En attendant Emmanuel Macron...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/12/2018
On nous annonce que le président de la République s'exprimera lundi 10 à 20h.
Après un samedi dont on ne peut se satisfaire qu'en le comparant avec le précédent (même s'il y a eu plus de dégâts matériels) j'espère que son intervention saura mêler l'autorité d'un chef d'Etat proposant des avancées sur le plans politique et social à la compréhension et à la solidité de l'homme. Il faut que les Français retrouvent confiance dans l'incarnation du pouvoir.
Il dénoncera, pour rassembler, la tentation du coup de force anti-républicain faisant fi et tenant pour rien son élection en 2017.
En attendant Emmanuel Macron...
Quand on est perdu face à une immense confusion, il est assez classique de déplacer le procès vers les moyens de communication. Comme s'ils étaient porteurs en eux-mêmes d'un message de fond alors qu'ils répercutent, diffusent, multiplient le bruit sourd ou éclatant d'un pays.
J'avais gardé sous l'esprit depuis plusieurs jours un entretien où la romancière Karine Tuil déclarait notamment que "les réseaux sociaux révèlent le pire de nous-mêmes". Elle rapportait ce triste constat à l'écrivain qu'elle est et aux nombreuses dérives qu'elle avait constatées ou subies. Son compte Twitter est désormais inactif (JDD).
Le pire de nous-mêmes ? Sans doute si on se laisse faire ou si on laisse faire les malfaisants qui ne se servent de ce superbe outil que pour insulter, mentir et s'abandonner à une vulgarité des mots qui ne laisse pas d'inquiéter sur leur qualité humaine.
Mais, dès lors qu'on n'use pas de Twitter pour s'informer - ce qui serait s'attacher à la source la moins fiable -, quel extraordinaire réseau de socialisation, de résistance, de sincérité et de maîtrise de soi ! Quelle ascèse bienfaisante vous est imposée quand, refusant de fuir ou de déserter, vous tentez de répliquer à toutes les horreurs, aigreurs et méchancetés avec la volonté d'abord de ne rien laisser passer puis avec le souci d'une correction dont vous espérez naïvement qu'elle pourrait servir de leçon.
Car Twitter est un implacable révélateur de la bassesse de certains, qu'ils viennent des médias ou d'ailleurs. Il n'est pas facile, parce qu'on dispose de peu de signes, de résister à la tentation de les mettre au service du pire, alors qu'ils devraient inciter à une densité pour le meilleur. Avec la passion de la contradiction honorable qui assez souvent vient enrichir votre point de vue ou votre trait.
Pour aller plus loin, Elisabeth Badinter, à l'occasion de la publication de "Les passions intellectuelles", avec sa très vive et profonde intelligence a développé une argumentation grâce à laquelle elle opposait les richesses de la correspondance aux limites d'Internet. Au sujet notamment des correspondances du XVIIIe siècle, elle relevait une liberté, une sincérité qui éclairaient "quelque chose de la personnalité des scripteurs... même les gens très collet monté par ailleurs..." et permettaient "une connaissance approfondie des destinataires... et des controverses fécondes". En revanche elle déclare "je ne pense pas qu'on puisse parler librement sur Internet".
Il me semble que cette analyse n'est pertinente - et évidemment - que si on prétend comparer les ressources d'Internet avec celles d'un livre, d'un essai, de très longs courriers ou même d'un blog. Mais si on veut bien n'exiger des réseaux sociaux que ce que leur nature autorise - en refusant de participer à leur chienlit ou en lui résistant -, j'estime qu'Elisabeth Badinter est trop pessimiste à leur égard, en particulier pour Twitter.
On peut, on doit parler "librement sur Internet" mais en étant conscient de la bêtise et de la haine qui surviendront de la part de certains presqu'inéluctablement et en se sentant capable de justifier en aval n'importe quel tweet. Rien ne me semble plus irresponsable que d'intégrer par avance la contrition et la repentance de demain à la provocation ou au paradoxe d'aujourd'hui. On se tient, on tient.
Moi qui place au plus haut la vigueur du débat et l'apport irremplaçable d'autrui, avec un fond magnifié par la courtoisie de la forme - je ne vois pas pourquoi la brièveté contraindrait à l'ordure du langage -, je ne me résoudrai jamais à jeter aux chiens tout ce que la modernité nous offre comme opportunités et avantages pour une communication plus intense et pluraliste.
Le président de la République a tweeté pour justement rendre hommage aux forces de l'ordre à la suite du 8 décembre. Il a bien fait parce que sa pensée était adaptée à cette technique.
Mais le 10 décembre il parlera autrement.
En attendant Emmanuel Macron...