Si ce n'est moi, c'est Sarkozy !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/05/2015
Décidément, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et d'autres ont des rapports difficiles et aigres avec la justice de notre pays.
Michel Gaudin, Claude Guéant, les préfets Daniel Canepa, Michel Camux et Gérard Moisselin ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, le premier pour détournement de fonds publics, le deuxième pour complicité et recel, les derniers également pour recel.
Ces incriminations concernent une période, entre 2002 et 2004, où Claude Guéant était le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Le premier a profité, pour compléter sa rémunération, avec l'aval de Michel Gaudin qui était le préfet de police, d'importantes sommes d'argent liquide normalement destinées à couvrir les frais d'enquête et de surveillance.
Des investigations préliminaires ont été diligentées au mois de juin 2013 à la suite d'une perquisition opérée le 27 février au domicile de Claude Guéant et qui avait permis de découvrir une série de factures suspectes.
Claude Guéant a admis avoir usé de ces fonds en espèces pour régler des dépenses personnelles.
Entre 2006 et 2009, il a disposé de 119 000 euros en espèces sur lesquels il a été établi que 47 434 euros avaient été utilisés.
En apparence, rien de plus limpide et de plus indiscutable que ces péripéties qui justifient le renvoi direct de Claude Guéant devant le tribunal correctionnel.
S'il fallait encore s'en convaincre, il suffirait de retenir tel ou tel extrait des écoutes téléphoniques ayant transcrit des échanges entre Michel Gaudin et Claude Guéant. La tonalité n'en est guère élégante et, pour tout dire, vulgaire si on songe aux hauts responsables de l'Etat que sont les interlocuteurs. Claude Guéant, le 13 juin 2013 par exemple : "Quel con j'ai été de garder ces factures ! Franchement !" et, après s'être accordé avec Michel Gaudin sur une version commune, il déclare : "C'est pour ça que là on pourrait peut-être se voir", et Michel Gaudin de lui répondre : "Discrétos".
C'est au journal Le Monde - les duettistes Davet et Lhomme étant rejoints par l'excellent Simon Piel - que nous devons ces informations qui ne faisaient que confirmer la consistance de l'accusation et le fait qu'a priori, Nicolas Sarkozy pouvait être laissé à l'écart de cette affaire semblant ne concerner que de "vieux amis" de la police.
Aussi, quelle surprenante réaction a été celle de Claude Guéant qui, au lieu d'assumer cette décision procédurale en ne la rapportant qu'à lui-même, a maladroitement considéré qu'il s'agissait "d'une instrumentalisation de la justice, qu'il y a une orchestration de tout cela qui est dirigée directement contre Nicolas Sarkozy, cela paraît évident" (LCI-Radio Classique) !
Il a continué sur un registre personnel : "...une campagne médiatique visant à me salir, à mettre en cause mon honneur..." mais, à nouveau, n'a pu s'empêcher d'ajouter : "Nicolas Sarkozy aussi est l'objet d'actions en des termes très travaillés, très savants sur le plan médiatique puisqu'il est mis en cause puis innocenté".
J'ai évoqué la maladresse de Claude Guéant mais j'incline, de la part de cette personnalité maîtrisée, à présumer une dérive calculée. Je ne parviens pas à imaginer que Claude Guéant ait pu, sans l'avoir voulu, impliquer Nicolas Sarkozy dans un processus qui ne concernait que lui et ainsi créer par contagion une proximité dont l'ancien président de la République n'avait vraiment pas besoin. Ainsi, au moment même où Claude Guéant feint par altruisme de se soucier d'une autre cause que la sienne, il l'affaiblit et, prétendant soutenir Nicolas Sarkozy, il jette une lumière trouble sur ce dernier en le rapprochant inutilement de soi.
Claude Guéant a-t-il, lui, grand serviteur de beaucoup de basses oeuvres, si bien supporté d'être si peu, si mal soutenu et protégé, d'avoir été expulsé du cercle complice et inconditionnel dont Nicolas Sarkozy était à la fois le centre et le bénéficiaire ?
La conséquence de l'attitude de Claude Guéant est, après un renvoi normal qu'il n'aurait pas dû discuter, d'avoir trouvé le moyen, sans aucune nécessité, de remettre Nicolas Sarkozy dans une sphère délétère.
Il est vrai, s'il convient à tout prix d'excuser Claude Guéant et de lui pardonner ses singuliers propos, qu'il ignorait, au moment où il les a proférés, que son parti allait valider ce sigle ambitieux et dangereux puisqu'il oblige : les Républicains.