Chap. 7 – Le maintien des bases coloniales de l’économie
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/05/2015
Le déni français est établi par l’absence de toute politique de remise en état (I), l’instrumentalisation de la loi factice de 2001 (II) et le refus obstiné des autorités étatiques (III).
I – L’absence de toute politique de remise en état
La situation en Guadeloupe montre que rien n’a été fait pour remettre en état. Toute forme de réparation est rejetée par principe, et l’Etat a poursuivi avec méthode sa politique, à savoir s’adapter toujours aux données de fait pour maintenir un régime d’exploitation :
- c’est du fait de son intérêt économique que l’esclavage a été encadré par la loi, spécialement par le Code noir ;
- l’abrogation de 1794 a été totalement insincère, trouvée comme une parade pour rétablir une force militaire capable de maintenir la présence française à Saint-Domingue ;
- la loi et le décret consulaire de 1802 ont voulu tirer profit du retour des Antilles dans l’Etat français et du développement de la marine ;
- l’abrogation de 1848 visait à éviter des révoltes qui allaient faire perdre les Antilles et à donner un motif « humaniste » à la colonisation, à savoir mettre fin à l’esclavage ;
- l’indemnisation des anciens maîtres et le refus de toute indemnisation des nouveaux libres confortaient la puissance économique de ceux qui restaient des maîtres et contraignaient les anciens esclaves au statut de salariés précaires, devant travailler pour leur survie, ce qui a figé pour des décennies l’économie d’exploitation ;
- en 1946, la départementalisation et les plans d’emplois de colonisés par les institutions françaises ont eu pour but de bloquer le risque d’indépendance, alors que les anciennes colonies britanniques aux Caraïbes accédaient toutes à l’indépendance ;
- à ce jour, les grandes propriétés agricoles restent à la descendance des anciens maîtres esclavagistes, pourtant incapables de justifier d’un titre valable.
Le PNB par habitant reste deux fois moindre en Guadeloupe qu’en France métropolitaine. 2013, la Guadeloupe connait un taux de chômage de 26 %, suivi de la Martinique 22,8 % et de la Guyane, 21,3 % alors que le taux de la France métropolitaine est de 10,5 % en 2013. Les 15-24 ans sont les plus touchés (59,8 %) ainsi que les femmes (28,4 %).
Dans le protocole mettant fin à l’important mouvement social de 2009, les parties – dont l’Etat – ont reconnu que l’économie de la Guadeloupe restait sinistrée par la persistance d’un modèle de développement de type colonial.
II – L’instrumentation de la loi factice de 2001
A – Le texte de la loi
Si l’on en croit le discours officiel, la réponse aux légitimes demandes des descendants d’esclaves a été la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Précédé d’un exposé des motifs qui se veut grandiose mais qui n’est que grandiloquent, la loi dispose :
« Art. 1er. – La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l'esclavage, perpétrés à partir du xve siècle par les puissances européennes contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et dans l'océan Indien, constituent un crime contre l'humanité.
« Art. 2. – Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la plus longue et la plus massive déportation de l'histoire de l'humanité la place conséquente qu'elle mérite. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.
« Art. 3. – Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer ».
B – Une duperie
La loi de 2001 s’inscrit dans cette logique de protestations minimalistes permettant au système de perdurer.
L’absence de volonté politique a vite été mise en évidence. Lors de la Conférence mondiale de Durban, en août-septembre 2001, organisée par les Nations Unies, le représentant français n’a pas pris la parole pour défendre cette reconnaissance de la traite négrière transatlantique, alors que le débat avait été porté sur ce terrain par plusieurs Etats du Sud.
Depuis, la démonstration a été faite que cette loi était dénuée de force normative, et les parlementaires, qui continuent de la glorifier, n’ont apporté aucun démenti à cet arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2013 :
« Si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l'humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie » (Cass. Criminelle, 5 février 2013, n° 11-85909, Publié ; voir aussi : Conseil d’Etat, 26 octobre 2005, n° 281273).
III – Le refus obstiné des autorités étatiques
Le 10 mai 2013, lors de la journée nationale de « commémoration » de la traite de l’esclavage, le président de la République a refusé l’idée de réparation. L’argument est particulièrement faible, alors que la demande principale est une remise en état, l’indemnisation ne pouvant être que complémentaire. Maints grands crimes contre l’humanité ont donné lieu à des compensations financières, et que surtout cette compensation financière n’est qu’un succédané quand la remise en état est impossible. La redistribution des terres est de droit dès lors que cette possession est illicite dès l’origine, et ne s’est maintenue que par la violence.
Il a fallu attendre le début des années 2010 pour mettre fin à l’inique bail à colonat, contrat qui prévoyait un paiement de la location sous forme d’un partage de la production (75% planteur – 25% propriétaire) et l’implication du propriétaire dans les choix culturaux. Dans un premier temps, la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole a rendu impossible la conclusion de nouveaux baux à colonat paritaire outre-mer, puis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche a mis fin le 27 janvier 2011 à tous les baux à colonat partiaire, automatiquement convertis en bail à ferme. Le gouvernement a communiqué sur cette belle évolution qui « tournait une page de l’histoire agricole en outre-mer et inscrivit les relations locataires-propriétaire dans le cadre général, mais en pratique, la loi s’est empressée de transformer d’office ce contrat en bail rural, pour éviter tout débat sur la propriété.
En fait, l’Etat français reconnait avoir commis un crime contre l’humanité dont les populations vivant en Guadeloupe ont été victimes, et reconnait aussi que l’économie reste minée par ce modèle d’exploitation, mais il ne propose comme réponse que des discours, une loi factice, des commissions diverses et variées, et un musée.