Qui sont les pyromanes ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/12/2015
C'est entendu, SOS Racisme, avec sa frénésie de plaignant, non seulement porte atteinte sans cesse à la liberté d'expression mais surtout attise ce qu'il prétend vouloir éradiquer. C'est sans doute la rançon la plus néfaste, sur un plan intellectuel et judiciaire, de notre obsession de la décence de la pensée à la place de la vérité ou du mensonge qui devraient seuls nous importer.
Pyromane, donc, d'une certaine manière.
Robert Ménard, qui en général s'adonne à des provocations lucides et bienfaisantes, dénonce sur la page Facebook de la ville de Béziers, parce que des musulmans ont assuré la sécurité lors de la messe de Noël à l'église de la Devèze, cette incongruité selon lui et s'interroge : "Depuis quand les pyromanes protègent des incendies ?"
Je comprends que la situation de menace exceptionnelle que nous vivons et subissons au quotidien, même à l'égard de moments et de lieux qui auraient dû demeurer préservés de cette gangrène, puisse bouleverser les esprits et inciter à des propos qui s'abandonnent à une généralité choquante parce que distinguer et discriminer serait trop fatigant et perçu presque comme inutile.
Il n'empêche. Même si Robert Ménard a pris la peine de fustiger cette "prétendue protection... dirigée par deux activistes connus pour leur engagement fondamentaliste et anti-israélien", je considère qu'en l'occurrence il a réagi trop vite sans peser les effets de son appréciation.
S'il avait consenti à arbitrer dans son for intérieur, il aurait dû percevoir que les dégâts causés par sa saillie seraient bien plus préjudiciables que son abstention n'aurait nui.
On a suffisamment reproché aux musulmans indignés par le terrorisme islamiste, avec ses conséquences traumatisantes sur notre quotidienneté, de ne pas assez manifester concrètement leur soutien à la France et à son vivre-ensemble pour ne pas se moquer de ces initiatives de bonne volonté et de solidarité civique et religieuse. On n'a pas à les tourner en dérision comme si ces musulmans étaient, eux, responsables de cet état de fait surprenant alors qu'il résulte d'un islam dévoyé et interprété par une minorité de tueurs.
Qu'on ne me rétorque pas que je serais naïf parce que je ne vois pas d'autre moyen, pour coexister humainement et dignement, que de favoriser le départ entre les criminels islamistes et la multitude des musulmans de bonne foi.
Au-delà même de la certitude que les premiers rêvent que nous nous laissions aller à une haine aveugle et délirante à l'encontre des seconds, comment pourrions-nous nous tenir en société si nous ne sommes capables de cette élémentaire justice acharnée contre les pires mais respectueuse de tous les autres ?
Non, ceux qui, avec d'autres qui ne partageaient pas la même foi, avaient protégé l'église de la Devèze, n'étaient pas des pyromanes se prenant pour des pompiers mais des hommes cherchant à tout prix à se distancier des assassins ayant massacré, en même temps que leur religion, un nombre infini de victimes.
Ce n'était qu'un geste mais de poids, une démarche à la fois symbolique et efficiente. Moquer l'un et l'autre était gravement faire fausse route.
Les pyromanes étaient, hier, les terroristes tués et demain seront les terroristes à abattre.
Cette confusion de Robert Ménard refusant d'extraire la partie malfaisante du tout acceptable a évidemment blessé. Le président de l'association Esprit libre et cultures solidaires a déclaré : "Je suis très triste pour la communauté chrétienne et la communauté musulmane, pour tous ceux qui, ce soir-là, nous ont souri... cette polémique, on la vit un peu mal... très en colère..." (Le Figaro).
Je n'aurais pas eu envie de désapprouver mon ami Ménard si je ne remarquais pas, pour des causes diverses, cette tendance perverse à globaliser, à mettre ensemble dans le même sac, à se délier de l'obligation de la justesse et de la nuance. Cette passion de porter un regard totalitaire sur les communautés et les comportements est dévastatrice, elle affecte même les gens les plus intelligents qui soient. J'ai pu le constater sur Twitter et sur mon blog par exemple au sujet des troubles, agressions et saccages d'Ajaccio. Le besoin semble irrésistible de condamner les Corses en bloc ou de les sauver tous.
Robert Ménard a manqué une occasion unique de révéler ce qu'il est vraiment : un homme libre et tolérant. Au contraire, une erreur intellectuelle, une faute morale, une maladresse municipale.
SOS Racisme a évidemment déposé plainte. C'est un tic.
Il y a des pyromanes inattendus.