Zyed et Bouna : le jugement qui relaxe les deux policiers
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/05/2015
Le tribunal correctionnel de Rennes a prononcé, lundi 18 mai, la relaxe des deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne à danger après la mort par électrocution, le 27 octobre 2005, des deux adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré, dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois. La relaxe est définitive. Les familles ont en outre été jugées irrecevables à se constituer partie civile.
Le tribunal a considéré que ni Stéphanie Klein, la policière stagiaire qui assurait ce soir-là la permanence téléphonique du central, ni Sébastien Gaillemin qui a participé à la course-poursuite, n'avaient eu "une conscience claire d'un péril grave et imminent". Il a estimé que la phrase prononcée par ce dernier sur les ondes de la police – "S'ils entrent ici, je ne donne pas cher de leur peau" – ne suffisait à établir avec certitude que le policier avait conscience du danger mortel couru par les adolescents. Au contraire, indique le jugement, "si Sébastien Gaillemin avait eu conscience d’un péril grave et imminent, il n’aurait pas manqué de réagir".
Ces arguments avaient été développés à l'audience par la procureure Delphine Dewailly en soutien de la relaxe des deux prévenus. "Dire que les policiers auraient acculé ces jeunes ne correspond pas à la réalité, avait-elle souligné en rappelant que pour condamner, le droit exige une certitude. Or, cette certitude que les trois adolescents sont entrés dans la centrale et qu’ils courent un péril imminent, ni Sébastien Gaillemin ni Stéphanie Klein ne l’ont. Quelle raison auraient-ils eu de laisser deux jeunes courir un danger mortel ?" A l'adresse du tribunal, la procureure avait ajouté : « Oui, votre décision est attendue, mais elle ne doit être dictée ni par le désir de plaire, ni par la crainte, ni par le retentissement médiatique de ce dossier. »
Tout au long du procès, le président Nicolas Léger et ses deux assesseurs avaient marqué un certain agacement à l'égard de tous ceux, avocats des familles ou témoins cités par eux, qui insistaient sur le "contexte" de cette tragédie – la mort des deux adolescents avait déclenché des semaines d'émeute dans les banlieues et conduit le gouvernement de l'époque à décréter l'état d'urgence, pour la première fois depuis la guerre d'Algérie. A l'ouverture du procès, le président Nicolas Léger avait lui-même pris soin de lancer une sorte d'avertissement en soulignant que ce procès ne saurait être "le procès de la police dans son ensemble, ni celui des émeutes de 2005, ni celui des interventions politiques des uns et des autres sur ces événements."
Le tribunal s'en est tenu à la stricte application du droit alors que les avocats des familles, Mes Emmanuel Tordjman et Jean-Pierre Mignard l'avaient appelé, dans leurs plaidoiries d'une exceptionnelle qualité, à aller au-delà et à donner à leur décision une portée symbolique. "Vous devez à la fois condamner et réconcilier. Les Français doivent savoir que, d’où que l’on vienne, on a droit à la loi", leur avait lancé Me Mignard. Considérant que ce soir-là, les policiers n'avaient agi "qu’avec une partie de leur intelligence, qu’une partie de leur cerveau, leur cerveau interpellateur", il avait demandé un tribunal de prononcer une décision susceptible de rappeler aux yeux de l'opinion publique que la police a aussi pour mission de "porter secours".
A cet égard, l'attention mise par le tribunal à dédouaner les policiers en assurant que s'ils avaient eu conscience du danger, ils auraient agi pour alerter les adolescents, tranche avec la sécheresse des propos visant les familles et leurs défenseurs. Affirmer, comme le font les juges que "le traitement politique et médiatique des événements qui ont suivi la survenance de ce drame, ainsi que les nombreuses procédures initiées devant divers organismes à son propos, ont considérablement alourdi la souffrance des familles" ne peut que renforcer le sentiment de "deux poids, deux mesures" de la justice. Rappeler le droit, rien que le droit est une chose. Mais pour se faire comprendre et si possible accepter, un jugement doit être exempt de toute autre considération.
La motivation du jugement rendu lundi 18 mai par le tribunal correctionnel de Rennes :