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Le cinéma français somptuaire mais pas somptueux !

Justice au singulier - philippe.bilger, 29/12/2012

Et si l'exception française était, en définitive, de ne jamais laisser l'initiative libre de ses mouvements et de sa création, à ses risques et périls certes mais aussi pour son plus grand bénéfice ? De l'encadrer, de l'entraver, de la suspecter ? De ne pas la supporter dans sa plénitude ? Ou au contraire de l'assurer, de la rassurer contre tout ? Il ne faudrait pas la France ressemble à son cinéma.

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Il suffit d'être patient.

Un jour ou l'autre, pour tout, quelqu'un sort du bois et révèle, dénonce ou éclaire.

Pour le cinéma, c'est Vincent Maraval, l'un des producteurs de The Artist et le directeur des ventes internationales de la société de films Wild Bunch, dont il a été le fondateur (Le Monde).

Sur le plan commercial, l'année 2012 n'a pas été bonne pour le cinéma français, à l'exception peut-être du "Prénom".

Nos films sont trop chers. Après les films des studios américains, "la France détient le record du monde du coût moyen de production : 5,4 millions d'euros, alors que le coût moyen d'un film indépendant américain tourne autour de 3 millions d'euros".

Malgré ses échecs, le cinéma français, grâce à son système de financement, continue à offrir des sommes considérables à des acteurs qui pourtant subissent revers sur revers.

Le cinéma français est mauvais parce qu'il est trop subventionné et que ses acteurs sont trop payés.

Un Dany Boon, qui se pique d'être une conscience politique et vit à Los Angeles, obtient 3,5 millions d'euros pour "Un plan parfait", dont pourtant les entrées ne seront pas suffisantes pour payer son salaire (20 minutes).

Vincent Cassel, acteur remarquable, a perçu pour Mesrine 1,5 million d'euros (22,6 millions de recettes monde), alors que dans Black Swan (226 millions de recettes monde), il n'a obtenu que 226 000 euros.

"Dix fois moins de recettes, cinq fois plus de salaire, telle est l'économie du cinéma français".

Benicio Del Toro a moins été rétribué pour avoir joué magnifiquement le Che que François-Xavier Demaison dans chacune des oeuvrettes auxquelles il a participé.

Ces traitements faramineux octroyés chez nous à des acteurs qui pour la plupart sont et vont demeurer inconnus du reste du monde ne "boostent" pas les recettes économiques mais ont pour seul objectif d'obtenir le financement des télévisions.

Les subventions directes (chaînes publiques, avances sur recettes, aides régionales) mais surtout indirectes (l'obligation d'investissement des chaînes privées) rendent notre cinéma assisté, dépendant, irresponsable. Comme un bien-portant qui serait en permanence sous perfusion ou auquel on ne laisserait même pas le droit de se sentir bien et de le démontrer. On est décrété malade avant de l'être, en crise avant de la subir. On est présumé fragile.

Le cinéma français peut réussir comme échouer : il est garanti contre les risques, y compris ceux résultant de la médiocrité dominante, acteurs, scénaristes et réalisateurs.

Vincent Maraval propose de limiter à 400 000 euros le montant des cachets, assorti d'un intéressement obligatoire sur le succès du film dans le cadre des obligations légales d'investissement des chaînes de télévision. Pour le surplus, si la valeur d'un acteur est considérée comme bien supérieure, le marché sera libre.

Ce coup de gueule et de lucidité ne serait pas autant exemplaire s'il ne mettait en évidence ce qui, sur un plan général, caractérise certains dysfonctionnements français.

Beaucoup d'argent attribué, des subventions à foison. Un Etat omniprésent qui se mêle de tout.

L'impression désagréable que les résultats comptent peu, qu'on n'exige pas de quelqu'un qu'il mérite ce qu'il touche. La nature des actes n'a aucune incidence sur le niveau des revenus.

Un sentiment d'irresponsabilité. Puisqu'échouer ne fait rien perdre, pourquoi réussir serait-il tentant ?

Il y a sans doute, comme pour le cinéma, des plaies, des bureaucraties et des rigidités qui étouffent et stérilisent, partout ailleurs. Il faudrait dénouer quand on ligote.

L'exception culturelle française n'est pas celle que l'on croit. Pas celle qui sauve le cinéma, mais celle qui autorise le somptuaire contre le somptueux.

Et si l'exception française était, en définitive, de ne jamais laisser l'initiative libre de ses mouvements et de sa création, à ses risques et périls certes mais aussi pour son plus grand bénéfice ? De l'encadrer, de l'entraver, de la suspecter ? De ne pas la supporter dans sa plénitude ?

Ou au contraire de l'assurer, de la rassurer contre tout ?

Il ne faudrait pas la France ressemble à son cinéma.


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