Ce que le numérique fait au livre (Interview)
:: S.I.Lex :: - calimaq, 18/05/2013
Il y a quelques semaines, Alexis Lhour, étudiant en double cursus ITESCIA / Paris 6, m’a posé une série de questions, en vue d’un mémoire qu’il prépare sur les aspects juridiques du livre numérique.
La discussion passe en revue des sujets comme la nature juridique du livre numérique, l’affaire ReLIRE, Google Books, le crowdfunding, le prix unique du livre numérique, la notion d’exception culturelle.
Avec son accord, je publie les réponses sur S.I.Lex sous la forme d’un billet.
Si on considère que le livre est un médium unique, et que ses versions papier ou numérique sont justes des supports différents, le lecteur ne devrait-il pas justement jouir des mêmes droits lorsqu’il achète un livre numérique sur une plateforme ou sa version papier en librairie – je pense notamment à la différence entre droit de propriété et droit d’usage ?
On pourrait raisonner ainsi, mais en réalité, juridiquement, le livre numérique et le livre papier sont considérés comme des modes d’exploitation différents d’une même œuvre. Il y a une séparation juridique très nette qui se manifeste notamment dans les contrats d’édition. Quand un auteur cède ses droits pour une exploitation papier, il n’est pas réputé les avoir cédés pour une exploitation numérique et les juges maintiennent une distinction très nette entre les modes d’exploitation. Donc même si c’est le même medium (ou plutôt la même oeuvre), comme vous le dites dans la question, le droit déjà à la base fait une distinction assez nette entre le livre papier et le livre numérique.
Le problème que vous soulignez, en termes de conséquences pour le lecteur, c’est que les usages des deux supports ne sont pas du tout régis de la même façon. Quand vous achetez un livre papier, vous avez la possession pleine et entière du support physique. Il y a un mécanisme qui joue, appelé l’épuisement du droit d’auteur, qui fait que certaines restrictions disparaissent après la première vente du support. Quand vous achetez un livre papier, vous avez le droit de le prêter, de le donner, de le revendre, de faire tout un tas d’actes qui sont complètement libres et vous bénéficiez de la propriété du support. Par contre, vous ne pouvez pas copier le texte lui-même et le rediffuser : le droit d’auteur reste applicable à ce niveau là, parce que ces actions touchent à l’oeuvre incorporelle que le support papier véhicule.
Ce qui se passe avec le numérique, c’est que, jusqu’à présent, le mécanisme d’épuisement des droits n’a pas été étendu à l’environnement digital, et c’est à ce niveau qu’un problème se pose pour l’utilisateur.. On vient d’ailleurs d’en avoir confirmation aux États-Unis avec un procès très important, impliquant la plateforme ReDigi. Ce site proposait d’organiser un système de vente d’occasion de fichiers MP3, et les juges ont considéré que l’équivalent de notre épuisement des droits aux États-Unis (la First Sale Doctrine) n’était pas applicable à ce type d’actes. Comme les droits du lecteur ne passent pas par la possession du fichier, ils sont liés à un contrat, une licence attachée à l’œuvre numérique et ce procédé fragilise énormément les droits de l’usager. Des actes comme le prêt, la revente, et la circulation de l’œuvre sont régis par cette licence. Et ça peut aller même assez loin, puisqu’on on a vu qu’Amazon s’était arrogé le droit de supprimer des livres numériques à distance à distance, alors qu’ils avaient été légitimement achetés par des utilisateurs de Kindle.
Alors du coup, pour revenir à votre question, je pense que les droits des lecteurs devraient être davantage garantis, mais ce n’est pas simple à mettre en place juridiquement. Parce que si l’on étend l’épuisement des droits à l’environnement numérique, la conséquence c’est que les utilisateurs vont pouvoir faire circuler les fichiers, au moins dans le cadre d’échanges non-marchands. Et ça, évidemment, les titulaires de droits ne le veulent pas, parce que cela revient à légaliser le partage et à bouleverser en profondeur la distribution du livre numérique.
Pour consacrer avec davantage de force les droits des lecteurs, je vois deux autres solutions :
On peut agir sur le plan du droit commercial. Certains fournisseurs de contenus ont déjà été accusés d’abuser de la distinction entre la vente et la location. Si les plateformes indiquent aux consommateurs qu’il y a bien une vente, cela implique la reconnaissance de certains droits sur les contenus et notamment une véritable forme de propriété. L’exemple que l’on peut citer, c’est celui de Steam, une plateforme de vente de jeux vidéo, qui a subitement changé ses conditions d’utilisation en exigeant que les consommateurs approuvent les nouvelles conditions d’utilisation, sous peine de perdre tous les jeux qu’ils avaient achetés. Ce genre de pratiques pourrait être attaqué en justice, en faisant valoir que s’il y a bien eu vente des fichiers et pas simplement location, on ne peut pas en priver les consommateurs, sur la base de simples CGU à valeur contractuelle.
