Médecins et mission de service public (473)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 30/05/2012
Le conseil national de l’Ordre des médecins vient donc de jeter un pavé dans la mare en recommandant de remettre en cause la liberté d’installation des futurs médecins. Ainsi il préconise que dans l’avenir les médecins s’installent en première intention dans la région de leur formation et y demeurent en fonction au moins 5 ans.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle mesure est envisagée. L’originalité tient aujourd’hui dans l’institution qui l’avance. Il faut bien qu’il y ait le feu au lac pour le très « révolutionnaire » Conseil de l’Ordre légitime de l’intérieur un tel accroc au saint des saints de la médecine libérale.
La désertification médicale d’un côté, la concentration médicale de l’autre sont des réalités qu’on ne peut pas plus longtemps ignorer. Dans de très nombreuses régions on ne trouve plus de généralistes, et encore moins les généralistes de jadis qui, jusqu’à des heures avancées de la soirée, venaient à domicile, jours fériés ou pas, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Ne parlons pas des spécialistes, quand ils existent, avec des listes d’attente dignes de pays les plus reculés. Ajoutons l’état des urgences médicales dans la plupart des hôpitaux et les dépassements d’honoraires auxquels là encore l’Ordre des médecins affirme qu’il convient s’attaquer. Il ne faut pas être grand sorcier pour pronostiquer que sous peu les français risquent de se retourner vent debout contre le corps médical dans son entier qui en prend bien à son aide avec les exigences de la mission de service public.
Sans doute les sages de la médecine ont-ils voulu anticiper en faisant la part du feu des mesures autoritaires et draconiennes inéluctables désormais si l’on observe la démographie du corps médical. Beaucoup de médecins ruraux ou de quartiers, frappés par la limite d’âge qu’ils ont souvent reculé, sont appelés à quitter leur cabinet. L’os est atteint dans de nombreuses régions.
Force est d’observer que les stratégies incitatives, avec des aides financières non négligeables à la clé, développées notamment par des conseils généraux lucides sur les besoins de leur population, ont globalement échoué.
Il est donc grand temps de rappeler quelques idées simples à beaucoup de médecins.
Ils exercent tous une mission de service public. Certains dans des structures publiques ; d’autres sont salariés d’établissements privés ; d’autres enfin en libéral. Déjà, tous, ou quasiment tous, abondent directement ou indirectement à des financements publics pour la grande partie du coût des soins prodigués. L’assurance-maladie couvre une grande partie des frais et permet ainsi aux patients de consulter et de se faire soigner. En tous cas cette mission de prodiguer des soins, autant que d’autres, sinon plus que d’autres est cruciale pour nos concitoyens et pour le pays. En contre-partie du fait de les assurer d’une grande partie de leurs revenus, généralement confortables, si l’on excepte la paupérisation de nombre de généralistes, la Nation est en droit d’exiger de la profession qu’elle respecte un cahier des charges, spécialement qu’elle couvre le territoire national et qu’elle fonctionne 24 h sur 24, 365 jours par an comme les missions de service public fondamentale (police, justice, défense, etc…).
D’autant, faut-il le rappeler, que les études médicales sont largement financées sur fonds publics ? Ce sont les impôts du contribuable, y compris ceux de habitants des déserts médicaux, qui ont permis à ces jeunes têtes blondes ou frisées de se former. Elles l’oublient un peu allègrement quand elles revendiquent leur liberté d’installation. A terme, généralement ces jeunes médecins gagneront bien leur vie et ils le méritent. Les études sont longues – une dizaine d’années pour accéder à la spécialité - et dures ; le métier lui-même est éprouvant, c’est le moins qu’on puisse dire, pour beaucoup confrontés aux drames les plus affreux. Non seulement ils soulagent physiquement de mille bobos, mais leur présence est précieuse sur le plan psychologique dans ces moments délicats pour le patient et ses proches. Cela ne doit pas faire oublier que les professionnels de la santé ont été formés par la société pour être à son service et pas à leur service.
Faut-il rappeler à ces étudiants que j’entendais ce soir sur France 2 s’indigner qu’ils allaient être contraints de retarder leur vraie installation que les fonctionnaires de la haute fonction publique doivent à l’Etat un temps obligatoire de service – 10 ans pour les magistrats – sauf à rembourser le coût intégral de leurs études ?
Si j’insiste sur la justice, il n’est pas indifférent d’observer que le tiers des sortants de l’Ecole nationale de la Magistrature est originaire de la région parisienne. S’ils ne tenaient qu’à eux ces jeunes magistrats rejoindraient dès la fin de leurs études la région parisienne pour y retrouver leurs parents, leurs amours et leurs amis. Or toutes les régions de France, y compris ceux qui ont la réputation d’être les moins folichonnes, ont droit d’avoir des magistrats du siège et du parquet en nombre et de qualité. Des postes seront proposés aux sortants de l’ENM et, tous comptes faits, ils seront généralement pourvus. La Chancellerie a bien sûr le souci de permettre à ceux qui voudraient retrouver ensuite leur terre d’origine d’y revenir au fur et à mesure que des postes se libéreront. Généralement chacun obtient satisfaction dans un délai raisonnable sachant que les territoires vécus comme peu agréables recèlent bien des surprises et qu’ainsi nombre de jeunes magistrats reviendront de leurs préventions.
En d’autres termes, il faut saluer comme il se doit la préconisation de l’Ordre national des médecins. Il est temps de rappeler tous, fonctionnaires comme professions libérales, les missions de service public dans ce pays et les servitudes de ceux qui en ont la charge et y trouvent leurs comptes dans tous les sens du terme. On ne peut pas avoir le beurre; l’argent de beurre et en plus le sourire de la crémière. Citoyenneté ou reconnaissance du ventre ? Peu importe.
La société est en droit d’avoir un réel retour sur investissement sur une question aussi essentielle que la santé.