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Le partage non-marchand ne doit pas faire l’objet d’une compensation et c’est la Hadopi qui le dit !

:: S.I.Lex :: - Lionel Maurel (Calimaq), 22/11/2013

La Hadopi a lancé depuis le mois de juillet des travaux sur la faisabilité d’une rémunération proportionnelle du partage (RPP), à propos desquels j’avais déjà eu l’occasion de m’exprimer. L’approche retenue me paraissait particulièrement dangereuse et biaisée dans la mesure … Lire la suite

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La Hadopi a lancé depuis le mois de juillet des travaux sur la faisabilité d’une rémunération proportionnelle du partage (RPP), à propos desquels j’avais déjà eu l’occasion de m’exprimer. L’approche retenue me paraissait particulièrement dangereuse et biaisée dans la mesure où elle semblait revenir à nier le fait que certains échanges en ligne d’oeuvres protégées s’exerçaient dans une sphère non-marchande, alors que celle-ci  doit être reconnue et constituer le périmètre d’une démarche de légalisation de ces pratiques, comme le préconise notamment La Quadrature du Net.

Hadopi Remixed. Par Luis Volant. CC-BY-SA.

Cette semaine, la Hadopi a annoncé que ces travaux allaient se poursuivre en coopération avec l’INRIA concernant les aspects économiques et avec l’Institut de Recherche en Droit Privé de l’Université de Nantes pour la partie juridique. La Hadopi a publié à cette occasion une note de cadrage qui précise le dispositif qu’elle envisage pour cette rémunération proportionnelle du partage, et qui modifie même assez sensiblement les orientations initiales dévoilées en juillet. J’irai jusqu’à dire que ce document recèle même une surprise de taille, puisque la Hadopi valide une des positions essentielles des groupes qui militent depuis des années pour la reconnaissance du partage et la fin de la répression : le partage des oeuvres en ligne, lorsqu’il s’effectue dans un cadre non-marchand, ne doit faire l’objet d’aucune compensation au profit des titulaires de droits et il doit être légalisé.

Ce n’est pas la première fois à vrai dire que la Hadopi rejoint dans ses travaux les positions des militants de la légalisation. A deux reprises, en 2011 et en 2012, dans des études sur les pratiques des internautes, la Hadopi était arrivée au constat que ceux qui téléchargent illégalement sont également ceux qui dépensent le plus pour des biens ou des activités culturelles. Un tel résultat est capital, car il démontre que l’idée selon laquelle le partage cause un préjudice aux industries culturelles et  à l’ensemble de l’écosystème de la création est tout simplement fausse, alors qu’elle constitue le fondement de la politique aveugle et absurde de répression mise en oeuvre depuis des années. Une étude de la London School of Economics vient d’ailleurs récemment de le confirmer à nouveau en ce qui concerne la musique : non seulement le partage ne détruit pas les industries créatives, mais au contraire, il peut encourager la consommation de biens culturels.

La fameuse étude de la Hadopi qui confirme que les "pirates" sont aussi les plus gros consommateurs de culture… A la rigueur, ce sont ceux qui ne téléchargent pas qu’il faudrait punir ! ;-)

Pour autant, ce que propose la Hadopi n’est pas exempt de défauts, loin s’en faut ! Notamment, sa rémunération proportionnelle du partage revient en effet à un système de légalisation des échanges marchands, sans autorisation des ayants droit, reposant sur une taxation des intermédiaires intéressés financièrement dans les pratiques d’échanges et d’accès aux oeuvres. Cela veut donc dire que la Hadopi propose un système dans lequel un MegaUpload deviendrait légal, à condition qu’il s’acquitte d’une redevance versée aux titulaires de droits… Les propositions de la Quadrature visent au contraire à légaliser le partage uniquement dans le cercle délimité des échanges non-marchands entre individus, afin de favoriser le retour à des pratiques décentralisées.

Néanmoins, même si ces propositions restent difficilement acceptables en l’état, il faudra se souvenir que la Hadopi elle-même, tout comme SavoirsCom1, la Quadrature du net ou même le Parti Pirate, a admis que le partage non-marchand ne devait faire l’objet d’aucune compensation et être légalisé ! C’est un beau testament qu’elle nous laisse pour les débats futurs, avant sa disparition…

Hadopi au pays du partage 

Dans sa note de cadrage, la Hadopi commence par admettre que "le partage est consubstantiel à Internet" et elle le définit dans les termes suivants :

le mot « partage » s’entend comme l’ensemble des usages couvrant toutes les formes de mise à disposition et d’accès à une oeuvre ou un objet auquel est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin, sans l’autorisation des titulaires desdits droits, sur un réseau de communications électroniques et qui sont réalisés à des fins non lucratives par toute personne physique connectée à ce réseau.