L’autre solution, c’est celle que préconise La Quadrature du Net concernant la légalisation du partage. Leur programme de réforme positive du droit d’auteur préconise de transposer l’épuisement des droits à l’environnement numérique, mais uniquement limitée aux échanges non-marchands. Du point de vue des droits des lecteurs, une telle réforme aurait pour avantage de leur garantir une propriété sur les fichiers, avec la possibilité de les partager, ce qui est infiniment préférable du point de vue de l’usager que les oeuvres protégées par des verrous numériques (DRM) ou des modes de consultation comme le streaming.
Le projet ReLIRE de numérisation des livres indisponibles est souvent comparé à Google Books. En quoi peut-on rapprocher ou différencier les deux projets ? Et, finalement, est-ce que ReLIRE n’est pas plus désavantageux pour les auteurs puisqu’aucun accord n’est conclu avec eux ?
Ce n’est pas une question facile, parce qu’il y a beaucoup de points de ressemblance et de divergence entre les deux projets. La différence majeure, c’est que le règlement Google Books était un accord privé qui avait été conclu entre Google et les représentants des éditeurs et des auteurs américains. C’était un arrangement entre parties privées, qui avaient cherché une validation par la justice américaine. Ce n’est pas la même chose pour ReLIRE, parce qu’une loi a été votée à propos de la numérisation des livres indisponibles en mars 2012. Il y a donc une différence fondamentale de fondement juridique.
Ensuite, au niveau des ressemblances, la plus flagrante, c’est l’opt-out (procédé par lequel l’auteur d’une œuvre intégrée d’office à un système, signifie formellement sa volonté d’en être retiré, ndlr). Les instigateurs de ce projet ont mis en place un opt-out pour ReLIRE comme l’avait fait Google. Il y a ue différence, dans la mesure où Google numérisait d’abord les livres et ne permettait qu’ensuite aux titulaires de droits de se retirer. Avec ReLIRE, les auteurs et les éditeurs sont invités invitent à se manifester pendant six mois et les ouvrages ne numériseront qu’après, s’ils n’ont pas été retirés de la base.
Mais d’autres similarités importantes sont repérables entre Google Books et le projet français. ReLIRE par exemple englobe les œuvres orphelines, c’est-à-dire les « [...] œuvres dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses ». (Art. L. 113-10 du code de la propriété intellectuelle, ndlr). On a beaucoup critiqué le fait que les oeuvres orphelines avaient été laissées dans Google Books. Or, par définition, quand une œuvre est orpheline, personne ne peut venir effectuer l’opt-out. Le système permettait à Google d’empocher les droits sur les orphelines automatiquement et c’est une des raisons qui a fait que la justice américaine a rejeté le Règlement. L’autre critique adressée à Google, c’est qu’on a reproché à un acteur privé, par un simple contrat, de régler une question aussi importante, alors que le sort des oeuvres orphelines auraient dû être réglé par la loi. Or en France, c’est bien la loi qui est intervenue, mais on n’a pas fait autrement que l’avait fait Google : la loi n’a pas vraiment distingué le problème des oeuvres orphelines qui étaient contenus au sein du corpus des indisponibles. Les droits afférents vont donc passer automatiquement à la société de gestion collective.
Au niveau des différences majeures que l’on peut relever, il n’y avait pas dans Google Books ce déséquilibre entre les auteurs et les éditeurs que l’on retrouve dans ReLIRE et qui a provoqué la réaction de certains groupes d’autreurs comme le Droit du Serf. Durant les six premiers mois, si l’auteur réagit, il peut sortir assez facilement du système. Mais s’il laisse passer ce délai, cela devient vraiment compliqué pour l’auteur, parce qu’il faut qu’il amène la preuve détient bien les droits numériques sur son oeuvre. Or une telle preuve est difficile à établir, notamment lorsque les clauses des contrats d’édition sont floues. Dans le projet Google Books, malgré les critiques qu’on a pu lui adresser, il n’y avait pas ce déséquilibre patent qu’on retrouve dans la loi sur les indisponibles à plusieurs endroits en faveur des éditeurs
Toujours concernant ReLIRE, j’ai été interpelé par un commentaire de votre article dans lequel un écrivain trouvait le projet intéressant, mais qu’un de ses ouvrages, qui figure dans la liste, lui posait question. Il s’agit d’un ouvrage en science humaines pour lequel il se demande l’intérêt qu’il y a à le republier sans effectuer un travail de remise en contexte, de réactualisation, d’expliquer au moins dans une préface ce qui a pu être apporté depuis par lui ou par d’autres sur le sujet abordé.
