Enfin !!l mais avec la rage (594)
Planète Juridique - admin, 23/01/2015
Comment ne pas être éberlué, satisfait et consterné tout à la fois devant les annonces faites hier par le premier ministre et la ministre de l’Education nationale. Il aura donc fallu les journées dramatiques de ce début d’année pour que la classe politique prenne la mesure des problèmes posés quand, tant et tant d’acteurs, y compris d’élus, étaient lucides et appelaient à des mesures fortes pour lutter contre l’éclatement de la République façon puzzle.
Oui, une partie de la jeunesse de France - pas toute la jeunesse de France - est de autre coté de la fracture sociale.
Lucide cette partie de la jeunesse de France sait instinctivement qu’elle n’aura pas beaucoup de moyens pour venir du bon côté. La passerelle sociale – avant on parlait d’ascenseur – est quasiment bouchée.
Ces jeunes savent qu’ils sont hors la société et qu’on les y contient, d’où effectivement le sens du mot apartheid : même si le droit n’y pousse pas, les pratiques y conduisent. On n’a pas décidé politiquement l’apartheid, mais on l'a laissé s’installer, ce qui revient à faire de la politique. Le premier ministre a malheureusement raison.
Oui, ces jeunes sont à la dérive et ancrés nulle part : ni à leur famille, ni à la société via le travail en berne ou un projet collectif absent. Ils sont donc prêts à être hameçonnés par le premier mafieux venu qui leur laissera miroiter un argent facile via le business de la drogue, mais surtout un statut social de petit ou grand caïd avec la convention collective qui s’y rattache. Et aujourd’hui on découvre que les recruteurs qu’il y a aussi les prêcheurs et par-delà des réseaux terroristes.
Nous disions, sans vraiment être entendu, que si la République était absente du terrain des valeurs, les religions combleraient le vide. On ne pensait pas avoir raison à ce point.
La difficulté est aujourd’hui majeure car si nous raisonnons pour les générations à venir, il y a déjà tous ces adolescents à vif prêts à basculer dans un contexte de précarité exacerbé sur fond de conflit israleo-palestinien qui fait resurgir l’antisémitisme, le tout sur un fond d’inculture historique et d’incapacité à penser par soi-même. Il va nous falloir, tout à la fois, gérer ces jeunes qui sont encore en construction prêts à basculer, mais qu’on peut peut-être raccrocher et dans le même temps la génération des 25-30 ans que nous avons vu monter, désormais arrivée à un virage majeur pour tous ces jeune adultes convaincus que leur vie est foutue. Ils son t désormais prêts, perdants pour perdants, à la jouer à la roulette russe dans une spirale de la mort qui n’a pas de prix.
Bonjour le réveil !
On ne peut donc que se réjouir de l’ensemble de la démarche annoncée qui va bien au-delà, c’est l’originalité, de mesures pointillistes et superficielles. A chaud, les media retenaient rapidement de la conférence la journée sur la laïcité qui n’était en vérité que la pointe de l’iceberg. C’est bien un travail en profondeur qui est engagé. Dont acte.
Reste qu’on ne pourra pas se contenter de mots et de débats sur les valeurs qui prendront rapidement la tête aux jeunes visés. Si la République ne leur rapporte pas ou ne leur laisse pas entrevoir à court terme du mieux-être ces jeunes n’y adhéreront pas. En 1945 le drapeau tricolore et la devise avaient du sens immédiat car la reconstruction s’imposait et ne pouvait que bénéficier à maximum. On avait l’espoir collectif et individuel d’un avenir meilleur. 2012 n’est pas 1945 … Il y a un besoin d'être reconnus, d'être inclus et de justice.
On va demander beaucoup à l‘école et on a certainement raisons puisqu’elle était en grande partie à côté de la plaque. Les enseignants ne sont pas en cause, mais les orientations retenues n’étaient pas en phase avec les besoins en matière d’»éducation nationale ».
Comme d’habitude on attend trop d’elle.
On a compris qu’il fallait renforcer ses moyens en mobilisant peu ou prou la société civile. Espérons déjà et qu’enfin le Mammouth lui fera la place que dans ces dernières années il lui refusait.
Mais quoi qu’il en soit le lieu école n’est qu’un des lieux de socialisation. Il en est d’autres sur lesquelles la République doit réinvestir.
On pense immédiatement à la toile devenue en peu de temps un territoire majeur pour les jeunes ; un univers tout aussi important, sinon plus, que la rue ou les caves. Il nous faut l’investir, pas seulement pour interdire et censurer, mais pour y véhiculer les idées auxquelles nous croyons et qui font la France, pour échanger et démontrer preuves à l’appui.
Il faut encore ne pas négliger le champ familial avec déjà un défi majeur de séparer la religieux du temporel. L’islam de France doit admettre après les catholiques que des mutations majeures sont intervenues au XX° siècle dans ce pays notamment sur le statut des femmes ou sur les libertés fondamentales des individus ou des groupes - qui font ce qu’il est, notamment son attractivité et par certains côtés sa spécificité dans le monde.