Une telle définition me convient tout à fait. Par contre, elle poursuit avec des propositions qui, à la première lecture, m’ont parues complètement inacceptables :

Un postulat est alors de considérer que l’exploitation des oeuvres sur les réseaux est irrémédiablement affectée par le développement des usages de partage et qu’une solution doit dès lors être recherchée pour que le droit d’auteur et la rémunération des créateurs tiennent compte de cette situation, de fait, persistante et exponentielle, dans l’intérêt commun de la création et du public.

Le principe général du dispositif est de créer une rémunération compensatoire à ces usages en contrepartie de laquelle ils deviendraient licites, réinscrivant de ce fait les titulaires des droits dans la chaîne de valeur alimentée par leurs oeuvres, tout en permettant et le développement d’offres commerciales à forte valeur ajoutée et les innovations.

Certes pour la première fois, la Hadopi parle explicitement de légaliser le partage (ce qui n’était pas clair dans la précédente étape de son étude), mais elle retombe également dans les vieilles lunes des lobbies des industries culturelles. Elle avoue en effet elle-même partir d’un postulat : celui selon lequel le partage constitue un préjudice pour les industries créatives, qui appelle une compensation, alors même que cela est démentie par les études économiques que j’ai rappelées plus haut (dont certaines émanent de la Hadopi elles-mêmes…).

Je m’apprêtais donc à tirer à boulets rouges sur cette note de cadrage, mais la suite détonne avec ce postulat de départ, notamment en ce qui concerne la sphère non-marchande du partage. 

Le partage non-marchand ne doit pas être compensé

Plus loin, la Hadopi expose en effet les principes de fonctionnement de la rémunération proportionnelle du partage qu’elle envisage. Cette rémunération serait due par les intermédiaires réalisant des gains à l’occasion des échanges (On pense à des sites de Direct Download ou de streaming payants ; des sites comme T411 monétisant le ratio imposé entre individus ; pourquoi pas aussi YouTube et ses recettes publicitaires, etc).

Mais ensuite, la Hadopi précise que ce dispositif reposerait sur un "seuil" au-dessous duquel la rémunération ne serait pas due :

Dans le cas minoritaire des usages n’entrainant aucun gain, la rémunération due est égale à 0.

Il existe par ailleurs un seuil en deçà duquel, la rémunération est supposée égale à 0. Cela recouvre les cas usages n’entrainant que de très faibles gains et les intermédiaires dont l’implication dans la chaîne de consommation est marginale (coefficient très faible).

Pour autant, le bénéfice de la contrepartie (licéité de l’usage) reste acquis pour les utilisateurs et les outils auxquels ils recourent.

Il est donc bien admis que les échanges entre individus s’effectuant dans un cadre strictement non-marchand seraient légalisés, sans aucune rémunération à verser C’est donc bien que le partage non-marchand n’a pas être compensé. Et la Hadopi va même plus loin puisqu’elle admet que de faibles gains puissent être réalisés (certaines plateformes en ont besoin, ne serait-ce que pour couvrir les coûts liés à l’entretien des serveurs ou des listes, si l’on songe par exemple à un annuaire de liens).

A la lecture de la précédente note de la Hadopi, on avait l’impression qu’elle entendait démonter l’idée qu’une sphère non-marchande de partage puisse exister et c’est ce qui m’avait fait réagir. Mais sa nouvelle note reconnaît bien la possibilité d’existence d’une telle sphère autonome, même si elle prend le soin d’ajouter qu’elle est "minoritaire". Il faut néanmoins saluer cette évolution et encore une fois relever la convergence avec le point de vue de ceux qui militent en faveur de la légalisation depuis longtemps.

Faut-il pour autant légaliser le partage marchand ? 

Néanmoins, on sent bien à la lecture de la note que le partage non-marchand n’est pas ce qui intéresse vraiment la Hadopi. Son système repose en effet sur la taxation des intermédiaires réalisant des gains financiers en fournissant des moyens de partage et d’accès aux oeuvres protégées. Le but réel de la Haute autorité est de rediriger des flux financiers vers les industries culturelles. Au lieu de prôner une mesure comme la licence globale, où la redevance était acquittée par les internautes via un surcoût à l’abonnement Internet, la Hadopi préfère chercher à mettre à contribution des plateformes. Il est vrai que l’idée est furieusement à la mode en ce moment, que ce soit du côté de la Rue de Valois ou du CSA qui devrait logiquement succéder à la Hadopi…

On peut sérieusement se poser la question de savoir si cette idée de légaliser le partage marchand sans autorisation des ayants droit (en plus du partage non-marchand) est légitime et quels effets elle aurait sur l’écosystème global. Certes, elle entérine un déplacement graduel qui s’est opéré dans les usages, puisqu’une partie des internautes qui utilisaient des systèmes de P2P pour échanger des fichiers se sont repliés au fil du temps vers des formules de streaming ou de DirectDownLoad, souvent payantes sous forme d’abonnement et/ou monétisées via de la publicité.

