement du pouvoir en Ukraine présente une forte spécificité car il...

Lire l'article...

Le renversement du pouvoir en Ukraine présente une forte spécificité car il reste l’œuvre du peuple et du Parlement, qui n’a cessé de siéger et qui a voté les actes décisifs. Les manips des puissances étrangères pour soutenir ce mouvement ou l’entraver sont des faits acquis. Mais attendons que la situation se décante pour y voir plus clair dans les affaires d’un pays si méconnu (même si la conversation entre la représentante US pour l’Europe, la charmante et délicieuse Nuland et l’ambassadeur US en Ukraine montre, à nouveau, des US magouillant jusqu’à l’os…).9782802736080.png


Il n’en reste pas moins que le Parlement siège, et hier, il a appelé par une résolution au jugement de Ianoukovitch par la CPI : « Nous appelons la CPI à établir les coupables de ce crime contre l’humanité et à lancer des poursuites contre Viktor Ianoukovitch et d'autres hauts responsables qui donnaient et exécutaient des ordres criminels. Ces trois derniers mois, les forces de l'ordre utilisaient la force, des moyens spéciaux et des armes contre les manifestants pacifiques sur ordre de hauts responsables à Kiev et dans d'autres villes d’Ukraine. Plus de 100 citoyens ukrainiens et d'autres pays ont été tués, plus de 2 000 blessées, dont 500 sont dans un état grave ».


Bon. Mais c’est mal barré,... et ça ne parait pas souhaitable.


La résolution du Parlement n’a aucun effet pour saisir la CPI. Ce stade c’est un vœu (pieu on non). L’Ukraine n’est pas membre de la CPI, ce qui signifie que cet Etat n’accepte pas la juridiction de la cour. L’Ukraine est signataire du traité de Rome, mais il manque la ratification, ce qui suppose le respect d’une procédure complexe, suivi par un vote du Parlement. Vu l’état actuel de désorganisation de l’Etat, un tel vote n’est pas pour demain.9782361700478FS.gif


L’Ukraine peut, sans être membre de la CPI, donner compétence à la Cour. C’est la procédure la plus simple, instaurée pour répondre à la situation de nouveaux pouvoirs qui ne sont pas en mesure d’assurer les procès, et n’ont pas ratifié le statut. Il faut pour se faire que soit installé un gouvernement digne de ce nom. La résolution du parlement est une déclaration d’intention de la part d’un organe n’ayant pas compétence pour se faire.


Dernière solution, le Conseil de sécurité saisit la CPI. C’est un mode intrusif et détestable, car les trois grandes puissances du monde – US, Russie, Chine – qui refuse de se soumettre à la compétence de la Cour lui confie les chefs d’Etats blacklistés, comme Béchir ou Khadafi… De l’instrumentalisation, et des échecs assurés par la CPI qui se casse ensuite les dents sur la souveraineté des Etats. Lamentable.


Alors ? Alors, on attendra qu’un gouvernement soit en place et engage une procédure : soit la ratification, soir la déclaration de compétence. Pour le moment, on reste dans l’affichage.51NZS9JM16L._SY300_.jpg


Mais, sur le fond, je trouverai très regrettable que l’Ukraine saisisse la CPI. L’Ukraine est un grand pays, membre de la communauté de droit qu’est le Conseil de l’Europe (ce, comme la Russie).  Elle doit donc appliquer la Convention européenne des Droits de l’Homme, et elle soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme. Pendant ces derniers mois, des victimes de la répression ont saisi la CEDH, qui a immédiatement réagi. L'Ukraine, européenne, a une occasion franche de montrer que l'Europe, c'est valable.


Il ne fait pas de doute que l’Ukraine dispose de tous les textes pour juger des faits de violences, de meurtre et de torture. L’Ukraine est fragile, mais c’est un grand pays, et chacune s’accorde à souligner la nécessité de préserver son unité. Aussi, en appeler à la CPI, par urgence et avec une résolution sans effet juridique, pour juger un Ianoukovitch qui n’est pas encore arrêté relève d’une fébrilité qui n’est guère encourageante pour la suite. On parle de présidentielles, avec un calendrier très rapproché, et comment dire qu’on peut organiser de telles élections et ne pas pouvoir tenir un procès ? Et puis pourquoi focaliser sur une personne, alors que ce sont les dérives d’un système qu’il faut analyser et éradiquer, sauf à le laisser comme un réseau dormant…


Enfin, l’un des enjeux de la crise ukrainienne est le rapport à l’Europe. Bondir vers la CPI, ce serait dire qu’on ne croit pas au droit européen… ou au contraire qu’on le redoute… Pas bon, pas bon du tout ! Le nouveau régime a une occasion de montrer que, fondé sur la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, l’attachement à l’Europe n’est pas une dérive vers un système vicié, mais la confiance dans la force du droit, aussi bien pour construire la société que pour combattre le crime. 

Visual_Art6_FRA.jpg


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...