Jury citoyen ? Les excès sont dangereux pour la santé démocratique
Actualités du droit - Gilles Devers, 17/12/2013
L’irruption du jury citoyen comme pièce maîtresse du dossier de la fin de vie, c’est n’importe quoi. Je précise toute de suite que je n’ai pas d’opposition de principe sur ce système, et que certaines des conclusions ne me bouleversent pas. Il me semble que la loi doit bouger sur le suicide assisté, mais à condition que cette question soit scindée de la fin de vie, et qu’on respecte les définitions reconnues. Mais sur ce sujet, et avec cette méthode, c’est nul.
Le grand argument pour vendre le jury citoyen est que ça marche très bien en Norvège (5 millions d’habitants). Je veux bien le croire et j’ai gardé le meilleur souvenir d’une escapade à Oslo, mais comparer les sociétés française et norvégienne, et leurs débats internes, est assez comique.
Ah oui, mais il y a de très bons retours sur ces jurys citoyens… C’est sûr, mais tout dépend des sujets à traiter et des méthodes de travail. Pour des questions locales, ou très précises, et dans un processus public, pourquoi pas… comme élément pour éclairer le débat.
Sur la question de la fin de vie, c’est à côté de la plaque.
Il y a peu de questions aussi fondamentales, qui concernent tout le monde, et pour lesquelles les avis sont si partagés, voire franchement hostiles. Aussi, partir à l’abordage avec dix-huit personnes choisies par l’IFOP, qui se réunissent trois week-ends à huis clos, c’est plus que faiblard. Dans son communiqué, l’IFOP nous dit que l’échantillon est représentatif… et on n’est prié de le croire : pas plus d’explications. Quand on connait l’immense diversité de notre société, je prends le pari qu’un autre échantillon aurait pu être aussi « représentatif » mais très différent,… et rendre des conclusions autres.
Ensuite, le résultat est plus que médiocre. Un texte rédigé avec les pieds, sans structuration, sans rigueur. Comme prof’, je refuserais la copie : à refaire ! De la bouillie pour les chats. Qu’on prenne en compte le point de vue des chats, pourquoi pas,... mais il y a sur ce sujet des personnalités, très impliquées, qui ont des points de vue très opposés. Il serait donc très intéressant de leur demander de produire des textes, qui seraient ainsi du meilleur niveau, et qui permettraient de comprendre le raisonnement et les idées des uns et des autres. Bref : on trouve 18 personnalités impliquées, on leur demande de travailler avec une équipe, et de remettre un texte chiadé, à partir de définitions communes, et avec une bibliographie. Nous aurions là un vrai document pour nous éclairer, et tant pis si l’IFOP perd un marché.
Enfin, et d’une manière très générale, je crains beaucoup ces organismes zébulons, insaisissables, qui rendent des avis non contraignants,… et d’abord pour ceux qui les prononcent ! Je ne peux prendre en compte l’opinion de quelqu’un que si celui-ci signe, assume et en répond. Sinon, c’est du bavardage insignifiant.
Pour finir, cela pose une vraie question de démocratie. S’agissant de la fin de vie, nous n’avons pas à « en causer », mais à examiner s’il faut ou non, changer la loi. Et pour le savoir… on s’en remet à un Comité d’éthique, dont la crédibilité est bien discutable, et à des jurys secrets et anonymes.
Un peu de respect pour « la loi », que diable !
L’affaire va venir devant l’Assemblée, certes, mais on accrédite que la représentation nationale est trop nulle pour se saisir de l’affaire, et instruire le projet. L’Assemblée aurait dû s’imposer pour être maître de ce grand débat, mais elle roupille contre son radiateur.
Si les grandes questions de société se jouent entre la CEDH, le Comité d’éthique, et les jurys citoyens de l’IFOP, se pose une question : on vote pour quoi ?