C’est une des grosses difficultés. D’ailleurs, les réactions de plusieurs auteurs qui figuraient dans le registre ont été intéressantes, parce qu’on a pu se rendre que pour toute une frange d’auteurs, cela pose vraiment un problème que des ouvrages anciens, qui ne correspondent plus à ce qu’ils veulent, soit republiés en l’état. Cela touche à ce que l’on appelle le droit moral. Normalement, l’auteur bénéficie à ce titre du droit de divulgation : il est le seul qui peut décider si son œuvre doit être publiée ou non. Il a en outre le droit de choisir la forme de la publication, et notamment si son œuvre doit être sous forme numérique ou non.
Et là, on constate qu’un certain nombre d’auteurs avaient le projet de rééditer leurs œuvres par eux-mêmes ou avec un éditeur et ils sont furieux de voir que les ouvrages vont pouvoir être réédités en dehors de leur volontés. Ceux qui le souhaitent peuvent se retirer du système ReLIRE: ils ont six mois pour se retirer et, même après au-delà de ces premiers six mois, s’ils estiment que l’ouvrage porte atteinte à leur honneur ou à leur considération, ils pourront aussi se retirer en faisant valoir leur droit moral, même si les termes de la loi sont assez flous à ce sujet.
Oui c’est intéressant je n’avais pas forcément pensé à ça. On pense bien sûr au contenu quand on pense publication, mais là il y a le droit moral sur la forme que veux privilégier l’auteur qui est aussi important.
Oui, en droit français, le droit moral est une notion très forte. L’éditeur, après avoir signé un contrat d’édition, travaille avec l’auteur et avant la publication, il est tenu d’envoyer à l’auteur ce qu’on appelle un bon à tirer, par lequel il lui demande de faire un dernier examen et de lui certifier qu’il est d’accord avec la forme donnée l’ouvrage. L’auteur doit donner explicitement son accord et c’est à ce moment là seulement que l’éditeur peut publier le livre. Cet acte là est très important, parce que c’est le moment ou l’auteur arrête la forme de l’ouvrage en exerçant son droit moral. Après ça, l’éditeur n’a plus le droit de toucher à la forme du livre. Avec ReLIRE, on ne sait même pas quelle forme exactement va la numérisation et la publication des ouvrages et c’est ce qui inquiète bon nombre d’auteurs.
L’hypothèse la plus probable, c’est qu’ils scannent les ouvrages et qu’ils n’en fassent pas grand-chose de plus que ce qu’on appelle des livres homothétiques, c’est-à-dire des reproductions à l’identique. Mais le numérique permet quand même parfois de faire des choses plus en profondeur.
Il y a d’autres paramètres à propos desquels on sait peu de choses. Par exemple, est-ce que le livre va être vendu seul ou est-ce qu’il va être vendu dans un bouquet ? Normalement, l’auteur a un son mot à dire là-dessus. Ces incertitudes peuvent donc expliquer ces réactions d’auteurs qui sont en désaccord avec ReLIRE.
Mais donc pour les auteurs étrangers qui ont publié en France, ça va être d’autant plus compliqué, non ?
Alors ça, je pense que ça va être le gros sujet des semaines à venir. C’était aussi une chose qu’on avait beaucoup reproché à Google. Il y a eu plusieurs versions de son Règlement et dans la première version, bien que l’accord ait été passé entre Google et les titulaires de droits américains, il prévoyait également de s’appliquer au reste du monde. Tous les livres étaient concernés par l’accord Google et un grand nombre d’Etats avaient protesté en disant qu’ils ne voyaient pas comment un simple contrat américain allait pouvoir régler le sort de tous les livres de la planète. Google avait été obligé là aussi de revenir en arrière en limitant la portée internationale du Règlement.
