La liberté de religion dans le système de l’ONU
Actualités du droit - Gilles Devers, 18/09/2013
« La loi de 1905 et la laïcité à la française pour éclairer le monde… » Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette fanfaronnade, déclamée comme la plus essentielle des convictions. Le modèle français de la laïcité contre les obscurantismes… C’est une manifestation récurrente du grand enflement de tête, mais attention à ce proverbe russe qui nous met en garde : « plus grosse est la tête, plus forte sera la migraine ». Aussi, préparez une perf’ XXL de paracétamol...
Première étape : que dit le droit international ; et le plus international de tous, celui de l’ONU ? Question sous-jacente pour les aficionados du béret glorieux : en quoi le régime de l’ONU est-il si différent de la fameuse laïcité ?
I - Les textes
Trois textes font référence.
1/ La Déclaration universelle des droits de l’homme
La Déclaration universelle des droits de l’homme (AG ONU, 10 décembre 1948) est un engagement des Etats signataires. Elle n’est pas directement exécutoire en droit interne, mais elle a acquis une force juridique indirecte car il est très difficile pour les Etats de s’en écarter nettement ou durablement.
Elle définit la liberté de religion avec l’article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites »
Vous avez bien noté : le texte régit comme un tout « la liberté de pensée, de conscience et de religion », soulignant ainsi que l’atteinte à l’un des volets fragiliserait tôt ou tard les autres.
Donc, chères sœurs, chers frères, faisons une petite pause : ce texte n’est-il pas excellent ? En quoi défrise-t-il les attachements laïcs ?
2/ La résolution de l’AG ONU du 25 novembre 1981
Cette résolution de l’AG ONU, dite « Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction » (36/55, 25 novembre 1981), qui n’est pas non plus directement applicable. Mais c’est un texte de très forte influence car il fait l’objet d’un large consensus. L’article 6 est très intéressant car il fournit un contenu positif à la notion de liberté de religion, en affirmant ce que celle-ci implique, « concrètement » :
« - la liberté de pratiquer un culte, de tenir des réunions, d’établir et d’entretenir des lieux à ces fins ;
« - la liberté de fonder et d’entretenir des institutions charitables ou humanitaires appropriées ;
« - la liberté de confectionner, d’acquérir et d’utiliser les objets et le matériel requis par les rites ou les usages d’une religion ou d’une conviction
« - la liberté d’écrire, d’imprimer et de diffuser des publications sur ces sujets ;
« - la liberté d’enseigner une religion ou une conviction dans les lieux convenant à cette fin ;
« - la liberté de solliciter et de recevoir des contributions volontaires, financières et autres, de particuliers et d’institutions ;
« - la liberté de former, de nommer d’élire ou de désigner par succession les dirigeants appropriés, conformément aux besoins et normes de toute religion ou conviction ;
« - la liberté d’observer les jours de repos et de célébrer les fêtes et cérémonies conformément aux préceptes de sa religion ou de sa conviction ;
« - la liberté d’établir et de maintenir des communications avec des individus et des communautés en matière de religion ou de conviction au niveau national et international ».
Donc, chères sœurs, chers frères, faisons une nouvelle petite pause : ce texte n’est-il pas excellent ? En quoi défrise-t-il les attachements laïcs ?
3/ Le Pacte des droits civils et politiques de 1966
Le Pacte des Droits civils et politiques de 1966, très largement ratifié à travers le monde, est une continuation de la Déclaration universelle de 1948. Simplement, on a pris le temps de trouver une rédaction plus juridique, car le but est d’en faire un texte directement applicable en droit interne, et l’ONU a créé une structure ad hoc, le Comité des Droits de l’Homme, pour se préoccuper de l’application du texte.
La France a ratifié et le Pacte est donc directement applicable en droit interne, ce qui signifie que 1) les textes de loi et les décisions de justice interne doivent respecter le contenu de ce Pacte, et que 2) il existe pour chaque personne vivant en France un recours individuel devant le Comité des Droits de l’Homme.
C’est l’article 18 qui définit la liberté de religion :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou Droits de l’homme et libertés fondamentales en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
« 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.
« 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
« 4. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».
L’article 27 souligne l’attention due aux minorités religieuses :
« Les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie cultuelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».
L’article 29 traite des limites au libre exercice:
« Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ».
Donc, chères sœurs, chers frères, faisons une troisième petite pause : ce texte n’est-il pas excellent ? En quoi défrise-t-il les attachements laïcs ?
II - L'interprétation donnée par le Comité des Droits de l'Homme
Le Comité des Droits de l’Homme s’est souvent prononcé sur le respect de la liberté de religion, par ses observations générales, ses rapports périodiques et sa jurisprudence. L’un des textes les plus éclairant est l’’observation générale n° 18 du 10 novembre 1989, notamment quand il traite des restrictions qui peuvent être apportées aux manifestations extérieures :
« Le paragraphe 3 de l'article 18 n'autorise les restrictions apportées aux manifestations de la religion ou des convictions que si lesdites restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l'ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui. Aucune restriction ne peut être apportée à la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction en l'absence de toute contrainte ni à la liberté des parents et des tuteurs d'assurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale.
« Les restrictions imposées doivent être prévues par la loi et ne doivent pas être appliquées d'une manière propre à vicier les droits garantis par l'article 18.
« Les restrictions ne doivent être appliquées qu'aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l'objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire. Le Comité fait observer que la conception de la morale découle de nombreuses traditions sociales, philosophiques et religieuses; en conséquence, les restrictions apportées à la liberté de manifester une religion ou une conviction pour protéger la morale doivent être fondées sur des principes qui ne procèdent pas d'une tradition unique ».
Ces règles ont été rappelées dans la décision Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c. République de Corée (CCPR/C/88/D/1321-1322/2004, 23 janvier 2007) :
« Bien que certaines restrictions au droit de manifester sa religion ou conviction soient permises, ce ne sont que celles définies par le paragraphe 3 de l’article 18, c’est-à-dire celles « prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui ».
Donc, chères sœurs, chers frères, faisons une dernière petite pause : ce texte n’est-il pas excellent ? En quoi défrise-t-il les attachements laïcs ?