Le biologique et l’affectif (518)
Droits des enfants - jprosen, 10/02/2013
Le débat auquel nous invitions depuis des années, désormais inéluctable, aura comme principal intérêt de clarifier ce que l’on met sous le terme de filiation.
Je me réjouis de voir petit à petit avancer l’idée que sous ce terme plusieurs types de liens peuvent exister entre personnes.
Reste maintenant à faire entendre à tous qu’il ne s’agit pas de privilégier l’un ou l’autre, mais de trouver le moyen de les faire se cohabiter. On peut être biologiquement issu d’un homme et attaché à celui qui vous a fait sien en vous reconnaissant ou vous élève quoiqu’il ne soit pas biologiquement ou juridiquement votre géniteur. De même, au grand dam de Napoléon, la seule mère n’est pas la femme qui accouche d’un enfant. Les pratiques sociales (naissances hors le mariage, unions et désunions des couples, recompositions familiales, voire adoption dans ou hors la famille) ont complexifié les hypothèses quand jusqu’alors les choses étaient assez linéaires : l’enfant naissait dans le mariage ; la filiation établie à l’égard de la mère, le mari était tenu pour le père et les cas de séparation relativement rares. Aujourd’hui pour un peu plus d’un million d’enfants sur 13 de quels parents parle-t-on ?
La question est loin d’être neutre car de la filiation dépend à priori l’autorité parentale. Le beau-père ou la belle mère ne sont pas titulaires de l’autorité parentale. Seuls les deux parents biologiques qui ont vu le lien juridique créé avec leur descendance le sont ou peuvent l’être car, en pratique nombre (21%) de pères hors mariage avec la mère ne reconnaissent pas leur enfant. En cas de divorce les deux parents peuvent continuer à exercer conjointement l’autorité parentale, mais fréquemment l’un s’en voit confié l’exercice à titre principal, l’autre ne dispose alors que de bribes d’autorité parentale.
Le développement de la chaîne du froid au service des procréations assistées a donné une autre dimension à cette question. La science permet de dissocier nettement les filiations et pose plus crûment les questions qui étaient déjà sur table. Qui est la mère : la femme qui donne l’ovule, de celle qui porte et accouche de l’enfant ou de celle qui le reconnaît ou qui l’élève voire qui l’aime comme son enfant. On - les adultes - peut désormais faire en sorte qu’un enfant ait au moins 5 mères !
Reconnaître la filiation sociale ou affective ne doit pas conduire à nier la filiation biologique … et réciproquement. Dans la loi du 6 juin 1984 sur les droits des parents et des enfants dans leurs rapports avec l’aide sociale à l‘enfance nous avons eu le souci de permettre à un enfant qui retrouvera le domicile familial après avoir été confié à l’ASE de ne pas rompre les relations avec ceux qui lui sont chers, sous-entendu la famille d’accueil. Demain avec le statut du tiers on admettra qu’au quotidien un adulte exerce des responsabilités à l’égard de l’enfant qu’il élève sans pour autant désinvestir le parent biologique ou juridique de ses propres responsabilités.
Reste, et c’est sur ce point qu’il faut désormais insister plus que jamais avec cette fois de bonnes chances de concrétiser, à établir la filiation biologique. Dans les années 85 quand nous travaillions sur le rapport au premier ministre sur les procréations assistées seul 11 % des français étaient pour permettre le droit d’accéder aux origines. Aujourd’hui ils sont plus de 60%.
Contrairement à ce que certains avancent le sperme ou l’ovule ce n’est pas rien ! Bien sûr semer une petite graine qui féconde un ovule ne suffit pas à faire d’un homme un père dans tous les sens du terme, mais à l’inverse prétendre que ce sperme est qu’un peu de matière, est un court et totalement contraire à ce que ressentent nombre d’enfants et d’adultes. Si l'amour et le désir d'enfant ne font pas nécessairement filiation on ne peut pas les négliger; on ne peut pas négliger le biologique.
Il nous faut donc mieux le prendre en compte que cela n’a été le cas jusqu’à présent.
