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L'Archipel de la bêtise

Justice au singulier - philippe.bilger, 11/02/2012

Avec La délibération sur Alexandre Soljenitsyne, le Conseil de Paris a failli couvrir Paris de honte et de ridicule.

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Alexandre Soljenitsyne (AS) l'a échappé belle. Le jardin du rond-point de la porte Maillot - quel prestige, on n'aurait pas pu trouver mieux ! - va porter son nom, mais apparemment de justesse.

Le Conseil de Paris, à l'initiative heureuse de l'élu Nouveau Centre Jérôme Dubus, avait été saisi de cet honneur à rendre à ce formidable écrivain. On aurait pu imaginer un consensus enthousiaste. C'était sans compter, par exemple, avec Alexis Corbière (Parti de gauche) qualifiant AS de "clairement antisémite" et, plus absurdement, avec Christophe Girard, pourtant adjoint (PS) à la Culture, le dénonçant comme "passablement homophobe" (Le Parisien).

Il me serait facile d'énumérer, dans les villes françaises au regard de leur tonalité politique à telle ou telle période, les baptêmes aberrants de rues ou de places, qui montrent l'extrême difficulté, parfois, de choisir des personnalités incontestables, dont on est assuré en tout cas qu'elles sauront ne pas sombrer avec le passage du temps et les étranges évolutions de l'Histoire. La culture pure offre ceci de bon que, même si l'artiste ou l'écrivain s'est effacé de nos mémoires, aucune controverse ne vient réclamer sa disparition de nos lieux familiers.

Quand, en revanche, on focalise trop sur l'actualité et qu'il y a plus de démagogie que de véritable nécessité dans le choix des hommages municipaux, on peut craindre le pire. Ainsi, pour la stèle érigée pour Brahim Bouram, la malheureuse victime d'un skinhead imbécile l'ayant jeté à la Seine sans se douter qu'il ne savait pas nager. Ce criminel gravitait certes, avec sa bande de copains, dans les marges d'un défilé du 1er mai du Front National et il est évident que s'il ne s'était pas agi de Jean-Marie Le Pen, on n'aurait jamais songé à cette consécration.

AS, qui a risqué d'être exclu de l'hommage évident que depuis longtemps on aurait dû lui rendre, n'avait pas accompli grand-chose, il faut le reconnaître : immense écrivain rassemblant, dans et avec son génie, l'historien, l'analyste et le créateur d'une infinie puissance, lourd d'universalité, pour le reste presque rien ! Avec L'Archipel du Goulag, il n'avait fait que porter les premiers coups, mais décisifs, au totalitarisme monstrueux qu'était le communisme et dont, après en avoir lui-même souffert, il avait questionné les témoins réchappés de l'enfer des camps.

C'est devant cet homme, cette personnalité, cette action, cette libération qu'on s'est permis de mégoter.

L'Archipel de la bêtise.

A supposer même que, dans cette incandescence à la fois littéraire, philosophique et révolutionnaire ou dans les propos ultérieurs d'AS, aient pu être relevées des réactions antisémites ou "passablement homophobes", comment soutenir que, pour lui, ce passif pourrait peser au regard d'un actif si exceptionnel ?

Avec ce genre de pointillisme qui confond le détail avec le tout et n'hésiterait pas à sacrifier ce dernier au nom d'une éthique de façade, je me demande bien quel être serait suffisamment exemplaire pour être inscrit au fronton de nos rues ou y demeurer ? De Gaulle, qui n'était pas un ange, n'y résisterait pas, et tant d'autres dont les vices n'altéraient pas, pourtant, la lumière et l'éclat des vertus.

Le Conseil de Paris a failli couvrir Paris de honte et de ridicule.


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