Les cocoricos du désastre
Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/10/2015
Rentrant du Festival Polar à Cognac, je ne souhaite pas traiter sans recul la manifestation des Juifs de France à Paris, le 18 octobre, aussi légitime qu'elle soit. Car ignobles sont ces attaques palestiniennes au couteau qui blessent ou tuent des citoyens israéliens. On peut brasser toutes sortes d'idées sur l'insoluble conflit mais d'abord, il faudrait convenir du caractère inadmissible en soi du recours à de telles pratiques. Et refuser le dévastateur "oui mais...", source de toutes les justifications douteuses (Le Figaro).
Il n'empêche que j'ai scrupule, après une telle introduction, à évoquer l'humiliation de l'équipe de France de rugby face aux formidables Néo-Zélandais qui nous ont donné une leçon de jeu, d'audace, de maîtrise. Le score parle tout seul : 62 à 13.
Critiquer les joueurs français n'aurait aucun sens. Ils ont été suffisamment accablés par une déconfiture dont ils ont pris toute la mesure. Serge Blanco, avant le match, espérait que ce ne serait pas la Bérézina. Les Français l'ont eue et au-delà de leurs pires craintes (Le Parisien, le JDD).
Mais ce qui me scandalise, ce sont les cocoricos du désastre.
Après la défaite déjà lourde de sens contre l'Irlande, on aurait souhaité modestie, réserve et lucidité. Mais durant la semaine, jusqu'à ce samedi 17 fatal, on a entendu des allusions à un miracle, au fait que les Français n'étaient jamais plus forts qu'au bord du gouffre, qu'on avait déjà vaincu les All Blacks à deux reprises et qu'on allait voir ce qu'on allait voir.
On a vu.
Deux commentateurs qui durant le match n'ont cessé, avec une volubilité saoulante (surtout Bernard Laporte), au fur et à mesure que le désastre s'accomplissait, d'entonner des cocoricos au lieu de s'en tenir à ce qui crevait les yeux : l'implacable supériorité d'une équipe contre une autre.
Aucun système de jeu à cause de cet entraîneur calamiteux qu'est Philippe Saint-André, dont le bilan est couronné, si j'ose dire, par une déculottée dont il est le principal responsable (TF1)
Les commentateurs s'égosillaient pour occulter un réel qu'ils préféraient, chauvins, ne pas voir.
Philippe Saint-André qui n'avait cessé de soutenir que la France serait championne du monde et que c'était son exclusive ambition, a pourtant déclaré, après la correction, "on est à notre place", comme si derrière le verbe matamore, il n'avait eu pour souci que d'emmener ses joueurs en quarts de finale (L'Equipe).
Pourquoi la France gagne-t-elle si peu, trop peu ? Parce que de manière anticipée elle crie déjà ses cocoricos, de sorte qu'elle n'a plus de force pour affronter la réalité.
Comme si nous n'avions le choix qu'entre un effacement résigné ou une arrogance incapable d'un examen de conscience et d'une remise en cause radicale. Alors qu'entre les deux il y a la volonté patiente et le courage mobilisateur. Est-il obligatoire d'aimer sa patrie en étant stupide ?
Les cocoricos du désastre.
On ne les entendrait qu'en sport, ce serait un moindre mal.
Mais ils sont devenus une tradition française qui en fait le critère éclatant et à
rebours de l'échec.
Comme ce pouvoir qui n'arrête pas de nous masquer le vide de ses résultats avec le plein de ses péans.
Les cocoricos du désastre. Les premiers croyant nous duper alors que le second n'échappe à personne. Ni aux sportifs, en chambre ou non, ni aux citoyens.
Les joueurs ont fait ce qu'ils ont pu, ils n'ont pas été brillants. Mais il leur manquait quelqu'un.
Les citoyens ne désespèrent pas encore mais ils ne sont pas loin de la révolte. A force, on les comprend. Ils pressentent qu'il leur manque quelqu'un.
Contre tous les cocoricos de tous les désastres.
Un entraîneur pour la France.