Thalys : Terrorisme ou truanderie ? Rien ne colle…
Actualités du droit - Gilles Devers, 23/08/2015
Quarante-huit heures de garde-à-vue et toujours pas de communication du Parquet… L’affaire ne doit être pas si évidente que ça, et les « experts » en terrorisme étaient hier soir en retrait... Pour savoir, il faudra attendre, mais ça n’empêche pas d’essayer de réfléchir, et de poser des questions.
Ce dimanche soir, nous avons les fuites concordantes sur le déroulement des faits, et l’interview de mon excellente consœur qui assisté Ayoub El-Khazzani lors de la première audition à Arras. Depuis samedi matin, l’agresseur est entendu par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et la garde-à-vue peut durer jusqu’à mardi soir.
Qu’est-ce que l’on sait ?
Les faits ont eu lieu à bord du Thalys 9364, parti à 15h17 d'Amsterdam pour arriver à 18h35 à Paris, avec une étape à Bruxelles à 17h13.
Vers 18 heures, alors qu’on vient d’entrer sur le territoire français, à Oignies (Pas-de-Calais), un voyageur, un Français, attend son tour devant les toilettes de la voiture 12, occupées, sur le palier entre les voitures 11 et la 12. La porte s’ouvre, et apparait Ayoub El Khazzani, 25 ans, torse nu, avec un fusil d’assaut kalachnikov en bandoulière et un pistolet automatique Luger. Il s’y était enfermé une dizaine de minutes pour se préparer et charger les armes. On découvrira ensuite qu’il avait sur lui 8 chargeurs pour la kalachnikov, soit environ 300 balles, et un cutter.
Le voyageur français, se trouvant en tête-à-tête, ne se démonte pas et tente de le prendre au corps, mais il est jeté au sol.
Un contrôleur, qui pensait assister à une bagarre, s’approche : « J’ai été projeté contre une porte. Je me suis retrouvé avec l’individu, il m’a mis au sol, m’a pointé avec le revolver ». Puis le type se barre vers la voiture 12.
Le contrôleur tire le signal d’alarme, et avise le conducteur.
Ayoub El Khazzani arrive dans la voiture 12, et aussitôt tire un premier coup de feu, qui blesse grièvement un voyageur de 51 ans, au dos : la balle perfore un poumon. Il tire un second coup de feu, qui frôle de la tête d'une passagère. Il ne s’approche pas des autres voyageurs, ne demande rien.
L’assaillant quitte les lieux. Il se poste alors entre les wagons 12 et 13, et tente de manipuler la Kalachnikov, qui s’enraille.
Il revient alors dans la voiture 12, mais après son premier passage, deux militaires étasuniens, Spencer Stone et Alek Skarlatos, ainsi qu’un ami Anthony Sadler, ont compris ce qui se passait : « Au début, personne n'a réagi, parce que personne n'a compris que c'était un coup de feu », explique Spencer Stone. Tout trois lui sautent dessus pour le maîtriser, aidés d’un britannique, Chris Norman. Dans le corps à corps, Spencer Stone est blessé au niveau du cou et du pouce à coups de cutter.
Ayoub El Khazzani est maîtrisé et plaqué au sol.
Spencer Stone file aider le passager qui avait été touché au dos et au poumon. « J'ai vu qu'il saignait beaucoup, j'ai compris qu'une artère était touchée, alors j'ai fait pression avec ma main pour arrêter l'hémorragie ».
Bravo à eux.
Le contexte
Sur ce plan, il faut être prudent car les infos restent très lacunaires. Ayoub El-Khazzani aurait vécu en Espagne, de 2007 au début de 2014, de petits boulots et de trafics. Il s’était fait repérer à Algésiras, en Andalousie, pour des propos radicaux, et les services espagnols en 2014 avaient adressé un signalement à la France, où il comptait se rendre. Il a alors fait l’objet d’une fiche « S », comme sûreté de l'État, mais rien de plus. En France, 5 000 personnes sont fichées S, pour des motifs très divers. Lors d'un contrôle policier ou douanier, l'information du déplacement remonte à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Lui aurait été très itinérant : Belgique, Allemagne, Autriche, France, Andorre.Vendredi, les services ont commencé à donner des indications contradictoires, et depuis, silence radio…
Ma consœur Sophie David a donné une interview à BFM. Elle décrit son client comme un SDF « squelettique », « peu instruit » et « paumé ». Il n’a « rien fait transparaître d’un discours extrémiste », niant « toute activité cultuelle » et « tout projet terroriste ». Son but était de racketter les passagers, puis de sauter du train. Quant aux armes, il les aurait trouvées dans le parc où il dort, vers la gare de Bruxelles, car il se dit SDF.
