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Quelques êtres et le néant

Justice au singulier - philippe.bilger, 20/10/2014

Marcelo Bielsa pour le ballon rond et le pape pour la foi. L'un et l'autre rassurent. Par la seule présence et l'aura de ceux dont l'ambition n'est pas seulement de durer, de survivre mais de faire et de transformer, le néant n'aura pas partie gagnée. Il n'y a pas que ces deux-là. Mais si seulement ils pouvaient être encore plus contagieux !

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Malgré ce titre provocateur, je sais bien qu'il existe une multitude de niveaux et d'étapes entre l'être et le néant, entre certains êtres d'exception et le néant d'autres. La médiocrité, l'excellence, le convenable ou l'insuffisance trouvent de quoi se loger dans cet immense contraste.

Je ne méconnais pas non plus qu'il y a sans doute une forme d'immaturité, que j'accepte et assume, dans cette propension à faire passer les personnes avant les concepts, la vie devant les structures, les qualités immédiatement perceptibles devant les abstractions plus nobles mais plus confortables pour noyer les faiblesses.

J'ai d'autant moins de mal à ne pas le regretter qu'à l'expérience, et dans des registres aux antipodes les uns des autres, l'actualité nous a démontré à quel point il convenait de ne pas mettre entre parenthèses le poids, l'influence, la puissance et la créativité des humains pour pouvoir expliquer de manière plausible des réussites, voire des transfigurations. Cette banalité souvent répudiée parce que conservatrice est de plus en plus vraie dans une époque où des blocages structurels interdisent d'agir par les voies classiques : des personnes parviennent à faire l'histoire, à dénouer, à débloquer, à faire espérer. Des institutions, des clubs, des entreprises ou des pouvoirs sont infiniment dépendants de ceux qui les inspirent, les dirigent ou les métamorphosent.

Mais ces êtres d'élite sont rares.

J'ai choisi à dessein deux exemples contrastés, l'un dans le profane, l'autre dans le sacré.

Depuis que Marcelo Bielsa est l'entraîneur de l'équipe de football de Marseille, quasiment avec les mêmes joueurs, son groupe, avec un grand gardien comme capitaine, en est à sa huitième victoire d'affilée et aujourd'hui il n'est pas inconcevable de supputer une lutte dans le championnat de France dont le PSG ne sortira pas forcément vainqueur.

Il est incontestable que tout ce qui a permis à cette équipe de se montrer sous un autre visage que l'an passé est dû aux principes, à la rigueur et à la personnalité atypique et très compétente de cet entraîneur argentin qui ne passe jamais quelque part en laissant les choses en l'état. Il y a des êtres qui commentent et parasitent le réel et d'autres qui le transforment de fond en comble.

Bielsa a ressuscité certains joueurs qui traînaient manque de confiance et inefficacité comme un boulet. Dimitri Payet et André-Pierre Gignac ne pourront que confirmer mon appréciation.
Le football à Marseille ne peut plus faire l'économie de Marcelo Bielsa, faire l'impasse sur lui.

Et le catholicisme doit déjà beaucoup à un homme extraordinaire, argentin lui aussi, le pape François.

Parce qu'il est hors du commun et que d'une certaine manière sa politique, sa religion, c'est d'abord lui-même, il est naturellement contesté, au sein de l'Eglise, par le camp conservateur qui préfère le maintien d'une tradition mécanique et conventionnelle à la recherche difficile, douloureuse mais salutaire d'une conciliation au plus haut niveau entre les valeurs et la quotidienneté, entre l'absolu de la morale et la réalité des conduites humaines.

Les controverses et contradictions du Synode démontrent, si c'était nécessaire, que la synthèse, l'alliance bienfaisante des contraires, la nuance et la complexité ne sont pas plus applaudies par essence dans ce milieu de dignitaires que dans les autres univers, notamment politique et culturel. Ce n'est pas une crise mais une libération. ce qui était étouffé se bat à l'air libre. c'est une chance (Figaro Vox).

Ce qui compte est la formidable irruption, dans un catholicisme qui s'étiolait à force d'être peu courageux et ennuyeux par ses discours et sa vision sans éclat ni flamme, d'un objet religieux non identifiable - l'individualisme éclaboussant d'un pape qui, grâce à la seule force de son être, a déjà changé en profondeur le visage trop longtemps morose et défaitiste de l'Eglise.

Au point, pour cet homme charismatique, d'être respecté bien au-delà de son royaume qui est aussi de ce monde. Ce qui explique - anecdote singulière - à quel point j'ai été scandalisé quand un avocat, sous un pseudo transparent, à un tweet enthousiaste de ma part, a répliqué en substance : "pape de mon c..!". Indigné d'abord par rapport à lui et aussi pour la profession d'avocat à laquelle dignité et délicatesse ne doivent pas demeurer étrangères.

Marcelo Bielsa pour le ballon rond et le pape pour la foi.

L'un et l'autre rassurent. Par la seule présence et l'aura de ceux dont l'ambition n'est pas seulement de durer, de survivre mais de faire et de transformer, le néant n'aura pas partie gagnée.

Il n'y a pas que ces deux-là. Mais si seulement ils pouvaient être encore plus contagieux !


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