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Sur un petit air d’accordéon pirate…

:: S.I.Lex :: - calimaq, 11/05/2012

La vie en Rose d’Edith Piaf, jouée à Tulle après le discours de la victoire prononcé par François Hollande : l’image a fait le tour des chaînes de télévision et elle m’a également frappé, mais  pour des raisons particulières… C’est … Lire la suite

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La vie en Rose d’Edith Piaf, jouée à Tulle après le discours de la victoire prononcé par François Hollande : l’image a fait le tour des chaînes de télévision et elle m’a également frappé, mais  pour des raisons particulières…

C’est un tweet du toujours très incisif Rémi Mathis qui m’a mis la puce à l’oreille (c’est le cas de le dire…) :

En effet, cette interprétation à l’accordéon du célèbre morceau de la Môme Edith Piaf constitue juridiquement parlant une représentation publique d’une oeuvre protégée, et s’il existe en France une licence légale pour la diffusion publique de phonogrammes du commerce, celle-ci ne concerne que les droits voisins des interprètes et des producteurs et non les droits d’auteur proprement dit,  ce qui rend obligatoire pour ce type d’usages une autorisation de la SACEM et le versement d’une rémunération.

Comme le souligne ici Rémi, je doute fort (sans en être certain toutefois) que les organisateurs de la manifestation à Tulle aient demandé cette autorisation à la SACEM et versé la rémunération adéquate, ce qui fait que François Hollande aura sans doute inauguré son quinquennat par… un acte de contrefaçon caractérisée (3 ans de prison et 300 00 euros d’amendes… tsss, tsss !). Certes, la SACEM permet également de régulariser une situation a posteriori, mais avec lors, une majoration de 20% sur le tarif.

Vous serez peut-être tenté de répondre qu’il vous paraît surprenant qu’un titre aussi ancien que La Vie en Rose puisse être encore protégé, mais c’est bel et bien le cas, et pour très longtemps encore. Les paroles de La Vie en Rose ont été écrites par Edith Piaf et la musique composée par Louiguy.

La Vie en rose (1947) est une chanson d’Édith Piafmusique de Louiguy et Marguerite Monnot (qui ne la signa finalement pas).

Le texte lui a été offert par son auteur fétiche, Henri Contet, pour son anniversaire et devint le succès qu’on lui connaît.

C’est une de ses amies, Marianne Michel, qui popularisa la chanson, avant que Piaf ne l’enregistre en 1947.

Edith Piaf a la qualité d’interprète de ce morceau et à ce titre possède un droit voisin, d’une durée de 50 ans à compter de l’interprétation, qui s’est donc éteint en 1998. C’est la même chose pour des droits voisins du producteur qui a pris l’initiative de la première fixation du phonogramme. D’une durée de 50 ans, ils se sont éteints pareillement en 1998. La vie en Rose, de ce point de vue, est dans le domaine public. Cependant ici, ce n’est pas l’interprétation d’Edith Piaf qui est en cause, puisque l’air a été joué à l’accordéon… par Jean-Paul Denanot, président du Conseil régional du Limousin, qui était montée sur scène pour l’occasion !

Pour ce qui est des droits d’auteur liés à la composition de la musique et au texte de la chanson, les choses sont en revanche différentes. Concernant une oeuvre de collaboration, il faut prendre en compte la date de décès du dernier auteur encore en vie ayant collaboré à la création de l’oeuvre. Edith Piaf est décédée en 1963 et Louiguy en 1991, ce qui fait que le morceau restera protégé jusqu’en 2062 (vie du dernier auteur + 70 ans) !

Autant dire que François Hollande sera mort et enterré à cette date, tout comme bon nombre des personnes qui liront ces lignes, et moi qui les rédige…

Les choses seront peut-être plus funestes encore, car l’Union européenne a décidé de faire passer de 50 à 70 ans les droits voisins des interprètes et des producteurs, ce qui affecte directement les oeuvres musicales. Et c’est sous le mandat de François Hollande que le parlement français devra transposer ce nouvel allongement de la durée des droits.

Qu’il se souvienne bien de ce petit air d’accordéon qui jouait lors de sa victoire… Il était encore à ce moment à moitié libre !

Tout ceci me paraît grandement symbolique et significatif des défis qui attendent le nouveau Président dans le domaine de la Culture. Car je n’ai pas vu grand chose (sinon absolument rien) dans les propositions socialistes concernant le domaine public, la durée des droits ou les exceptions au droit d’auteur.

On le sait, les propositions du candidat Hollande en matière de Culture et de Numérique ont péniblement flotté durant toute la campagne pour s’achever sur des promesses faites aux titulaires de droits, qui laissent penser que le changement en la matière, ce sera tard, très tard, voire jamais ! Le nom d’Hadopi changera certainement, mais qu’en sera-t-il de nos libertés concrètes ?

Les questions de financement de la création ont dominé la campagne, sans que celles des libertés des citoyens dans leur rapport à la culture soient réellement abordées. Quand je dis liberté, je parle de choses toutes simples, comme celle par exemple de jouer un air d’accordéon en public pour célébrer un moment joyeux, sans risquer les foudres du droit !

Concernant les usages numériques, les défis qui attendent François Hollande et son équipe sont plus redoutables encore. Un petit détour par Youtube permettra d’en prendre la mesure.

Illégal actuellement ce remix par exemple, qui mêlent les interprétations de La Vie en Rose de Louis Armstrong, d’Edith Piaf et de Grace Jones !

Illégale cette petite vidéo pédagogique où l’on nous apprend à jouer La Vie en Rose à l’harmonica diatonique en Do !

Illégale encore (vous avez vu ? moi aussi je sais faire des anaphores !) cette troisième vidéo sur Youtube, où l’on voit un internaute interpréter La Vie en Rose grâce à une application permettant de jouer de l’accordéon avec un Zipad, identique à ceux que le futur président a offert à tous les enfants de Corrèze !

La culture numérique, c’est cela aussi aujourd’hui et elle est frappée par une véritable prohibition qui plonge des pans entiers de nos activités en ligne dans l’illégalité et les laisse à la merci d’une demande de retrait de la part des titulaires de droits.

Ces sujets seront-ils seulement abordés lors de ce grand débat annoncé pour le mois de juillet sur l’acte II de l’exception culturelle française ? Continuera-t-on encore ensuite à traiter de pirates les citoyens qui désirent s’approprier et partager ainsi la culture qu’ils aiment ?

Prenons date dans 5 ans : Vous Président de la Réublique, si des pratiques aussi anodines que celles qui figurent dans ce billet sont toujours illégales et punies de 3 ans d’emprisonnement, il faudra en conclure que les promesses de changement que vous avez faites n’auront pas été tenues.

Et nul doute que tous ces internautes à qui l’on avait promis une Vie en Rose verront rouge !

Ce sera mon cas et vous pouvez compter sur moi d’ici-là pour ressortir autant de fois qu’il sera nécessaire ce petit air d’accordéon pirate qui inaugura si bien ce quinquennat !

 [http://www.youtube.com/watch?v=8ycBdij47wY]

PS : ce billet a été initialement été publié sur OWNI, avec quelques imprécisions, et j’en ai remanié certains passages pour tenir compte des commentaires m’ayant été faits.


Classé dans:A propos des libertés numériques Tagged: Domaine public, droit d'auteur, droits voisins, durée des droits, Edith Piaf, François Hollande, musique, président, remix, vie en rose


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