Or dans la Loi (du 1er mars 2012, ndlr), j’avais été vraiment surpris de voir que cette question des ouvrages étrangers n’avait pas été vraiment évacuée. La loi précise seulement qu’elle s’applique aux seuls livres publiés en France. C’est vrai que c’est déjà une garantie, mais ça laisse dans le dispositif les livres en langue étrangère publiés en France (peu nombreux) mais surtout, le problème des traductions d’auteurs étrangers. Des articles paraissent qui montrent que des auteurs étrangers importants figurent dans ReLIRE et commencent à réagir, notamment des auteurs de science-fiction, Neil Gaiman, Ursula Le Guin – qui était une farouche opposante au projet Google –, Philip K. Dick. On verra ce qu’en pense la société américaine des auteurs de science-fiction qui est un gros syndicat d’auteurs américains. Et je ne serai pas étonné qu’il y ait une intervention assez rapide des auteurs américains, qui pourraient tout à fait engager une action en justice. Alors là, ce serait énorme… [update : depuis que nous avons eu cet entretien, la Science Fiction Writers Association a réagi pour mettre en garde ses membres contre ReLIRE, avec des mots très durs].
Ça médiatiserait largement l’affaire en tout cas.
L’état français se retrouverait attaqué aux États-Unis comme Google s’était fait attaqué en France.
Ça ferait un effet miroir.
Ce serait assez dantesque.
Car j’ai oublié de vous dire une chose importante à propos du règlement Google Books. Aux États-Unis le juge a indiqué à Google que son Règlement pourrait recevoir un accueil favorable, mais à condition seulement de repasser à l’opt-in – l’auteur et l’éditeur doivent accepter formellement d’entrer dans le système – et, quand Google a signé des accords avec des éditeurs français (Hachette, La Martinière), les éditeurs français n’ont accepté qu’à la condition de s’en tenir à l’opt-in. C’est donc très paradoxal de voir que Google va devoir respecter l’opt-in, alors que la loi française, réputée protectrice des auteurs, a introduit un système d’opt-out. C’est très bizarre.
On voit dans les commentaires que c’est un point clé.
Oui c’est un point clé. Si jamais les pouvoirs publics voulaient désamorcer la crise qui se dessine, ils mettraient en place un opt-in et je pense que cela règlerait une grande partie du problème.
Oui donc, il y a une possible attaque en justice des auteurs américains, il y a aussi la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui est envisagée, je crois, en France. Enfin, d’un point de vue médiatique, ils n’y auraient pas intérêt.
Non, ils n’y ont pas intérêt, mais cette QPC qui pourrait être déposée par des auteurs est loin d’être gagnée d’avance, parce que le recours s’annonce compliqué. Il va falloir réussir à saisir le Conseil constitutionnel en passant par le Conseil d’État pour invoquer la Convention de Berne. En terme de procédure, c’est très complexe et surtout, sur le fond, il n’est pas certain que le Conseil constitutionnel annule la loi, même si on peut penser que des principes importants n’ont pas été respectés [Update : depuis, le Droit du Serf a effectivement intenté un recours contre le dispositif ReLIRE devant le Conseil d'Etat, sur la base d'arguments solides].
Pourtant il y aurait un vrai intérêt à ce que cette loi soit modifiée, sans pour autant que tout le projet s’effondre. Parce qu’une des différences majeures avec Google Books, c’est qu’il y a de l’argent public en jeu, via les Investissements d’Avenir, dans le projet français, alors que la numérisation était financée uniquement avec les fonds de Google aux Etats-Unis. Si tout s’effondre, cet argent public sera perdu pour tout le monde. Et je ne sais pas s’il y aura beaucoup d’autres occasions de mobiliser de l’argent public sur ce genre de corpus. Mais ce n’est pas une raison pour procéder en bafouant les droit des auteurs et des lecteurs.
Sur les modèles alternatifs aux droits d’auteurs (licence libre, crowdfunding) j’avais trouvé très intéressant ce que vous disiez pendant l’entretien réalisé pour Le Vinvinteur3 où vous releviez qu’un nouveau métier pourrait apparaître ou que le métier d’éditeur pourrait évoluer sous l’ère du numérique dans le sens d’un intermédiaire capable de faire, pour l’auteur, tout le travail de recherche de fonds, d’aide à l’utilisation de ces modèles alternatifs.
Je pense en effet qu’il y a plusieurs créneaux qui s’ouvrent pour de nouveaux types d’intermédiaires dans le paysage numérique. Le crowdfunding représente vraiment une occasion à saisir pour les auteurs. Il y a quelques exemples qui existent, comme Unglue it aux États-Unis. Ce n’est pas un projet éditorial au sens propre du terme, parce qu’ils proposent de numériser des livres qui existent déjà en papier, en demandant aux auteurs et aux éditeurs de faire passer l’oeuvre sous licence libre en contrepartie du versement d’un somme d’argent versée par le public. C’est donc une sorte de projet ReLIRE, mais qui utilise une combinaison de crowdfunding et de licence Creative Commons. Le modèle est intéressant, même si ses progrès sont assez lents.
