Actions sur le document

Exploration en territoire biterrois !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/04/2015

J'ai rapporté strictement ce que j'ai dit, entendu, observé et accompli. Il est vrai que je ne suis pas journaliste.

Lire l'article...

Quand j'ai appris que je devais partir pour cette étrange contrée qu'on appelle, sur les cartes, Béziers, j'avoue avoir eu peur.

On m'avait tellement mis en garde, certains journalistes m'avaient jugé imprudent, d'autres irresponsables, les plus aimables, courageux mais téméraires, que j'avais non pas hésité devant cette expédition programmée mais tremblé à l'idée de ce que j'allais découvrir. Des monstres, des phénomènes surnaturels, des horreurs, un enfer, une autre planète sombre et glaçante ?

Quand j'y suis arrivé avec une inquiétude qui avait enflé au fur et à mesure que ma destination se rapprochait, au fil d'un voyage trompeur avec sa sérénité et sa normalité apparentes, je n'en ai pas cru mes yeux.

J'ai vu, j'ai croisé, j'ai rencontré des personnes, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, qui avaient toutes une tête, un corps, deux bras, deux jambes et deux pieds comme les miens.

Stupéfaction encore plus vive, les gens parlaient ma langue et, sans m'illusionner, je les comprenais. J'étais confronté à un mystère qui ne laissait pas de m'agiter. Comment cette tribu avait-elle pu ainsi apprendre nos mots, imiter nos phrases au point de les rendre totalement intelligibles et créer un tel sentiment de familiarité avec ceux qui venaient à sa rencontre ? Il y avait là un miracle que je ne parvenais pas à m'expliquer en l'état actuel de la science.

J'ai parcouru cette singulière cité où régnaient une simplicité, une modestie, une pauvreté certaines. Mais les immeubles, les rues, les jardins, les arbres, les voitures semblaient ressembler aux nôtres et je n'éprouvais aucun mal à me diriger dans un univers qui, pourtant, aurait dû m'être radicalement inconnu.

Je m'interrogeais : serais-je, malgré les apparences topographiques contraires, tout de même en France, dans une sorte d'enclave étrangère enkystée là à la suite d'un bouleversement tellurique ancien ?

Le soir, je me suis retrouvé dans une grande salle où il y avait de très nombreuses personnes qui ont tapé dans leurs mains quand elles m'ont vu entrer. Elles paraissaient bien disposées à mon égard, en tout cas elles n'ont pas manifesté le moindre signe d'hostilité, de contrariété ou d'éloignement. Comme si elles m'avaient attendu.

Je me suis demandé par quel processus inédit, dans ce territoire inviolé, une telle confrontation avait pu s'opérer entre elles et moi qui étions pourtant sans lien aucun.

J'ai parlé durant quelques minutes et, mon propos terminé, je les ai, tentant l'impossible, par défi, invitées à me questionner. Devinez mon saisissement quand l'une d'elles s'est levée et a formulé une interrogation concernant mes préoccupations sans que j'éprouve la moindre difficulté à l'appréhender. En français, avec politesse et, par comparaison avec tant d'autres au sein de ma propre nation, sans avoir à rougir de sa qualité intellectuelle.

Ces esprits qui étaient présents et attentifs étaient donc aussi capables de raison et de sensibilité ?

La suite fut tout à fait extraordinaire comme si le premier, ayant osé, avait ouvert une brèche pour tous les autres et au risque de me faire taxer de néo colonialisme, la pertinence, la profondeur, la mesure et la maîtrise de ces indigènes m'ont frappé car, franchement, chez eux si décriés, je ne pouvais pas présumer de telles dispositions.

Dans mes réponses, je ne m'étais jamais senti aussi libre comme si cette singulière équipée avait décuplé l'ordinaire de mes facultés et de ma parole.

Avant mon départ de Paris, on me les avait annoncés comme des sauvages, des extrémistes influencés par un gourou malfaisant et excité. Les premiers étaient aux antipodes de cette image et le second, dont, à un certain moment, je m'étais rapproché pour constater ce qu'il valait, m'est apparu passionné, heureux de son rôle et de sa mission, soucieux de faire le bonheur de ses fidèles.

Je ne pouvais pas ne pas m'enquérir auprès de lui des raisons pour lesquelles on m'avait présenté ce territoire comme inhospitalier et grossier alors que mon incursion m'avait persuadé du contraire.

Il m'a expliqué que personne n'avait pris la peine de venir observer la réalité et que les journalistes de mon pays étaient acharnés, pour ne jamais se laisser distraire d'une dénonciation systématique et fausse, à ne pas prendre le risque d'une visite longue et sérieuse et, dans tous les cas, à ne pas tenir compte de qu'il leur disait et que pourtant ils auraient pu constater.

Il était plus important, pour eux, de confirmer leurs préjugés que d'amplifier leur savoir et d'enrichir leur information. Ce chef, dont le prénom était Robert - encore une similitude troublante avec nos prénoms ! - ne souffrait plus de cette injustice et de ces erreurs parce que ceux qui vivaient avec lui et dont il avait la charge ne l'en estimaient pas moins, bien au contraire, et qu'il avait pris acte de cette partialité en s'en étant accommodé, certain maintenant qu'elle ne changerait jamais.

Quand les auditeurs ont fini de poser leurs questions, j'ai mesuré à quel point je m'étais trompé sur ces créatures. On m'a assis à une table sur laquelle on avait déposé beaucoup d'exemplaires de mon dernier livre. Elles sont venues me demander, chacune à leur tour, une signature, elles paraissaient conscientes et j'en ai conclu qu'elles savaient probablement lire.

Je me suis couché mais j'ai eu du mal à m'endormir, tant le bouleversement de cette exploration m'avait perturbé.

Le lendemain, pour ne pas rester sur une impression peut-être trompeuse, trop flatteuse, inspirée par le narcissisme d'un auteur comblé, je me suis promené, j'ai humé l'air, j'ai été arrêté aimablement par des autochtones qui, à chaque fois, tous sans exception, ont loué l'action du responsable de leur cité et se sont élevés contre les caricatures que la France médiatique ignorante ou de mauvaise foi en faisait.

J'ai visité un musée et j'ai appris que pour la communauté, tous les musées étaient gratuits durant toute l'année. Pourquoi n'avait-on jamais été avisé en France de cette avancée unique ?

Au fil de mes pérégrinations j'ai croisé un médecin qui avait été présent la veille dans l'assemblée : cette tribu n'ignorait donc pas cette profession, les soignants. Dans la conversation il m'a indiqué, en usant d'un mot bizarre - mutuelle-, que sa communauté disposait, pour les dépenses médicales, du système le plus avantageux de tous initié par son chef. Pourquoi personne, jamais, ne nous l'avait-il signalé ? On aurait pu tirer profit de cette généreuse innovation étrangère.

Les passants rencontrés ne m'ont pas caché non plus que le centre de leur cité était pauvre parce que les richesses, à la suite de la gestion imprudente d'un responsable précédent, étaient parties vers la périphérie. Ils faisaient confiance à Robert - son nom incongru prononcé était, il me semble, Ménard - mais savaient que ce serait très difficile pour lui.

Cette exploration en territoire biterrois terminée, je suis reparti pour mon pays. Contrairement à tant d'autres, je pourrais dorénavant parler en connaissance de cause de cette contrée pas si étrange que cela, de ses habitants divers, courageux et entreprenants, de celui dont la seule ambition était de favoriser leur sort, leur quotidien. Ces inconnus ne l'étaient plus.

J'ai rapporté strictement ce que j'ai dit, entendu, observé et accompli.

Il est vrai que je ne suis pas journaliste.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...