Mais ce basculement a été provoqué en partie à cause de la répression qui a frappé le téléchargement en P2P et dont la Hadopi est elle-même l’instrument. Elle a donc beau jeu de déclarer "partir des usages constatés", alors qu’elle a elle-même eu une responsabilité dans la modification de ces usages !

Depuis longtemps, ce que soutiennent les tenants de la légalisation du partage, c’est que la légalisation des échanges dans un périmètre non-marchand aura l’effet inverse : ne craignant plus la répression, les internautes se détourneront des formules centralisées et payantes de partage pour revenir à des formes d’échanges décentralisées, et notamment le Pair-à-Pair. D’une certaine manière, si le système de RPP de la Hadopi venait à être mis en place, elle risquerait de tuer mécaniquement sa "poule aux oeufs d’or". Les fameux intermédiaires techniques qu’elle vise avec sa RPP verraient sans doute leur fréquentation baisser, au profit des pratiques qu’elle s’échine à qualifier de "minoritaires".

Mais le vrai risque de l’approche de la Hadopi est ailleurs et il vient de la réaction prévisible des industries culturelles. Si un tel système de rémunération lié au partage marchand était mis en place, elles auraient alors objectivement intérêt à ce que les formules centralisées d’échanges soient privilégiées par les individus. Leur aversion pour la gratuité est telle qu’elles lutteraient sans doute farouchement pour que la définition de la sphère non-marchande soit la plus réduite possible. Dans le cadre du droit français, elles ont à leur disposition un arsenal juridique redoutable pour arriver à de telles fins, auquel elles ont déjà recouru avec succès pour laminer la copie privée.

C’est la raison pour laquelle je persiste à penser qu’il est hautement préférable de ne légaliser les échanges que dans la sphère non-marchande. La loi n’a pas à voler au secours de plateformes commerciales, comme MegaUpload a pu l’être en son temps ou YouTube aujourd’hui. A eux de trouver des accords contractuels avec les titulaires de droits par leurs propres moyens. Car l’objectif, autant que la légalisation et la fin de la répression, est de faire à nouveau basculer les pratiques vers des formes décentralisées. L’actualité est là en ce moment pour nous rappeler à quel point c’est important pour l’avenir d’internet et celui de nos libertés…

Désaccords et différences avec le modèle de la contribution créative

La rémunération proportionnelle de la Hadopi partage un trait essentiel avec le modèle de la licence globale, qui avait été proposé pour légaliser le partage : celui de constituer la compensation d’un préjudice subi. La Hadopi suggère également des fondements juridiques pour mettre en oeuvre sa RPP qui sont les mêmes que ceux de la licence globale :

Les options envisagées dans la recherche d’un tel dispositif pourront couvrir notamment les exceptions au droit d’auteur, existantes, élargies ou à venir, ainsi que la gestion collective des droits.

La Quadrature du net, de son côté, propose à partir des travaux de Philippe Aigrain, un modèle différent de financement de la création sous la forme d’une contribution créative, dont chaque foyer devrait s’acquitter sous la forme d’un surcoût à l’abonnement Internet. Son fondement ne serait pas une exception ou un mécanisme obligatoire de gestion collective, mais l’épuisement du droit d’auteur. Sa justification n’est pas de compenser un préjudice subi du fait du partage, mais de récompenser les créateurs pour la production d’oeuvres venant enrichir les Communs culturels partageables. Elle est strictement limitée à la sphère non-marchande et n’étant pas assise sur une exception au droit d’auteur, elle n’a pas à être répartie selon les mécanismes traditionnels de la gestion collective. On peut envisager de mettre sur pied de nouvelles institutions chargées de la répartir entre les créateurs, plus transparentes que les actuelles sociétés de gestion et fonctionnant sur la base de principes évitant la concentration de la rémunération sur un petit nombre de titulaires au détriment de la masse des créateurs.

Par ailleurs, et c’est un point majeur, dont j’ai parlé à de nombreuses reprises, la contribution créative pourrait bénéficier à tous les créateurs d’oeuvres de l’esprit, pas seulement les professionnels des industries culturelles, mais aussi les amateurs. C’est un point dont la Hadopi ne parle à aucun moment dans ses propositions, alors qu’il est central dans notre vision. La contribution créative n’est pas la compensation d’un préjudice, c’est une façon pour la société d’investir dans le terreau des pratiques amateurs (j’emprunte cette belle formule à Silvère Mercier), pour développer les capacités créatives des individus et leur permettre d’y consacrer le temps libre nécessaire.

***

Ces différences restent essentielles et elles font que je ne peux soutenir la formule de rémunération proportionnelle du partage proposée par la Hadopi. Je lui reconnaîtrais néanmoins le mérite d’avoir su faire évoluer son modèle de manière à admettre l’existence, même limitée, d’une sphère non-marchande autonome du partage. C’est un aspect important de conciliation de nos points de vue. Par ailleurs, admettre que ces échanges non-marchands n’ont pas à faire l’objet d’une compensation est une avancée décisive, à laquelle nous ne manquerons pas de nous référer dans les débats à venir.


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