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Hollande et Sarkozy seuls au monde ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 19/02/2012

François Bayrou qui, lui, est cohérent dans sa stratégie et dans sa tactique est encore loin des des deux premiers, plus très éloigné de Marine Le Pen. Ce héros d'un centrisme musclé ne commet pas d'erreur, ne profère aucune absurdité, est exemplaire dans sa rectitude et son combat mais je crains que la machine et le talent sarkozystes et le rêve manichéen d'un affrontement gauche/droite le laissent encore au bord de la victoire. Mais que François Hollande ne s'imagine pas être forcément au second tour !

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Laissons de côté le Figaro et ses gros titres qui un jour pourraient nous étonner s'ils en venaient à respecter un journalisme équilibré, même de droite, même d'opinion ! Négligeons les dithyrambes obligatoires, par exemple d'un Jean-Pierre Raffarin qui à l'évidence "ne fonctionne pas qu'à l'affectif" mais aussi au sentencieux plat !
Il n'empêche que, sorti de la bulle d'ivresse politique et médiatique, il convient de reconnaître que l'entrée en campagne du président de la République enfin officiellement candidat - durant tant de mois il l'a été officieusement mais ostensiblement tout de même, sans se gêner - a été une réussite. Si son intervention sur TF1 a connu quelques ratés dans la forme, elle a révélé un trac étonnant, une émotion qui n'ont pas dû déplaire tant le citoyen pactise avec les faiblesses qui unissent. Sur le fond, l'argumentation structurée, claire et sans concession pour l'adversaire, techniquement efficace, n'a sans doute pas déçu ceux qui attendaient du président de la République qu'il retrouvât les accents de 2007. Certes, à mon sens, avec moins de brio, moins de fraîcheur, avec une sorte de lassitude dont je n'ose croire qu'elle manifestait de sa part un ennui devant les redites que cette nouvelle joute allait lui imposer.
Le discours d'Annecy, le lendemain, rédigé paraît-il par Henri Guaino, a mis en lumière les "fondamentaux" du sarkozysme dont ont dû se régaler les partisans, les militants oublieux de 2007 et du quinquennat qui a suivi. Je continue à penser cependant que la lecture de son texte par le candidat, même s'il savait opportunément le quitter des yeux, enlevait à son propos ce qu'une totale spontanéité donne, ce qu'une improvisation sur des thèmes tellement intégrés aurait apporté. En tout cas, il était clair que le candidat Sarkozy était présent dans sa plénitude, avec sa dialectique sommaire, avec cette mauvaise foi consubstantielle au verbe politique conduisant à prétendre désirer ce que durant cinq ans on avait écarté, à affirmer aspirer à un rassemblement national, au-delà de la droite et de la gauche alors qu'on n'avait pas cessé de mener une politique fractionnelle et parcellaire. Non pas la France mais des France les unes contre les autres, au gré des humeurs et des tactiques.
Là n'était pas l'important pour Nicolas Sarkozy, mais de montrer que la bataille s'engageait, que le chef était d'attaque et en pleine forme et qu'il était prêt à affronter l'ennemi de gauche avec, dans la tête, un dessein et des orientations limpides. Parce que la campagne présidentielle n'est pas faite que de mots et d'allocutions mais plutôt de ce qui se déroule entre eux, de ces mille réactions qu'on attend d'un candidat, de cette détermination, de cette constance qui sont espérées de lui en dépit du fil des jours et de l'infinie inventivité de la réalité, avec toutes les embûches que la vie du pays et du monde ne cesse de faire survenir.
C'est sur ce plan, et dans ce domaine capital, que j'avoue une inquiétude au sujet du comportement de François Hollande. Ces sentiments peuvent exister sans qu'on soit nécessairement socialiste ou enthousiaste de la cause défendue avec talent par le candidat Hollande. On peut observer ces péripéties comme on le ferait devant la construction d'un édifice en se disant que la fiabilité du maître d'oeuvre, la qualité de l'équipe ne sont pas à la hauteur de l'entreprise ou parfois sont sujettes à des baisses, des défaillances, des insuffisances graves au regard du but souhaité.
Combien de remises en cause par François Hollande, du jour au lendemain, de certains de ses propos ! Combien de rectifications apportées le lundi à un propos mal exprimé, donc mal compris le dimanche ! On a l'impression qu'un perpétuel ajustement est inéluctable et qu'il n'est pas concevable que le candidat, au moins une fois, profère une pensée, une appréciation qui ne seront pas à corriger par la suite !
Pourtant, François Hollande est une personnalité plus qu'estimable, honnête, courageuse, cultivée, très intelligente mais cela n'empêche pas, bien au contraire, les flottements, les aléas, les incertitudes, pour ne pas évoquer, ici ou là, l'incurie de ses auxiliaires, par exemple Aurélie Filipetti dans le secteur qui lui avait été confié. Pour être un politique on n'est pas forcément un  professionnel dans une campagne présidentielle : attention, il y a d'incurables amateurs !
Cependant, ces dysfonctionnements qui se répètent trop souvent pour ne pas constituer une tendance lourde me semblent résulter pour l'essentiel de la nature profonde de cet être qui ne conçoit pas l'exercice de l'esprit comme un matraquage sur d'autres esprits mais plutôt pour l'exploration sensible, modeste et tolérante des mille possibilités offertes par le réel et des problématiques qu'il suscite à foison. La volonté, la rigueur, chez François Hollande, sont authentiques mais elles s'arrêtent aux portes de l'idée, elles ne corsètent pas l'intelligence, elles font de lui un être de dialogue, y compris avec lui-même. Il est évident qu'il n'a pu se déprendre de sa souplesse, de sa ductilité, de son inaptitude au sommaire et au péremptoire - et quand il le fait, c'est l'absurdité de l'attaque globale contre la finance ! - et sa campagne de tous les jours s'en ressent. Cette force intime est une faiblesse politique. Elle fait passer les hésitations légitimes de la pensée pour des atermoiements du caractère.

