A votre santé, monsieur le président !
Justice au singulier - philippe.bilger, 7/12/2013
Monsieur le président, vous ne facilitez pas la tâche de ceux qui ont voté en votre faveur en s'imaginant que votre rondeur apparente ne dissimulerait pas des rigidités et des entêtements préoccupants.
Ils ont eu tort, j'ai eu tort. Vous êtes tout sauf un faible.
Je ne fais même pas allusion à votre incroyable détermination pour engager nos forces dans des interventions armées qui, visant à prévenir des massacres ou à contenir la progression du terrorisme, sont approuvées par l'ensemble de la classe politique, ce qui montre bien que vous êtes capable de rassembler quand vous le voulez et que la loi édictant le mariage pour tous a inutilement déchiré un pays dont vous aviez souhaité pourtant, lors de votre campagne, l'unité.
Comme sur le plan économique, financier et social vous êtes confronté à un réel qui bat en brèche ce qu'il y avait de vraiment socialiste en vous même si vous n'avez jamais fait partie des illuminés de la rue de Solférino, vous ne nous épargnez rien pour le reste qui ne vous coûte rien, et vous faites donner Taubira pour le laxisme, Filippetti pour la culture et tous contre le racisme, votre compagne comprise.
Ce qu'il y a de bien avec votre morale, c'est qu'elle est inépuisable, avec votre mansuétude, c'est qu'elle est illimitée, avec votre tolérance, c'est qu'elle est orientée. En dépit de la Corrèze, vous préférez - tous vos choix le démontrent - le parisianisme à la France qui pense, selon vous, de travers. Les citoyens qui, en attendant le retour d'une droite honorable, vous ont porté au pouvoir n'obtiendront rien de vous. Pas la moindre concession. On va racler les fonds de tiroir du socialisme plutôt que de donner quelques miettes aux alliés d'une élection absolument pas payés de retour.
Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de continuer à vous apprécier, à vous estimer, tant, paraît-il, cette tendance est perverse chez moi qui parvient à distinguer l'homme et son action, le caractère et la politique, ce que vous êtes et ce que vous accomplissez ou réalisez médiocrement. Il y a un capital qui probablement vous sauvera au moment du jugement dernier, donc au second tour de l'élection présidentielle de 2017 si vos calculs trop savants et votre stratégie trop mitterrandienne ne vous ont pas écarté de la compétition.
Je suis persuadé que votre personne ne sera jamais haïssable au point de coaliser une majorité contre elle mais que votre solitude dans l'inspiration et vos difficultés dans l'exécution, avec un gouvernement que vous devez supporter quoi que vous en ayez, ne vous assureront pas forcément une seconde victoire. La social-démocratie, pour beaucoup, est un mot magique mais qui ne permet pas de faire l'économie d'un contenu.
Vos adversaires naturels, toutefois, se donnent beaucoup de mal pour vous gêner le moins possible et force est d'admettre que cette droite est bien sage qui proteste sans pour autant susciter de désir d'elle : vous n'auriez jamais osé rêver d'une opposition pareille, incapable de se repentir pour hier et d'inventer demain.
Votre souci dominant - vous faites semblant de le prendre à la légère - concerne le Front de gauche et cet insupportable Mélenchon qui, même s'il n'engrange pas, fait mal avec ses ruades et son talent qui proposent une alternative, ces socialistes à la gauche du PS pour lesquels vous êtes un président à discuter, à contester et ces écologistes de gouvernement qui heureusement préfèrent les positions aux principes. Ils y sont, ils y restent !
Je déteste les polémiques absurdes qui visent encore davantage à vous déstabiliser. Vous n'êtes pas assez bas, il faut amplifier le rythme de votre descente. Je ne vous trouve pas ridicule quand à la suite d'une visite discrète dans une association, vous avez été photographié en train de pouponner. On sent que les bébés, les enfants ne sont pas étrangers à votre coeur. Vous ne vous forcez pas.
Sur votre santé, la manière dont le journalisme français, négligent souvent pour l'essentiel, cultive l'accessoire et l'inutile a atteint un paroxysme. Parce qu'au mois de février 2011 vous avez subi une opération bénigne sans d'ailleurs alors avoir cherché à la cacher, avant la primaire socialiste et alors qu'évidemment votre avenir politique demeurait incertain, vous auriez dû, toutes affaires cessantes, vous exposer et considérer que votre santé était de nature à inquiéter tous les Français (Le Monde, Le Figaro, Le Parisien).
Cette controverse est grotesque puisqu'elle oublie que la sphère de la vie privée doit absolument être respectée quand aucune incidence politique sur l'exercice du pouvoir n'est susceptible d'en résulter. On a même osé soutenir que vous auriez maigri à cause de cette malheureuse prostate comme si, par exemple, la ridicule et permanente écharpe rouge de Christophe Barbier était motivée par un autre dessein que celui de se singulariser à petit prix !
Qu'on vous laisse tranquille avec ces pitoyables morsures qui, j'en suis sûr, ne vous détournent pas une seconde de votre devoir. De vous colleter avec l'immensité de ce que la France a à affronter chaque jour, et je devine l'angoisse qui doit être la vôtre à l'idée que vous ne parvenez pas, ou trop lentement, trop faiblement, à alléger son fardeau, sa charge.
C'est un piètre compliment que je vais vous adresser mais en attendant 2017 - et en dépit de nos aspirations contrastées à l'égard de cet avenir -, puis-je vous dire que, pour moi, un Hollande qui déçoit est infiniment plus supportable qu'un Sarkozy qui irrite.
Que je peux vous regarder, vous entendre, sans éprouver la moindre nostalgie pour celui qui bout d'impatience et de ressentiment.
A votre santé, monsieur le président.