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Nicolas Sarkozy aurait "une autorité morale" ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/06/2019

L'un de ses proches nous annonce "qu'il ne reviendra pas sauver le parti mais le pays, pourquoi pas". Et si on laissait le parti et le pays se débrouiller sans lui ?

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L'ancien président de la République a de grandes qualités d'intelligence, d'énergie et de communication. Il les a démontrées lors d'un quinquennat même imparfait après une campagne éblouissante en 2007.

Il paraît que, depuis l'échec des européennes, "l'ombre de Sarkozy plane toujours sur la droite" (Le Monde).

J'ai dit à quel point celle-ci authentique, sincère, convaincue et convaincante, me manquerait si jamais elle venait à disparaître comme peu ou prou le parti socialiste. Je maintiens que "sans ma droite", en effet, "je serais mal", comme je l'ai écrit dans mon billet du 7 juin 2019.

Mais l'espace politique dévolu à la pensée conservatrice, à un projet mettant au premier plan l'efficacité économique, la justice sociale, l'autorité de l'Etat et la morale publique est-il donc si pauvre qu'on ne puisse pas imaginer, pour l'occuper valablement, quelqu'un d'autre que Nicolas Sarkozy ? Quelle étrange maladie est donc celle d'une droite qui semble plus désireuse de gratter ses plaies que de les oublier ? Plus éprise d'un homme providentiel plombé par les défaites que d'une personnalité encore vierge face à l'avenir et à l'exercice du pouvoir ?

Serait-il offensant de soutenir que Nicolas Sarkozy n'est pas forcément désiré par les Français si lui, paraît-il, selon Hubert Falco, est prêt à les sauver. Brice Hortefeux, l'ami fidèle, ne cesse pas de nous seriner la même chanson au point de rendre prévisibles tous ses propos.

Je me demande si on ne cherche pas à enkyster dans la tête des citoyens de droite, pour que le futur du redressement soit impossible, l'idée que seul un Nicolas Sarkozy, pourtant démonétisé, serait à même de sauver ce camp du naufrage.

Parce que Laurent Wauquiez a dû assumer ses responsabilités en se mettant en retrait, parce que naturellement un arbitrage va devoir se faire entre des ambitions présidentielles à la tête du parti - je songe notamment à Bruno Retailleau - et une gestion consensuelle et d'attente avant 2022, genre Christian Jacob, il faudrait faire sortir Nicolas Sarkozy de sa boîte somptuaire ?

Avant même que LR, par ses propres moyens, reprenne vie politique en puisant dans un vivier que ses adversaires jugent à tort médiocre, il conviendrait, toutes affaires cessantes (si j'ose dire), de précipiter l'irruption renouvelée d'un Nicolas Sarkozy faisant don de sa personne aux militants et sympathisants de droite comme si l'impatience de ceux-ci était à son comble ?

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Et si c'était l'inverse ? Si ce parti ne pouvait espérer sortir de la nasse qu'en se « débarrassant » définitivement de Nicolas Sarkozy, en cessant de permettre à celui-ci de nourrir l'illusion permanente qu'on l'attend et qu'on a besoin de lui ?

Certes tout le monde a le droit de fantasmer sur un retour qu'on s'acharne à nous présenter comme inévitable et nécessaire mais il n'empêche qu'on se moque du monde.

Je tiens pour rien l'absence totale de soutien à la liste Bellamy en même temps qu'était mise en scène la complicité de Nicolas Sarkozy avec le président de la République.

Mais peut-on occulter que ce "leader naturel", comme on l'appelle, de la droite a été battu en 2012 (on ajoute toujours de peu pour faire bien !) et que, prétendant se désintéresser de la vie publique, il a été lourdement défait lors de la primaire de la droite et du centre dont François Fillon, son ancien "collaborateur", est sorti vainqueur ?

Ce peut être une méthode, mais étrange, que d'exploiter les rogatons au lieu de se consacrer au repas principal mais elle me semble suicidaire.

Nous devrions éclater de rire, pourtant, si l'enjeu démocratique et politique ne nous l'interdisait pas, quand le plus sérieusement du monde on vient nous expliquer que Nicolas Sarkozy est une "figure tutélaire" - qu'on nous préserve alors de telles figures qui ne rassurent pas mais troublent et clivent - et surtout "une autorité morale".

A-t-on une si piètre image de la chose publique, la considère-t-on à ce point condamnée aux transgressions et à l'imperfection - pour soi ou/et le parti - qu'on n'ait pas le moindre scrupule, pour qualifier d'autorité morale, un ancien chef d'Etat englué depuis 2012 dans une série de procédures - un record ! - dont deux sans doute, si la Cour de cassation ne s'y oppose pas, vont entraîner son renvoi devant un tribunal correctionnel : dans l'affaire Bygmalion, concernant le financement de sa campagne de 2012, et dans celle relative à Gilbert Azibert, pour corruption et trafic d'influence.

On vient d'apprendre que le PNF a ordonné une enquête pour un usage immodéré de grosses coupures (billets de 500 euros) par Nicolas Sarkozy à la suite d'une perquisition, à la fin de l'année 2017, ayant fait apparaître cet élément. Il faisait retirer chaque mois 2 000 euros en grosses coupures. Il a fourni des explications qui devront être vérifiées pour déterminer si cette pratique compulsive n'a pas de lien avec l'affaire libyenne (Mediapart, Le Parisien).

Alors autorité morale, une telle personnalité ? Qu'on me pardonne mais si elle l'est, je préfère me contenter de moins d'autorité et de plus d'éthique.

Tant que Nicolas Sarkozy sera jeté, apparemment tel un recours mais profondément comme un frein, dans les roues de la droite, elle fera du surplace. L'homme providentiel est un leurre, surtout quand il a déjà servi, qu'il a été battu à deux reprises et qu'il n'a pas été précisément un exemple moral.

Il nous avait promis une République irréprochable en 2007 : on a constaté à quel point notamment dans le domaine judiciaire son mandat a été une transgression quasi permanente.

L'un de ses proches nous annonce "qu'il ne reviendra pas sauver le parti mais le pays, pourquoi pas".

Et si on laissait le parti et le pays se débrouiller sans lui ?


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