La famille victime collatérale du pacte de solidarité (553)
Planète Juridique - admin, 3/02/2014
Le gouvernement vient d’annoncer le renvoi à 2015, en tous cas le non-examen en 2014, du projet de loi Famille qu’il entendait présenter au lendemain des élections municipales. Le prétexte avancé : la non finalisation du texte. Certes le travail interministériel n’était pas achevé sur les orientations retenues par Mme Bertinotti, ministre de la famille à la suite des rapports (1) qui lui avaient été remis fin décembre et de son propre investissement. Somme toute rien que de très normal sur un texte de cette importance. Il fallait notamment trouver avec le ministère de la justice, ministère de la loi, les accords qui s’imposaient.
Mais nul ne s’y trompe, c’est bien un retrait en rase campagne devant l’opposition opiniâtre rencontrée de la part d’une partie de l’opinion qui conduit le gouvernement, après un premier recul en 2012, à renvoyer son projet aux calendes grecques. A la recherche d’un (relatif) consensus le gouvernement qui croit l’avoir retrouvé avec l’annonce du pacte de solidarité , ne veut pas prendre le risque d’un débat hautement clivant sur les thèmes sociétaux. Il voit bien ce que sert à alimenter cette boule de neige qui grossit et grossit encore au risque de déboucher sur un nouveau Versailles avec 1 million 500 00 manifestants : l’opposition au mariage homosexuel puis à l’adoption, les attaques sur la pseudo-théorie du genre, la crainte de voir remis en cause le quotient familial, le rabotage de niches fiscales comme celle de la garde d’enfant à domicile ou encore les rumeurs sur l’enseignement sexuel dès la maternelle en passant par la suppression par l’Assemblée nationale de la référence au « bon père de famille » napoléonien. Tout est bon, le vrai comme le mensonge éhonté, à certains pour faire croire que le gouvernement entend s’attaquer à «la» famille.
Peu importe ce qui est dit : tout est détourné. Le gouvernement s’engage depuis plus d’un an dans la foulée du président de la République à ne pas inscrire dans la loi Famille les débats sur la PMA et, a fortiori, sur la GPA et à s’opposer à des amendements parlementaires, rien n’y fait : il est toujours accusé de soutenir ces évolutions.
On comprend donc le geste politique que représente le retrait de ce projet de loi à peine émergeant.
On le regrettera car il parait désormais impossible à bref délai de penser pouvoir reprendre frontalement, avec les enjeux le fondaient, ce travail d’adaptation de notre droit de la famille qui comprenait notemment une amélioration du statut de l’enfant avec le souci de faciliter son investissement citoyen, ce qui somme toute pouvait s’analyser comme une vraie démarche de prévention des comportements asociaux.
Quel gâchis !
Les problèmes auxquels la ministre de la famille entendait s’attaquer restent et doivent trouver réponse. Ainsi il faudra bien un jour clarifier les responsabilités entre ceux qui ont en charge les enfants. Plus d’un million d’enfants vivent avec un seul de leurs géniteurs : quels sont les rôles respectifs du père et du beau-père, de la mère et de la belle-mère ? Nous proposions des solutions concrètes, pragmatiques de nature à rassurer les adultes comme les enfants. Depuis 15 ans cette adaptation s’impose. Tout est bon pour l’empêcher.
Il s’agit encore de permettre aux enfants de voir respectées leurs différentes affiliations avec ceux qui les ont conçus, ceux qui les élèvent, ceux qui éventuellement les adoptent, ceux qui leurs sont chers. Là encore on attendra. L’accouchement sous « X » spécialité française et luxembourgeoise en Europe doit être revisitée. L’adoption plénière ne peut plus nier l’histoire d’un enfant. Etc. Tout rentre au placard.
Mais c’est aussi le statut civil des enfants qu’il faut faire évoluer et notamment lui reconnaître à un certain âge le discernement qui lui est reconnu quand il s’agit de le punir : des droits à la hauteur des devoirs ! Partant de là il faut reconnaître à l’enfant, dans l’intérêt même des adultes et de la société, l’exercice des droits et libertés fondamentales comme la liberté de religion ou d’expression et la liberté d’association.
Sans compter les adaptations sémantiques qui s’imposent ici aussi pour mieux définir les relations qui typent la famille moderne : la solidarité et les responsabilités plus que le pouvoir de l’homme sur la femme et des parents sur les enfants.
Preuve que le texte ne devait pas être conçu dans un esprit d’affrontement où l’on monterait la femme contre l’homme, les enfants contre les parents, les géniteurs contre les détenteurs de l’autorité parentale ou ceux qui élèvent l’enfant, il s’agissait plus que jamais de promouvoir les démarche de médiation familiales, la médiation étant facilitée par l’affirmation des droits de chacun.