J’observe ainsi que notre droit en admettant l’accouchement sous « X » permet à une femme avec la caution de l’Etat de priver un enfant de sa filiation.
Je constate également que dans les procréations médicalement assistées on a sauvegardé l’anonymat du donneur.
Je relève enfin que l’adoption plénière efface la filiation première d’un enfant pour lui en substituer une toute neuve.
Sans en faire un primat les français en tendent l’importance pour beaucoup – pas pour tous – de savoir ce qui les rattachent à la vie. Au nom de quoi peut-on affirmer que cette quete des origines n’a aucune importance et ne doit pas en avoir. Chacun sinon tous ne fut-ce qu’un instant nous sommes demandés si Papa était bien papa et Maman est bien ma mère ! Un rapide tour d’horizon aux photos de famille répond généralement à la question.
L’article 7 de la CIDE pose bien le principe : « chaque enfant à la droit de connaître ses parents ».
La loi de 2001 a constitué une avancée indéniable en permettant avec le soutient du CNAOP à un enfant délaissé de rechercher ses origines. Limite de l’exercice : si la mère biologique s’y refuse, son droit à la confidentialité l’emporte. Il faudra revoir ce texte tout en maintenant un accompagnement social et psychologique de la révélation. Je disais souvent, avant d’apprendre la vérité mitterrandienne, qu’on n’apprend pas sans ménagement qu’on est fils ou fille de président de la République !
Il faudra revoir l’adoption plénière pour qu’elle n’efface plus l’histoire tout en garantissant un lien stable avec la nouvelle famille d’inscription de l’enfant.
Il faudra aller reconnaître la confidentialité à l’accouchement la femme qui accouchant ne se sent pas à même d’assumer l’éducation de son enfant sans pour autant priver l’enfant de sa filiation.
Il faudra permettre à l‘enfant né de PMA de connaitre ses origines biologiques. Ne fut-ce que pour des raisons médicales, le secret ne peut pas être absolu. Que l’on ne cherche pas à nous en détourner en prétendant qu’il n’y aura plus de donneurs ! La Suède dispose d’une législation dans ce sens : le donneur de sperme n‘est pas anonyme et si l’enfant cherche à le connaitre il n’y aura pas établissement d’un lien de filiation ni mise en cause de sa responsabilité parentale. Les dons de sperme n’ont pas chuté. Et même si cela avait été le cas …
Droit d’accéder ne veut pas dire obligation. Chacun restera mettre d’user ou pas de ce droit sans avoir à s’en justifier. On n’a pas à justifier de l’usage normal d’un droit.
Il va falloir à apprendre plus souvent encore que c’est le cas à vivre la vérité. Souvenons nous que durant des lustres les psys recommandaient de ne pas parler l’adoption aux enfants ; on en est revenu. L’adoption est une deuxième naissance, un acte positif qui relative l’incapacité des géniteurs d’assumer l’enfant. Il vaut mieux parler cette adoption que de supporter les réactions de l’enfant qui découvre le mensonge des adultes au moment de l’adolescence.
Restera à trouver les limites de cet accès à la vérité tellement il est vrai que beaucoup de familles recèlent des secrets bien cachés et que nombre (6% pour certaines études, 10% pour d’autres) d’enfants de couples bien établis n’ont pas pour parents les deux membres du couple ! Mais à chaque jour suffit sa peine. Commençons pour dire haut et effort que les couches de vie qui nous composent sont toutes aussi légitimes les unes que les autres et que l’on ne doit pas les nier. Un grand pas aura déjà été franchi pour dédramatise ‘l’interpellation de la filiation à laquelle nous assistons.
Je constate qu’Irène Théry qui fustige Sylviane Agacinki d’avoir condamné le lien fait entre mariage et filiation débouche sur cette conclusion qu’il faut reconnaître la variété de filiations et ne pas nier le biologique (« La filiation doit évoluer » Le Monde du 10-11 février 2013). Je ne dis rien d’autre … et je maintiens qu’il ne fallait pas lier les deux sujets, mais on ne refait pas l’histoire. Pour le moins concrétisons sur ce point.