Un des points sur lequel les éditeurs peuvent se positionner, c’est celui de l’ animation de communautés. Une partie des auteurs n’a ni le temps, ni les capacités d’avoir une présence en ligne, de développer une identité numérique, d’entretenir une relation avec le public. L’éditeur peut prendre en chargeb
Pour l’instant on a peu d’exemples. On a des exemples d’auteurs qui vont, seuls, faire du crowdfunding, et parfois ça marche très bien. Je regarde Kickstarter et on y trouve de beaux projets en matière de publication, avec ou sans licence libre. Mais il n’y a pas encore ce rôle de l’intermédiaire qui aide l’auteur. Or les plateformes de crowdfunding sont passives, elles n’ont pas vraiment un rôle actif, il s’agit juste une infrastructure.
Par contre, je pense que ces intermédiaires là ne pourront pas avoir le statut d’éditeur à 100% parce que, normalement, l’éditeur est celui qui prend le risque financier pour créer une œuvre. Si c’est le public qui finance en amont, le risque financier n’est plus pris par "l’éditeur" et l’intermédiaire ne pourra plus revendiquer ce titre, ni les cessions de droits très larges qui l’accompagne traditionnellement.
Oui donc il y a un titre à trouver, mais il y a quelques précurseurs qui jouent ce rôle, et il y a une place à prendre.
Oui et c’est important de prendre cette place parce qu’on se rend compte que les Amazon, Apple, et Cie peuvent très bien la prendre. Ils fournissent les outils d’édition, iAuthor ou les outils d’Amazon ; ils fournissent aussi la plateforme pour faire de l’auto-publication et cela peut conduire à déséquilibrer l’écosystème. Il vaudrait mieux qu’il y ait des alternatives sous forme d’intermédiaires plus petits, mais peut-être plus proches des auteurs et moins à même de développer des stratégies d’intégration verticale.
Pour finir, j’ai une question d’ordre plus général sur l’exception culturelle française. Si on considère que la Loi Lang, sur le prix unique du livre, a constitué un succès parce qu’elle a permis que soit conservé, en France, un maillage de librairies, quel pourrait être le levier, si ce n’est le prix, sur lequel pourrait s’appuyer un futur dispositif législatif sur le livre numérique d’un impact comparable ?
Il y aurait bien des choses à dire sur la loi sur le prix unique du livre numérique… parce que la manière dont ça a été mis en place a été assez spéciale. Évidemment à première vue, elle joue un rôle protecteur, en évitant que des acteurs comme Amazon, Apple ou Google puissent d’un seul coup prendre une trop forte importance. Mais cela a aussi permis aux éditeurs français de maintenir des prix très élevés sur les livres numériques qui maintiennent un état de pénurie organisée, tout en pénalisant fortement les éditeurs "équitables" plus modestes.
Mais si le véritable objectif était de réguler les gros acteurs du web, comme Amazon, Google ou Apple, l’approche en terme "d’exception culturelle" n’est pas du tout suffisante, ni même adpatée.
Il faudrait être en mesure d’avoir une approche beaucoup plus globale, qui engloberait par exemple la réforme de la fiscalité du numérique. Le fait est qu’Amazon, Apple et Google sont en mesure de faire de l’évasion fiscale à très haut niveau, en s’implantant dans les pays européens où les seuils d’imposition sont les moins élevées, le Luxembourg ou l’Irlande, et ça, c’est un énorme problème. Pour réguler ce type d’acteurs là, il serait bien plus efficace d’agir pour empêcher l’optimisation fiscale que de s’en tenir à l’exception culturelle.
Il y aussi la question des données personnelles qui ouvre une piste vraiment intéressante.
Le récent rapport Colin et Collin sur la fiscalité du numérique envisage que l’on pourrait taxer plus fortement les gros acteurs qui exploitent les données personnelles des internautes. La proposition est intéressante, car tout en dégageant de nouvelles sources de revenus, elle pourrait avoir un effet régulateur global sur l’écosystème numérique. L’exception culturelle, finalement, n’est plus qu’un point mineur dans le débat, parce que c’est pas du tout la même chose de vouloir réguler les supermarchés ou la Fnac (ce qu’avait permis, en grossissant le trait, la Loi Lang sur le prix unique du livre, ndlr) par rapport à un Google, un Apple ou un Amazon, beaucoup plus difficiles à atteindre.
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