François Bayrou aurait pu succomber, comme Hollande, à ce même beau travers mais il y a échappé en introduisant la complexité de son esprit dans le projet qu'il propose. Pour prendre un autre exemple aux antipodes, je suis persuadé que Jean-Luc Mélenchon dans ses coulisses (si elles sont encore possibles avec les médias) est infiniment subtil et ouvert mais il a décidé, pour son parti et le succès de celui-ci, de gommer le complexe au profit du simple et de marteler des slogans contre ses murmures et sa finesse privés.

Hollande bouge dans son for intérieur parce qu'il épouse les nombreuses sinuosités de cette alliance si bienfaisante en elle-même du "penser contre soi" et du "penser sur soi". Il devra se guérir, toutefois, de cette vertu ou bien les témoins attentifs et même bienveillants de son combat pour la charge suprême seront condamnés à craindre chaque jour une proposition, une opinion, une mesure, une idée immédiatement révisables et révisées. Ce n'est pas l'inconsistance du projet qui mérite d'être blâmée mais le fait que le candidat s'abandonne trop souvent à la tentation de l'intelligence, donc au refus du sommaire. Du jour au lendemain, le complexe tente de s'habiller en péremptoire, en éclatant, en univoque quand l'équivoque, lumière trouble d'un esprit remarquable, se trouve au coeur de son rapport à la vie, aux autres, au pouvoir.
François Hollande n'est pas non plus au clair avec sa tactique. Ce n'est pas facile, il est vrai. Il a construit son implication présidentielle, sa participation à la primaire socialiste, son nouveau personnage vulgairement défini par les médias au regard de sa seule apparence sur l'émergence d'un homme, d'un responsable calme, serein, constant, ne bougeant pas d'un pouce de sa route, de son destin. Et il prétend s'y tenir dans cette lutte qui le place en tête pour l'instant, avec Nicolas Sarkozy pas encore sur ses talons. Mais François Hollande, depuis une ou deux semaines, est déstabilisé, il est de guingois, sa cohérence est mise à mal. Parce que son erreur a été de focaliser sur une image exclusive en s'entêtant à y correspondre sans cesse. Alors que le génie de Nicolas Sarkozy, sur le plan de la tactique, est précisément de s'adapter en permanence, chassant sans scrupule le personnage d'hier quand celui-ci ne lui est plus nécessaire pour son ambition d'aujourd'hui. L'aventurier a plombé le président mais sert formidablement l'outsider. Ce dernier sera amnésique autant qu'il le faudra et osera se présenter comme neuf au-delà de toute vraisemblance. Le président sortant sera comme cela, précisément pour ne pas sortir.

François Hollande ne sait plus aujourd'hui s'il doit demeurer le même ou devenir un autre. Il aspire à continuer, imperturbable, son chemin mais Nicolas Sarkozy le harcèle, le provoque, l'oblige à bouger, à répondre. Son intelligence le faisant évoluer sans cesse en dépit du carcan socialiste, il espérait au moins pouvoir demeurer fidèle à une identité stable et fixe qui ne lui avait pas mal réussi depuis une année. Suivre sa ligne dans une agitation et un environnement maîtrisables. Il est clair que son plan est affecté et qu'il va devoir adopter une conduite belliqueuse et active dans les répliques, les ripostes - les lieutenants, ce n'est pas lui ! -, s'engager dans la lutte quotidienne, personne contre personne, polémique contre polémique, programme contre programme, ou bien demeurer dans cet univers ouaté où il espérera qu'on lui fera crédit de son apparente indifférence au tumulte partisan autour de lui, contre lui. Il s'agira de privilégier une tactique où il est tout seul ou bien une autre où il est en relation.

Mais l'ambiguïté, en tout cas, est une catastrophe : il sort la tête puis il la rentre pour la ressortir à nouveau. François Mitterrand vantant l'ambiguïté ne songeait pas à celle-ci qui au contraire donne à la démarche de François Hollande un côté hésitant, peu sûr, guère fiable, une allure qui fait douter quand elle devrait rassurer et mobiliser. Faute de se résoudre à trancher dans le vif, le candidat risquera d'endurer, jusqu'au bout, un calvaire, coincé qu'il sera entre un socialisme sourcilleux et vigilant et le Front de gauche prêt à se déchaîner en amont pour se faire pardonner par avance l'inévitable compromis, la fatale union en aval.
Rien n'est perdu pour François Hollande mais Nicolas Sarkozy va se rapprocher, se rapproche déjà.

François Bayrou qui, lui, est cohérent dans sa stratégie et dans sa tactique est encore loin des deux premiers, plus très éloigné de Marine Le Pen. Ce héros d'un centrisme musclé ne commet pas d'erreur, ne profère aucune absurdité, est exemplaire dans sa rectitude et son combat mais je crains que la machine et le talent sarkozystes et le rêve manichéen d'un affrontement gauche/droite le laissent encore au bord de la victoire.
Mais que François Hollande ne s'imagine pas être forcément au second tour !


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