Lyon-Turin : Le tunnel qui est une impasse
Actualités du droit - Gilles Devers, 3/12/2012
Le tunnel Lyon-Turin est un gouffre financier, reposant sur des conceptions décalées de l’économie et sa rentabilité est plus qu’aléatoire. Mais problème : tous nos petits élus locaux en rêvent… Il va donc falloir les calmer.
La Cour des comptes est célèbre pour ses rapports qui, venant après coup, dressent les bilans accablants de politiques publiques qui, à l’origine, étaient très présentables. Avec le tunnel Lyon-Turin, le jeu est inversé car c’est avant même l’engagement du projet que la Cour des comptes tire la sonnette d’alarme, par un référé du 5 novembre 2012. Avec pour titre : « Des coûts qui augmentent, des estimations de trafic excessivement optimistes et des financements incertains ».
Le Gouvernement a décidé de passer outre, et les élus locaux sont tout excités pour défendre leur petit joujou. François Hollande et Mario Monti seront à Lyon aujourd’hui pour signer le beau projet. Notre-Dame-des-Landes prend ses quartiers à Lyon, … Un projet grandiloquent et hors d’époque, décalé des réalités économiques… genre la gloire des grands travaux publics alors qu’il s’agit de structurer les réseaux d’entreprises… Mais avec cette petite différence que le premier manifestant est la Cour des Comptes. C’est assez peu courant et ça devrait aider nos élus locaux à réfléchir. Hélas…
Sur le papier, ce tunnel a toutes les vertus : rapprocher Lyon de l’Italie (Ca, ça m’intéresse beaucoup), doper l’économie et limiter le transport routier. Alors de quoi se plaindre ? De ce que cette présentation est une illusion.
D’abord, il faut situer l’affaire. Même si on aime bien Lyon et Turin, question business, ce n’est quand même pas Paris et Londres. C’est un plus pour l’économie régionale, en Rhône-Alpes et dans le Piémont, mais pour les grands flux économiques, on est hors sujet. Les opposants ont fait des calculs qui parlent : le Lyon-Turin est 2 fois plus cher que le tunnel sous la Manche, pour un trafic 5 fois moins important.
Et puis, on ne part pas de rien. Il existe déjà des voies ferrées et des tunnels, via la Suisse, une voie ferrée qui utilise le tunnel du Mont-Cenis et qui pourrait être renforcée et une autoroute peu fréquentée. Ce d’autant plus qu’avec l’évolution économique, la saturation annoncée n’est plus en vue. C’est ce que dit ce manifestant gaucho-écolo qu’est la Cour des Comptes.
La Cour des Comptes a d’abord constaté un gonflement spectaculaire des coûts prévisionnels. En 2002, on était à 12 milliards d’euros, et pour 2012, la direction générale du trésor a avoué un chiffre porté à 26,1 milliards. Motifs ? Le renforcement des règles de sécurité et un changement de tracé. Ces chiffres n’ont pas trop convaincu la Cour, qui a estimé que la certification par un tiers extérieur de ces coûts « était devenue indispensable ». Ça nous intéresse, car c’est un peu notre argent.
Question rentabilité, la Cour des Comptes tire la sonnette d’alarme : « Les prévisions de trafic établies dans les années 1990, qui envisageaient la poursuite d’une forte croissance, ont été fortement remises en cause depuis. Le risque de saturation des infrastructures existantes n’est aujourd’hui envisagé qu’à l’horizon 2035. Enfin, associée à une faible rentabilité socioéconomique, la mobilisation d’une part élevée de financements publics se révèle très difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel ». Alors, d’où viendra l’argent ? Du Qatar bien aimé ? Qu'en pense le Prince ?
Aussi, la Cour, inquiète par la conjugaison de ce coût non maîtrisé et cette rentabilité aléatoire, s'est montrée plus que réservée, et a conclu par deux recommandations :
« 1/ Ne pas fermer trop rapidement l’alternative consistant à améliorer la ligne existante ;
« 2/ Si le projet doit être poursuivi, étudier les mesures éventuellement contraignantes de report du trafic transalpin de la route vers la voie ferrée ».
Bref, pour la Cour, la solution est l’aménagement de l’existant. Pour tenir compte des coûts au sommet et d’un trafic stagnant, elle indique qu’il faudra des mesures obligeant à utiliser le tunnel pour le rentabiliser. De grands moments de joie en perspective...
Mais c’est basiquement le montant des investissements qui risque de ramener nos gentils élus à la raison. Tout le monde pense que les coûts évoqués seront dépassés, vu le défi qu’est ce chantier, et en outre il restera à trouver le moyen de faire transiter tout ce trafic dans une région lyonnaise saturée, et à financer de jolis travaux routiers et ferroviaires… Même problème côté Italie… Bref, il sera impossible de financer avec les budgets nationaux.
Hollande et Monti pensent solliciter la caisse européenne. Mais que permettra le budget européen pour ce projet régional, coûteux et à la rentabilité aléatoire ?
Quoiqu’il en soit, le blog, toujours aussi légaliste, défendra le point de vue de la Cour des Comptes,… et tous les opposants sont les bienvenus.
Petite précision : un groupe de militants italiens a été bloqué à la frontière sur ordre de Valls, et n'a pu se rendre à la réunion préparatoire qui se tenait ce week-en à Lyon. De grands démocrates...