Carlton : malaise face à la volte-face de certaines parties civiles
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 17/02/2015
Leurs témoignages remplissent des pages entières de l'ordonnance qui renvoie Dominique Strauss-Kahn devant le tribunal correctionnel de Lille pour proxénétisme aggravé. Leurs dépositions accablantes – "boucherie", "abattage", "violence" – sur les rencontres sexuelles auxquelles elles ont participé en présence de celui qui était alors directeur général du FMI ont égrené l'audience.
On en était là lorsque se sont ouvertes, lundi 16 février, les plaidoiries des parties civiles, dont celles des avocats des deux ex-prostituées, Jade et Mounia. Et que disent-ils ces avocats ? Qu'au terme de deux semaines de "débats exhaustifs", il ne reste à leurs yeux pas de "charges suffisantes" contre Dominique Strauss-Kahn. En clair, les deux principales parties civiles ne demandent plus la condamnation de celui dont elles ont nourri le dossier d'accusation.
"Cette intime conviction ne suffit pas"
"Nous ne serons pas plus royalistes que le roi" a déclaré Me Gilles Maton, en anticipant les réquisitions de relaxe en faveur de Dominique Strauss-Kahn que le procureur de la République, Frédéric Fèvre, devait prononcer mercredi. "Nous avons la conviction que Dominique Strauss-Kahn n'ignorait pas leur statut de prostituées, mais nous ne sommes pas devant une cour d'assises, cette intime conviction ne suffit pas", a ajouté l'avocat qui, avec son confrère Gérald Laporte, défend les intérêts de Jade et de Mounia ainsi que deux autres jeunes femmes qui s'étaient constituées parties civiles à l'ouverture du procès. Contre les autres prévenus, ils demandent l'euro symbolique afin, disent-ils, de "clouer le bec à ceux qui ont pu dire qu'elles étaient là pour de l'argent".
L'élégance de la dernière intention ne saurait effacer le malaise que suscite cette volte-face. Au regard des débats, elle est incompréhensible. La fragilité des charges ? Elle était connue des parties civiles avant même l'ouverture du procès, puisque le parquet avait lui-même requis un non-lieu en faveur de Dominique Strauss-Kahn au terme de l'instruction. La défense de l'ancien directeur du FMI ? Elle a été la même dans le cabinet des juges, et notamment lors de ses confrontations avec les deux ex-prostituées, qu'à la barre du tribunal où il a réaffirmé avoir tout ignoré du statut des jeunes femmes.
"Une œuvre de salubrité publique"
Quel sens peut avoir, aux yeux de l'opinion, l'attitude de cet autre avocat de partie civile, Me David Lepidi, au nom de l'association Equipes d’action contre le proxénétisme, qui pendant deux semaines, a insisté sur les détails sexuels les plus crus avant d'annoncer lui aussi qu'il retirait sa constitution de partie civile parce que, a-t-il considéré, "le délit de proxénétisme n'est pas constitué" contre Dominique Strauss-Kahn?
De toutes ces parties civiles, seule demeure donc aujourd'hui l'association du Nid, qui se consacre depuis près de quarante ans à la lutte contre la prostitution. A elle au moins revient le mérite de la cohérence. Me Emmanuel Daoud, qui la représente, a laissé au procureur et au tribunal le soin de dire le droit. Mais de la place qui est la sienne, il a revendiqué le devoir de parler de morale.
L'association du Nid « a fait le pari que ce procès serait une œuvre de salubrité publique et le pari est gagné», a observé l'avocat en évoquant l'examen à venir devant le Sénat de la proposition de loi pénalisant les clients de prostituées. Ce ne serait pas la première fois, dans l'histoire judiciaire, qu'un procès fait avancer un débat de société. Mais peut-il justifier ce déballage public de la sexualité d'un homme ?