Le peuple, tout contre le président !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/11/2018
Le président de la République me donne le tournis. Il ne permet pas de s'arrêter à une position implacablement hostile ou systématiquement bienveillante, ce qui serait confortable. Il me fait passer d'une parole critique à un soutien vigoureux. C'est sa richesse, sa force mais aussi sans doute sa faiblesse. Il nous condamne à "l'itinérance" pour reprendre le terme pompeux et ridicule caractérisant ces six journées de mémoire et de deuil.
A peine s'est-il fourvoyé pour Maurice Audin que courageusement et honnêtement il pense et vise juste pour l'hommage à rendre le 10 novembre aux huit maréchaux de la Première Guerre mondiale parmi lesquels il y a le vainqueur de Verdun Philippe Pétain et dont cinq ont leur tombe aux Invalides.
A peine a-t-on pu lui reprocher un parler vrai devenu trop brutal, mais toujours correct dans la forme, qu'il est confronté à une inimaginable grossièreté qui imposerait qu'on éduque aussi les citoyens quand ils se livrent dans l'espace public et dialoguent avec le président de la République.
Ce sont deux épisodes majeurs qui l'ont vu s'expliquer et tenter de convaincre à Charleville-Mézières dans un registre qui est de loin son meilleur : une empathie prenant du temps et s'efforçant d'être pédagogique sans être condescendante (CNews, L'heure des pros du 7 novembre).
Je n'oublie que d'autres sujets pourraient et devraient nous intéresser, nous mobiliser.
La manifestation du 17 novembre.
La défaite de Donald Trump, en réalité quasiment une victoire en considérant tous les paramètres. Les électeurs intelligents ont porté sur sa présidence le jugement équivoque qu'elle mérite et ont privilégié une synthèse contradictoire avec sa personnalité tout d'une pièce. Il n'a pas subi une déroute, la majorité démocrate à la Chambre des représentants n'est pas cohérente ni homogène sur le plan idéologique, l'emprise des Républicains au Sénat est amplifiée et il sera clairement candidat à sa réélection en 2020 avec l'avantage qu'il n'aura pas dilapidé son argumentation principale sur l'économie et l'emploi - incontestables réussites - puisqu'il a focalisé sur l'immigration, l'identité et les frontières.
J'ajoute l'exclusion définitive de ces deux collégiens - celui qui a menacé et celui qui a filmé - en espérant que cet arbre de rigueur inévitable ne servira pas à masquer pour la suite une forêt de mansuétude habituelle.
Entendant le président de la République sur Pétain, en relevant l'évidence historique et la lucidité intellectuelle de son appréciation, j'avais, sans être spécialement devin, signalé qu'il devrait pousser davantage encore ses efforts de persuasion pour prouver l'absolue validité de sa position et donc de l'hommage (sans célébration) prévu le 10 novembre au vainqueur de Verdun tant d'oppositions allaient surgir. N'oublions que nous sommes en France et que j'étais loin du compte !
Je tiens pour rien - sans doute une erreur de communication et de coordination - que la ministre Florence Parly ait semblé contredire le président.
En revanche, alors qu'il avait jugé "légitime" l'hommage rendu à Pétain, Ian Brossat, communiste, dénonçait "une faute politique majeure" et Jean-Luc Mélenchon toujours aussi violent et vindicatif à l'encontre d'Emmanuel Macron, sauf lorsqu'il le rencontre, vitupérait Pétain comme "un traître et un antisémite, ses crimes et sa trahison sont imprescriptibles, cette fois-ci c'est trop ! L'histoire de France n'est pas votre jouet !".
Et le CRIF bien sûr est choqué (Le Figaro). Comme si dans et malgré sa lutte permanente et nécessaire contre l'antisémitisme, l'Etat avait toujours des gages à donner sur le plan historique, qui le priveraient de sa liberté d'examen et lui interdiraient toute approche objective.
