Au revoir les Soeurs du Dépôt du palais de justice de Paris!
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 13/05/2013
Fin avril, les religieuses qui, depuis près de cent cinquante ans, assuraient une présence au Dépôt du palais de justice de Paris, ont cessé leur mission. Le magistrat et historien du Palais, Etienne Madranges, leur rend hommage.
«Au Palais de Justice de Paris, on les appelait les Sœurs du Dépôt. J’allais parfois leur rendre visite. On discutait dans leur petit jardin, seul espace vert du Palais, qui conservera sans doute longtemps la trace de celles qui, dans un désintéressement total et avec un engagement constant, guidées par leur foi, ont œuvré avec tant d’humanité au service des êtres et de leur âme et au service de la justice. En ce début de printemps, elles quittent le Palais. Pas tout à fait définitivement, car elles reviendront ponctuellement en journée. Mais elles n’y habiteront plus et n’assureront plus ce service exceptionnel qu’elles nous offraient. En cause, la moyenne d’âge, élevée, et surtout l’absence de « recrues » depuis onze ans au sein de la Congrégation de Marie Joseph et de la Miséricorde, qui a toujours eu pour objectif principal, depuis sa fondation au 19e siècle, l’accompagnement des prisonniers, et qui était présente au Dépôt de Paris depuis cent quarante huit ans.
Dès 1865, les religieuses se trouvaient à la prison de Saint-Paul à Lyon, mais aussi auprès des prostituées de Bordeaux, puis à Rennes, en centrale, auprès de femmes condamnées à de lourdes peines, et à Paris (Saint Lazare, à La Roquette…). Elles ont toujours eu un rôle essentiel auprès des femmes déférées à la justice et transférées au dépôt. Elles ont longtemps été seules à encadrer, jour et nuit, les détenues, les policières n’arrivant en renfort qu’en 1999 ! Il y a quinze ans, au palais de justice, elles étaient une douzaine. Aujourd’hui, elles ne sont plus que cinq, vivant toujours dans les locaux du dépôt, dormant dans des cellules identiques à celles occupées par les détenues, cellules ayant d’ailleurs dans le passé accueilli des prisonnières. Des chambres au confort rudimentaire : un lit, une table, une chaise, une armoire…et des sanitaires communs dans le couloir. Leur statut de contractuelles du service public, rémunérées sous forme de subvention par la préfecture de police, avait été contesté devant le juge administratif par certains fonctionnaires soucieux de laïcité, qui demandaient leur expulsion au motif que le service public d’une République laïque ne saurait s’associer des religieuses. Le Conseil d’Etat, en 2001, avait rejeté leurs arguments en observant que, dès lors que l'intervention des soeurs était exclusive de tout prosélytisme, le principe de laïcité ou celui de neutralité du service public n’était pas remis en cause.
L’administration appréciait la sérénité incontestable apportée par ces religieuses qui veillaient à susciter un dialogue apaisant et à apporter des petits éléments de confort à des femmes déférées souvent dans l’angoisse à l’issue de leur garde à vue avant de rencontrer un magistrat susceptible de les envoyer en prison.
Pour toutes ces heures de présence, merci, mes sœurs, vraiment merci !»
Etienne Madranges
Magistrat, avocat général à Paris, historien du Palais de la Cité