Voilà pour quelques pistes qui émergeaient des travaux sur le projet de loi Famille.
En quoi tout cela conduit à détruire la famille ? Chacun sait aujourd’hui que « la » famille n’existe pas, mais qu’il y a plusieurs manières de vivre le fait familial. Le rôle de la loi est bien de respecter chaque approche, d’énoncer des règles du jeu transversales d’ordre public dans un contexte où le contenu – les rapports entre parents et enfants – l’emportent sur le contenant - le mariage - et de veiller à garantir le droit des plus faibles.
Oui, il y a une approche traditionnelle de la famille et une approche plus moderne. L’une est minoritaire, l‘autre plus répandue. Il ne s’agit pas d’opposer l’une à l’autre, mais de les respecter.
Personne n’est propriétaire du thème famille.
En 1981 François Mitterrand avait osé réconcilier les français avec ce thème. Il rompait avec le tabou qui résultait du célèbre «Travail, Famille, Patrie » pétainiste. La famille n’est pas un thème de gauche ou de droite : il concerne tous les français qui y voient une dimension essentielle de leur vie au quotidien. Une politique du fait familial s’imposait et s’impose toujours qui va bien au-delà d’une simple politique nataliste et d’une politique des allocations familiales, mais concerne à y regarder de près la plupart des thèmes de la vie quotidienne (le revenu, le logement, les rythmes de vie, etc.). Quelle bêtise, pour ne pas dire plus, que d’accuser la gauche d’être contre la famille !
Quelles qu’en soient les explications politiques ce recul apparaît comme un retrait en rase campagne comme si le gouvernement, désavouant la ministre qui s’était mouillé la chemise, ne croyait pas dans le combat qu’il avait lui-même porté comme étant nécessaire à mener.
Certes il doit s’en prendre à lui-même. Déjà pour avoir engagé le fer sur le mauvais terrain, celui du mariage homosexuel et surtout de l’adoption qui en résultait inéluctablement du fait même des règles européennes, quand il eut déjà fallu créer les conditions de la reconnaissance paisible de l’homoparentalité justement par un projet de loi portant statut du tiers sachant qu’une grande partie des enfants qui vivent avec un de leur géniteurs cohabitent avec le compagnon ou la compagne du même sexe de celui–ci. On aurait pu ensuite aborder sereinement la question de la filiation et des filiations et donc celle de l’adoption. Au lieu de cela on ouvert la boite de Pandore ou de la boite à claques et les adversaires s’y sont engouffrés tout logiquement avec tous les procès d’intentions possibles.
Il faut ensuite admettre qu’une partie des élus de gauche qui, comme ceux de droite, raisonnent plus pour leurs électeurs que pour les enfants sont favorables à la PMA, sinon à la GPA. Pour la GPA quand même nombre coincent quand ils réalisent que cela impacte- c’est le moins qu’on puisse dire - le statut de la femme – un corps à louer - et celui de l’enfant – un objet de commande - .Bref on est allé trop vite et en s’accordant pas en interne sur les limites à ne pas dépasser. Et ce qui devait arriver arriva.
Alors maintenant il va falloir sauver les meubles car les réformes qui s’imposaient s’imposeront toujours. Peut être parviendra-t-on à les faire adopter avec des amendements législatifs sachant que tout ce qui se trouve dans les quatre rapports remis en décembre dernier ne relève pas de loi, mais parfois de dispositifs institutionnels.
On regrettera une nouvelle fois ce coup d’arrêt porté à travers ce retard à une meilleure prise en compte des droits des enfants dans ce pays. Tel que nous l’avions réfléchi pour notre part la société en aurait été bénéficiaire.
Trois pas en avant, deux pas en arrière. Telle est la devise des droits humains. Aujourd’hui deux pas en arrière ; demain peut être avec le débat autour des idées contenus dans nos travaux on repartira de l’avant car si on peut abandonner une loi on ne peut pas empêcher la marche des idées. Ces débats vont venir qu’on le veuille ou pas.
Si la décision politique de retirer le projet de loi famille s’avère un coup payant, il aura un coût.
PS
1) Quatre rapports
sur la filiation et l'adoption sous la présidence de Mme Irene Thery
sur la médiation familiale sous la présdence de M. Juston, magistrat
sur la protection de l'enfance sous la présidence de Mme le pr A. Gouttenoire
sur les nouveaux droits des enfants sous la présidence de M. JP Rosenczveig, magistrat