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Les convictions sont un poison...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/09/2019

Les convictions sont un poison. Je déteste ces échanges où dès la première seconde, à cause de celui qui parle et du caractère immédiatement définitif du propos, on sait qu'on n'a pas la moindre chance de s'immiscer dans l'esprit de l'autre et que le monologue sera roi.

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Je me sens de plus en plus gêné, dans un monde de certitudes, par la multitude de mes doutes.

Au fil du temps je ressens chaque jour davantage la lucidité de ce paradoxe seulement apparent soulignant que le contraire de la vérité n'est pas le mensonge mais la conviction.

Même dans ma vie judiciaire j'avais tenté le moins mal possible d'introduire, avant les obligatoires conclusions de l'avocat général aux assises - qu'elles soient de condamnation ou d'acquittement - la souplesse d'une compréhension et d'une écoute ne répudiant pas par principe les dénégations de l'accusé.

En me défiant d'une pratique se fondant sur une conviction tellement inébranlable qu'elle n'attachait aucune importance à l'oralité des débats et s'en tenait, sans varier une seconde, à ce qui avait été décrété par le dossier avant l'audience.

Les convictions sont souvent un poison dans la vie intellectuelle et démocratique. Par exemple la politique, aujourd'hui, est trop souvent une affirmation péremptoire que l'esprit partisan imposerait, plus qu'une libre et tolérante discussion sur les thèmes capitaux que la République propose sans cesse à la vigilance du pouvoir, des élus et des citoyens.

Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif pour tous, a bien voulu me convier à intervenir le 21 septembre lors de l’Université de rentrée de "Marchons Enfants".

J'ai accepté d'abord pour marquer à ma manière qu'il n'y avait pas là un conglomérat pestiféré parce que conservateur et qu'on pouvait s'y rendre sans avoir à s'excuser de quoi que ce soit.

L'accueil a été parfait mais ayant pris le parti de parler librement sur la PMA, la GPA et l'attitude du pouvoir, j'ai senti quelques protestations dans la salle qui d'ailleurs m'ont plutôt stimulé.

Je m'étais contenté de dire que, si j'étais opposé à la GPA, en revanche les arguments classiques formulés par les adversaires de la PMA - absence de père et danger du "droit à l'enfant" - ne m'apparaissaient pas irréfutables et qu'au moins on avait le devoir de les questionner.

Pour le reste je soulignais qu'on ne pouvait présumer la mauvaise foi du président et des ministres concernés car nous n'étions plus dans le déplorable registre du "mariage pour tous" et des manifestants matraqués mais dans celui d'un tout autre processus démocratique. On me jugeait naïf. Il y avait, contre moi, des convictions tellement enracinées que ma scrupuleuse incertitude d'un côté et ma confiance de l'autre les offensaient.

Je regrette que Mediapart ait été "blacklisté" lors de ces journées. Il s'agit, dans tous les cas, d'une mauvaise solution. Mais je comprends que certains partis ou associations succombent à cette tentation car si l'information est en effet une exigence, encore faut-il que sur le plan factuel elle ne soit pas, par principe, à charge, tronquée, dénaturée en procès !

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Dans l'autre camp, on a les mêmes convictions mais à rebours. Ceux qui sont hostiles à la PMA et à la GPA sont traités dans le meilleur des cas avec une condescendance attristée, dans le pire avec mépris. En particulier, la talentueuse avocate et abrupte militante Caroline Mécary s'est spécialisée dans leur stigmatisation pour manque d'enthousiasme face au futur progressiste qui s'annonce avec le passage du "corps charnel au corps fabriqué" !

Quand j'entends Gérard Darmon ou Valérie Trierweiler tancer François-Xavier Bellamy, parce que leurs convictions leur donneraient le droit de se poser en juges de quelqu'un trop gentil qui pourrait leur en remontrer, je me méfie de ces affirmations qui n'ont pour elles que leur caractère péremptoire et ne font de l'effet qu'à cause de l'assurance de ceux qui les assènent (ONPC).

Les convictions sont un poison qui fait croire qu'en avoir est l'alpha et l'oméga de tout et qu'il vaut mieux en définitive s'écouter soi plutôt que les autres.

J'ai toujours estimé certains Gilets jaunes - la misère sociale et les difficultés de la vie pouvaient justifier une cause dévoyée par ses membres les plus violents qui en certaines circonstances ont pactisé avec les Black Blocs - mais quand j'entends leurs représentants développer avec constance et de manière immuable des convictions qui ne tolèrent pas le moindre dialogue, n'acceptent pas le moindre compromis, je m'inquiète devant ce totalitarisme.

Les convictions qu'on est si fier d'avoir parce qu'elles feraient de vous une personnalité sincère et respectable deviennent véritablement une prison quand on se refuse le droit de s'en évader. J'entends bien que beaucoup préfèrent donner l'impression d'une solidité corsetée plutôt que celle d'une réflexion prête à se laisser séduire, influencer par d'autres mais la conséquence en est que les dialogues sont de sourds et que conviction proclamée contre conviction affichée, on tourne en rond ; on n'avance pas et chacun ravi de sa fidélité à soi-même demeure sur ses positions.

La vérité n'habite pas ces convictions si persuadées de leur pertinence qu'elles ne la cherchent pas mais se félicitent seulement d'être ce qu'elles sont. La vérité, en réalité, dans tous les domaines, de la politique à la culture, de la société à l'art de vivre, n'est atteignable que par l'effort de placer le questionnement non pas en fin de parcours, comme une concession dérisoire à l'intelligence, mais au début de l'élaboration de la réflexion.

Les convictions sont un poison. Je déteste ces échanges où dès la première seconde, à cause de celui qui parle et du caractère immédiatement définitif du propos, on sait qu'on n'a pas la moindre chance de s'immiscer dans l'esprit de l'autre et que le monologue sera roi.

Malgré les apparences d'une voix ou d'un écrit qui peuvent parfois laisser croire le contraire, plus le temps passe, plus je suis désarmé face aux convictions qui enferment et se flattent de demeurer à l'abri de la contradiction.

Il faut les fuir, parfois donc nous fuir.


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