Alors, quel scénario ?
Un jour, on saura, mais pour le moment, des deux scénarios proposés – terrorisme ou truanderie – aucun n’est crédible.
Terrorisme…
La première option est le terroriste voulant faire un massacre, avec les 300 balles de la kalachnikov.
La fiche S donne un petit début de crédibilité, mais franchement, rien ne colle.
L’idée d’un SDF, paumé, sans connexion, ni argent parait s’imposer. On ne voit rien qui légitime l’amorce d’une revendication politique, ni pendant les faits, ni après. Et puis un type plus qu’amateur, a priori assommé par les médocs, les analyses sanguines nous dirons.
Alors, loup solitaire ? Oui, c’est l’hypothèse dominante. Il était seul sur place, et il y a peu de chance que l’enquête mette à jour un réseau… Pas d’ordi, pas de téléphone portable, pas de carte bancaire… Ça ne va pas être simple, et bon courage aux flics qui vont aller interroger les SDF de Bruxelles pour en savoir plus…
Surtout, le déroulement des faits n’est pas en phase. Essayons de rester rationnels : comment expliquer son attitude si son but était de causer un massacre ? Le type sait qu’à partir du moment où il va tirer, l’alerte sera donnée, et le temps sera compté. Il est dans le train depuis une demi-heure, et il a eu le temps de repérer les lieux. Or, quand il sort des toilettes, la kalachnikov est en bandoulière, et c’est le pistolet qu’il a la main.
Le premier passager et le contrôleur ont eu la peur de leur vie, mais l’agresseur n’a pas tiré. Quand il arrive dans la voiture 12, son attitude est incompréhensible. Il tire deux balles, en visant, ne dit rien, puis traverse le wagon pour se rendre sur le palier entre les voitures 12 et 13. Les voyageurs diront qu’à ce moment-là n’ont pas compris ce qui s’était passé, et c’est uniquement lors de son retour dans la voiture qu’ils ont réagi.
Heureusement pour les passagers, il n’y a finalement qu’un blessé, hors de danger. Mais, on est obligé de dire que s’il s’agissait effectivement d’un terroriste voulant faire un carnage, il serait sorti déterminé des toilettes avec la Kalachnikov, et il aurait vidé ses huit chargeurs sur l’ensemble des passagers. Il y a suffisamment d’exemples à l’étranger pour voir les méthodes des terroristes pour comprendre qu’ici, il s’est joué autre chose.
Truanderie ?
La seconde hypothèse, qu’il a fait expliquer par son avocate, ma consoeur Sophie David, du barreau d'Arras, est celle de la truanderie : il voulait racketter les occupants friqués de la première classe, et il n’a rien à voir avec le terrorisme, pas plus qu’il n’en veut à la vie des gens.
Il parait acquis que c’est un paumé, et qu’il est déconnecté de tout réseau terroriste. C’est important, mais pour le reste, rien de crédible non plus.
Les armes évidemment n’ont pas été trouvées dans une valise… Il les a acquises, ce qui ne semble pas trop compliqué dans les milieux marginaux à Bruxelles. La préméditation est évidente.
Son projet était d’obtenir de l’argent sous la menace, de briser une vitre et de fuir,… mais rien que le scénario de la fuite le rend irréaliste.
Enfin, pourquoi une Kalachnikov et 300 balles si c’est juste pour menacer les gens ? Et pourquoi est-il entré dans la voiture 12 en tirant, pour traverser la voiture sans s’adresser à personne, alors qu’à ce moment-là, il n’était gêné par personne, et pouvait commencer son racket ?
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Alors, quelle vérité sortira de ses faits aujourd’hui incompréhensibles ?
Juste une remarque pour conclure : dans une affaire grave comme cela, chacun peut constater, une fois de plus, que la loi sur le renseignement n’aurait été d’aucune efficacité.