Seul le député LR Philippe Gosselin a approuvé publiquement le président.
Il me semble que le président de la République avait de manière anticipée mis à bas le procès qui lui était intenté en déclarant : "Je ne fais aucun raccourci mais je n'occulte aucune page de l'Histoire. Le maréchal Pétain a été pendant la Première Guerre mondiale un grand soldat (...) même s'il a conduit à des choix funestes durant la Seconde Guerre mondiale". Une telle analyse ne valide pas un quelconque relativisme mais met en évidence qu'en Histoire, une personnalité n'est pas un bloc - du meilleur puis beaucoup de pire en l'espèce pour Philippe Pétain.
Le président a adopté cette vision du "en même temps", en l'occurrence si pertinente et probablement rassembleuse malgré les protestataires chroniques. En tout cas celle privilégiée par certaines de nos personnalités de pouvoir emblématiques : Napoléon, Charles de Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand...
Cependant l'Elysée face à cette polémique qualifiée de "vaine", gonflée par des journalistes dans leur "petit bocal" selon l'expression du président, a dû préciser que dans le cadre du centenaire de l'armistice de 1918, huit maréchaux de la Grande Guerre seront honorés, dont la tombe de cinq d'entre eux aux Invalides sera fleurie le 10 novembre par le chef d'Etat-Major d'Emmanuel Macron. Philippe Pétain ne se trouvant pas aux Invalides, l'Etat français donc ne le "célèbrera" pas.
Il est tout de même extravagant de voir comme le pouvoir est contraint de se livrer à des justifications pointillistes et presque humiliantes alors que sa démarche est sans doute approuvée par une majorité de Français.
Peut-être aurait-on pu seulement lui reprocher une contradiction dans sa volonté de ne pas célébrer officiellement la victoire, pour ne pas froisser l'Allemagne, et d'organiser cet hommage au Maréchal Pétain ?
Ainsi, sur un tout autre plan, dans la France d'aujourd'hui, on a le droit d'insulter le président en pleine face et de le qualifier d'"escroc", lui-même se maîtrisant et continuant à échanger. "Escroc", ce n'est tout de même pas la même chose que "Servez les Français" ou "Attendez le 17 novembre, vous allez voir", c'est une insulte, une offense qu'un citoyen même opposant comme celui qui s'est distingué devrait avoir honte de proférer parce que, d'une certaine manière, il se dégrade lui-même en l'assenant.
Il m'importe peu de savoir que c'est le fil du temps, le délitement du respect - imagine-t-on de Gaulle ou Pompidou traînés dans cette boue verbale ? - et, pour certains, la conséquence d'un comportement présidentiel comme si ses mots avaient eu quoi que ce soit à voir avec cet opprobre lancé à la volée et protégé précisément par l'énormité de la charge. Aujourd'hui, faute d'éducation républicaine, le citoyen se croit tout permis et est incapable de distinguer la vigueur militante de l'outrage dans tous les cas scandaleux.
Il m'importe peu de savoir également si Emmanuel Macron s'est dominé sous l'insulte parce qu'il aurait modifié profondément sa nature - ce que je ne crois pas - ou par tactique conjoncturelle : dans une nasse avec cette fronde sur les carburants et cette journée du 17 novembre, il a fait le dos rond et l'esprit compréhensif.
Je me demande à quoi sert l'éducation civique quand on entend de tels débordements et que personne ne s'en émeut.
On demandait à Sacha Guitry s'il était "contre les femmes", il répondait "oui, tout contre". Je ne peux pas me retenir : aujourd'hui, le peuple est tout contre le président. Pour l'agonir ou l'applaudir. Il est trop près.
S'autoriser à traiter un président de la République "d'escroc" est une déchéance citoyenne. Pire encore, le contraindre à une écoute et à une tolérance sans lesquelles il serait encore plus vilipendé médiatiquement, est un désastre démocratique.