Qu’on ne se méprenne sur mon propos. Il y a 20 ans je dénonçais les propos du grand rabbin Sitruk qui, devant 300 rabbins, affirmait qu’avant d’être français un enfant né de parent était juif et que son premier droit était de d’avoir sa mère juive à la maison ! Et les catholiques n’ont pas tous cheminé sur le même pas, conf. les débats autour du « Mariage pour tous ».
Oui, les laïcs se sont endormis sur leurs lauriers croyant que le combat gagné en 1905 était définitivement clos. Erreur fatale. Chassez la religion elle revient au galop, surtout en période de crise ou d’inégalités majeures. Elle donne de l’espoir ou du sens à la vie de ceux qui sont sur le bord de la route.
Alors des cours de citoyenneté ou de laïcité pour utiles seront insuffisants même sur plusieurs années si dans le même temps certaines pratiques ne changent pas à l’école, si dans la société la justice sociale ne progresse pas, si les jeunes n’ont pas plus d’espoir demain qu’aujourd’hui dans le fait de trouver une place dans cette société et d’accéder à une part d’un gâteau qui diminue.
Pour refaire lien, il nous faudrait malheureusement de grandes causes communes. Comme je l’ai déjà dit ici, l’Allemagne n’est plus l'ennemi qui forgeait - à quel prix ! - l'unité nationale ; la coupe du monde de football offre une fois tous les 4 ans une flambée d'adrénaline commune, mais – conf. 1998- c’est un feu de paille et dérisoire. Un temps, nous avons eu la conquête de l’espace ; envolée c’est le cas de le dire faute de moyens ! La construction européenne ne fait toujours pas rêver ce qui reste de Billancourt ! Que peut-on proposer à partager en commun à ces populations postées des deux cotés de la fracture pour l’estomper en revant à sa disparition? Il serait temps que l’imagination vienne au pouvoir.
A tout le moins on doit militer pour que la fracture se s’élargisse pas. Il faudra au moins 30 ans dans la meilleure des hypothèses pour la réduire compte tenu de l'ampleur des politiques publiques à mener sur l’emploi, le logement, les statuts personnels et les représentations, etc. pour estomper les ségrégations.
D’ici là les professionnels doivent jouer leur rôle, et il faut les soutenir tout en faisant confiance à leur savoir-faire.
Pour leur part, les travailleurs sociaux et les institutions sociales qui les emploient doivent certainement revoir leurs modes d’intervention pour être plus performants en en venant enfin - là encore un discours vieux de 30 ans - à un travail social communautaire et global quand, trop souvent, ils sont dans des démarches administratives et verticales, saucissonnées. C'est à l’ensemble des problèmes d’une famille, dans le même temps auxquels il faut s’attacher : revenus, logement, problème de papier, problèmes psychologiques.
Et puis d’évidence il faut un sursaut national qui fasse que partout dans le rue, dans les médias, dans les cités on lutte contre la ségrégation qui petit à petit a gangrené la société.
Nous voulons la paix sociale, il faut en payer le prix. Il faut la conquérir. Les terroristes ne prospèrent que grâce au terreau que nous avons répandu. Il les suscite et les nourrit.
Alors, en rageant, je me réjouis qu’on parle enfin des droits des enfants pour parler ensuite de leurs devoirs. Oui la citoyenneté est bien un ensemble. « J'ai des devoirs car j’ai des droits ; je peux participer aux décisions qui me concerne ». Oui l’école est un lieu de droits et pas seulement de devoirs. Etc.
A nous de veiller à ce que le soufflet ne retombe pas. Le décret Jospin de 1991 qui instituait des droits des élèves dans les établissements secondaires après les émeutes de la fin 1990 est vite tombé dans la trappe. Malheureusement.
Mon regret : que la président de la République n’ait pas annoncé qu’il créait (enfin) un ministère de la jeunesse détaché des sports. Comme si les jeunes ne pouvaient être que sportifs et les sportifs que des jeunes ! L’écriture d’un gouvernement trahit les priorités pisolitiques du moment. Le compte n’y est pas. Surtout après la campagne électorale de 2012, mais surtout après le constat fait ces derniers temps. Mieux ce ministère aurait du être ministre d’Etat. Mieux encore le premier ministre aurait du être en charge de ce ministère. Cela aurait eu de l’allure.
Plus que jamais une politique publique en direction de la jeunesse s’impose et des politiques spécifiques vers les populations les plus fragiles. Un vrai travail interministériel doit se développer à partir de ce ministère qui dépasse le rôle spécifique de l’Education nationale. Par exemple, à quoi sert-il d’entonner l’hymne à la responsabilité parentale si on n’identifie pas qui est en situation d’exercer des responsabilités parentales aujourd’hui. Le texte sur le statut des tiers - largement perfectible - adopté le 30 juin dernier est toujours bloqué au parlement !
Il n’est pas trop tard de donner ce cadre politique fort à la politique vigoureuse et volontariste qu’on entend mener.