Vive les profs !
Justice au singulier - philippe.bilger, 18/05/2014
Le populisme antiprofs, ça suffit !
Tout ce que charrie cette démagogie française vantant les métiers, les vocations et les services publics mais toujours prête à les débiner, à les ridiculiser et à les abaisser !
Je suis tellement choqué par cette récente et lamentable controverse que je continue à lui laisser prendre le pas sur le énième épisode de la manipulation de Jérôme Kerviel qui semble fasciner les médias adorant les justiciers en toc. Il s'agit d'un délinquant condamné qui doit exécuter sa peine. Comme il est naturel dans un monde qui inverse voluptueusement les valeurs, le Kerviel justement sanctionné s'est glissé dans la peau d'un croisé contre la finance en ajoutant qu'il avait honte d'avoir été trader. Un passage par le pape, le soutien incongru de Jean Luc Mélenchon, de Monseigneur Di Falco et de journalistes à la recherche de héros surtout délétères (Mediapart), une marche, un appel au président de la République, la posture du persécuté alors qu'il manipule : c'est bien joué. J'espère que le président de la République ne nous refera pas Leonarda en grand (BFM) !
"Tollé après le report de la rentrée" (Le Parisien). Parce que la prérentrée sera effectuée le 1er septembre au lieu du 29 août et qu'immédiatement la machine démocratique envieuse et vulgaire s'est remise en marche. Ces professeurs qui ont besoin de finir leurs vacances en août, qui d'ailleurs ne font rien alors que la France travaille, elle, et qui vont obliger les parents à des acrobaties puisque la rentrée des élèves aura lieu le 2 septembre !
Il est tout à fait possible que ce ce ministre lucide qu'est pour l'instant Benoît Hamon - entre hier à partiellement défaire et demain à inventer - ait cédé aux pressions syndicales de même qu'il n'est pas inconcevable non plus que l'arrivée heureuse de 40 000 nouveaux professeurs soit plus aisément traitée sur le plan du traitement informatique à partir du 1er septembre que du 29 août (Le Monde, Le Figaro).
Je sais tout ce qu'on peut dire dans cette veine que je trouve cependant dangereuse même quand elle est intelligemment exprimée par Bernard Poirette quand, avec lui, on est assez présomptueux pour prétendre "refaire le monde" (RTL).
Ce qui me choque tient au fait qu'à aucun moment cette dénonciation si facile et tellement rentable pour une opinion publique qui aime se "payer" ceux qui sont les plus nécessaires à la survie d'une société civilisée et honorable n'est mise en balance avec la condition des professeurs, leur existence au quotidien, leur apport, leurs épreuves, les violences dont de plus en plus souvent ils sont victimes. De la part de certains parents qui les insultent ou les frappent. De la part d'élèves qui pourrissent les classes et qu'on ne peut renvoyer. Ce climat favorisé, trop souvent, par la lâcheté d'une hiérarchie qui ne veut pas de vagues, ce qui est la meilleure manière pour les amplifier et ne pas se faire respecter.
Par le soutien formel d'un Etat qui, à vrai dire, donne l'impression de ne plus savoir sur quelle politique danser pour rappeler la grandeur et la richesse d'un enseignement de qualité, l'obligation de l'autorité et de la discipline et pour favoriser la considération à la fois institutionnelle et financière qu'on doit aux maîtres et aux enseignants.
Si on exclut les lycées d'excellence, comme à Paris Louis-le-Grand ou Henri IV, c'est à ceux qui affrontent au quotidien le pire et dont on exige le meilleur vaille que vaille que ce procès de fainéantise et de désinvolture est intenté ! Comment ose-t-on ? Rien ne se décrètera par magie mais notre République n'aura aucune chance de redresser ses services publics gangrenés dans leur légitimité et leur fonctionnement si systématiquement on les accable au lieu de les louer, si on les tourne en dérision au lieu de les consacrer.
Il est honteux de chipoter pour un jour quand on songe aux mois de mai et de juin où on enseigne entre les jours fériés et au regard de la somme de charges, de tensions et d'empires sur soi qu'enseigner implique aujourd'hui ! C'est un exploit renouvelé et je ne suis pas sûr que beaucoup d'entre nous - encore moins les plus démagogues - seraient aptes à l'assumer.
Il ne s'agit en aucun cas d'exonérer les professeurs de leur responsabilité et parfois de leurs fautes. Mais d'arrêter le processus suicidaire qui consiste à mettre dans le même sac les métiers tranquilles et profitables et les tâches certes passionnantes mais de plus en plus difficiles et risquées se rapportant à l'éducation et à l'ordre public.
Ces dernières ont droit à l'estime publique parce que sans elles, si on continue à les laisser se déliter, notamment en moquant leurs agents, leurs titulaires et leurs héros - vrais, ceux-là -, la France ressemblera de plus en plus à un pays qui aura son avenir dans le dos.
De grâce, sous le prétexte que la prérentrée aura lieu le 1er septembre, qu'on n'oublie pas surtout ce qui va attendre les professeurs lors de l'année qui suivra. Et ce que parfois ils devront endurer.
On a besoin d'eux.
Et eux de notre soutien.
Vive les profs !